Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

que ne dédaignera pas l'historien de la littérature populaire du moyen âge. Ici c'est une fable, dont il est intéressant de retrouver des variantes que les chefs-d'œuvre de notre La Fontaine ont fait oublier (1). Là c'est un des contes que les trouvères ont arrangés dans leurs fabliaux et qui ont pénétré dans toutes les littératures modernes (2). En général, les rédactions consignées dans le manuscrit de Tours sont fort abrégées ce sont des thèmes que chacun développait suivant les circonstances, et suivant aussi les ressources de son imagination. Les passages les plus curieux sont assurément ceux dans lesquels figurent des noms historiques. A ce titre, je signalerai comme dignes d'une attention particulière les anecdotes qui se rapportent à PhilippeAuguste, à la reine Blanche, à saint Louis, à Guillaume d'Auvergne, évêque de Paris, à Eudes Rigaud, archevêque de Rouen, et à Jean de Beaumont, chambellan de saint Louis.

Ces naïfs récits nous montrent sous quel jour l'imagination populaire voyait des personnages qui ont joué un rôle si considérable dans l'histoire du XIIIe siècle. Aussi méritent-ils d'être

(4) « Mulier quedam vadens per ante domum vicine sue, quam odio » habebat, et deferens potum lactis ad mercatum ut venderet, cogitavit » de precio emere gallinam, que haberet pullos; de pullis emere suem, » qui haberet porcellos; de porcellis equum, quem equittaret eundo ad

mercatum per ante vicinam, in contemptu ejus dicendo Io! lo! Et » percuciens pede sic dicendo, quasi equitando, effudit lac et potum » fregit. » Fol. 172 du manuscrit de Tours.

(2)« Mulier quædam omni die verberabatur a marito. Cum autem » esset ad opus suum, venerunt ad domum vicini regis quærentes » medicum pro filia regis habente aristam in gutture. Quæ ait in secreto >> maritum suum medicum optimum, sed nihil volebat facere nisi ver»beraretur. Qui euntes ad eum, negavit. Vellet, nollet, verberantes > eum, ivit. Cum esset coram rege, negavit se esse medicum. Qui >> iterum verberatus, cogitavit apud se necesse habere aliquid facere. » Facite, inquit, ignem copiosum in aula accendi et puellam ibi reponi. » » Quod cum factum esset, clauso ostio, se expolians nudum coram ea »fricabat se ad ignem ante et retro. Quod videns puella et ridens, » exivit arista. Quam accipiens, regi portavit. Audientes infirmi infi» niti venientes quæsiverunt sanitatem a rege. Qui iterum negavit se » aliquid scire. Et verberatus iterum jussit copiosum ignem accendi et » omnes adduci, dicens magis infirmum comburi, et de cinere illius » aliis ministrari, et sic omnes fuerunt sani. Tunc unus post alium, » dimissis baculis et potenciis, fugerunt dicentes quod sanati sunt. » Qui rediens ad uxorem ait: « Nesciebam quod ictus valebant; modo » didici; te plus non verberabo. » Fol. 174 du manuscrit de Tours. Fol. 179 v° du manuscrit de Baluze.

soignement recueillis, et une place devra leur être réservée dans la collection de nos historiens. Ils se rattachent d'ailleurs au même genre que plusieurs compositions dont la réputation est maintenant solidement établie. La charmante chronique qu'on cite le plus souvent sous le titre de Chronique de Reims est remplie d'anecdotes qu'il ne faut pas plus prendre au pied de la lettre que celles du manuscrit de Tours. Le sire de Joinville a lui-même inséré dans son ouvrage des récits qui présentent bien le caractère des légendes populaires. Telle est entre autres l'histoire d'Artaud de Nogent (1), que je cite d'autant plus volontiers qu'elle se retrouve avec des variantes dans la compilation de Tours. Seulement, dans le manuscrit de Tours, le héros de l'histoire n'est point Henri le Libéral, comme dans le livre de Joinville, mais un comte Thibaud, probablement Thibaud le Chansonnier, comte de Champagne. Pour qu'on puisse comparer les deux versions, je traduis celle du manuscrit de Tours.

Un chevalier priait le comte Thibaud de l'aider à marier ses filles, et il en avait dix. Le comte ne répondait pas. Il avait près de lui un homme fort riche, quoique de condition servile, qui se mit à excuser son maître, en disant qu'il n'avait pas moyen de secourir le chevalier. Celui-ci insistait et faisait valoir sa pauvreté. Le riche répétait avec dureté que le comte n'avait pas moyen. Le comte se tourne alors du côté du chevalier et lui dit : << Cet homme ment, car je puis disposer de sa personne: il est mon serf et je te le donne. Mets-le bien à rançon; tu pourras en tirer dix mille livres pour marier tes dix filles. Le chevalier s'en empara sur-le-champ, et lui fit payer les dots dont il avait besoin (2).

(1) Edit. publiée par M. de Wailly pour la Société de l'Histoire de France, chap. XX.

(2) « Idem (comes Theobaldus) habens coram se militem supplicantem >> eum juvaret ad maritandum filias suas, cum decem haberet, cogitans » tacuit. Quod videns quidam homo suus ditissimus, servus proprii » capitis, cum excusavit, dicens quod non habebat unde. Miles autem » ut indigens devotissime supplicabat. Homo autem ille quod comes >> non habebat ferociler replicabat. Tunc comes militi: Mentitur, » quia ipse ipsum habeo ad dandum, qui servus meus est, et ipsum » tibi do. Redime bene eum, quia bene habebis decem milia librarum

Il importe de fixer l'époque à laquelle a été rédigée la compilation dont j'ai l'honneur d'entretenir l'Académie. Il suffit de la parcourir pour y reconnaître une œuvre du XIIIe siècle, et cette première impression se trouve confirmée par l'examen des détails. A deux reprises, le nom de saint Louis s'y rencontre sans être accompagné de la qualification de saint (1), ce qui, surtout dans un recueil de cette espèce, dénote une date antérieure à la canonisation, c'est-à-dire à l'année 1297. D'autre part, l'auteur mentionne un tournoi tenu à Meaux en 1264 (2), et un miracle arrivé à Nogent-le-Rotrou en 1267 (3). La compilation appartient donc à la seconde moitié du XIIIe siècle.

En tenant compte des lieux qui sont le théâtre ordinaire des événements racontés dans la compilation, on est conduit à supposer que l'auteur vivait dans la Touraine, le Maine ou l'Anjou. C'est en effet à ces trois petites provinces qu'appartiennent les noms topographiques qui reviennent le plus souvent sous sa plume.

Quant à la condition de l'auteur, tout porte à croire qu'il était de l'ordre des Dominicains. La manière dont il parle à plusieurs reprises des moines et des membres du clergé séculier cadre exactement avec ce que nous savons des tendances des Dominicains au XIIIe siècle; ce qui est d'ailleurs décisif, c'est que l'auteur se plaît à citer les noms d'un assez grand nombre de Dominicains (4).

» ad tuas decem filias marilandas. » Miles statim eum cepit et filias >> maritavit. » Fol. 120 du manuscrit de Tours. Fol. 476 vo du manuscrit de Baluze.

[ocr errors]

(1)« Regina Francie Margarita, uxor Ludovici regis... » Fol. 71 vo du manuscrit de Tours. « Conventus sororum ordinis Predi>> catorum factus Rothomagi a rege Ludovico... » Ibid. fol. 468 vo. (2) Fol. 62 du manuscrit de Tours.

(3) Fol. 15 du manuscrit de Tours.

>>

(4) Fratre Gauffrido de Tumbavilla, de ordine Prædicatorum, in >> conventu Carnotensi existente, qui anno Domini MCCLXVII... Fol. 15. - «Frater Guillermus de Stampis, magister in theologia de - «Frater Jordanus, magister ordinis «Frater Adam de Valle Guidonis. >>

>> ordine Predicatorum. » Fol. 46. » Predicatorum. » Fol. 46 vo.Fol. 54 vo.

« Quidam frater de ordine Predicatorum de conventu

Frater Johannes, magister ordinis - « Quidam frater ordinis

» Valencenarum. » Fol. 57 vo.
» Predicatorum, bone memorie. » Fol. 58.

Ainsi, selon toute apparence, la compilation copiée dans le manuscrit de Tours a été faite dans la seconde moitié de XIIIe siècle par un Dominicain qui connaissait particulièrement la Touraine, le Maine et l'Anjou.

Ce que j'ai déjà dit de ce recueil laisse entrevoir qu'il sera consulté avec profit pour l'histoire des mœurs au XIIIe siècle. Par exemple, dans le chapitre intitulé: Exempla clericorum (1), on trouvera beaucoup de détails sur les habitudes des écoliers dans les universités du moyen âge. Le chapitre relatif aux histrions (2) fournira plus d'un trait piquant à l'écrivain qui voudra peindre la vie errante des anciens jongleurs. Il nous fait connaître un assez bizarre personnage, Hugues le Noir, dont les plaisanteries étaient proverbiales au XIII siècle (3). Banni de France pour quelque mauvais tour, il se réfugia à la cour d'Angleterre. Un soir, le roi Jean le conduisit à ses cabinets. Il avait fait peindre sur la porte Philippe-Auguste avec un seul œil : << Vois donc, dit-il, en montrant cette image, vois donc, Hugues, comment j'ai arrangé ton roi. Vraiment, répondit le jongleur, vous êtes sage.- Pourquoi donc ? reprit le roi. - Parce que vous l'avez fait peindre ici. - Et pourquoi encore? - Parce qu'il est merveilleux qu'en le voyant vous ne soyez pas tous dévoyés. » Après ce mot, Hugues le Noir ne jugea pas prudent

[ocr errors]

>> Predicatorum Gandavensis conventus. » Fol. 59 vo. << Episco» pus Bethlemitanus de ordine Predicatorum, nomine Thomas de Len» tino. Fol. 70 v°. Thomas fut évêque de Bethléem de 4255 à 1267; voyez Gallia christiana, XII, 689.

[ocr errors]

(1) Fol. 77 vo.

(2) Fol. 144.

[ocr errors]

Quia fecisti depingi eum.

[ocr errors]

(3) Idem manens cum rege Anglie duxit eum cum lumine ad » cameras. Rex autem fecerat depingi in hostio camerarum intus regem » Philippum monoculum, et ait rex: « Vide, Hugo, quomodo fedavi >> regem tuum, Vere, dixit, sapiens estis. Quare, inquit, hoc » dicis ? Et quare? Quia est admi» rabile quod quando viditis (sic) eum que vous ne vous effouriez touz. » Idem forbanizatus de terra regis fugit in Angliam. Et quando >> dixit regi Anglie hoc verbum, timens, rediit et venit de mari per » Secanam usque ad sanctum Germanum, et mandavit regi quod mit>> teret sibi ad manducandum. Nonne, inquit rex, forbanizatus erat? Suspendatur. Verum est de terra, non de aqua. Ego, inquit, >> sum in aqua. » Tunc ad mandatum regi[s] veniens, rogantibus » militibus, narravit verbum quod dixerat regi Anglie, et fecit pacem. » - Fol. 144 v°o.

[ocr errors]

ANNÉE 1868.

[ocr errors]

26

de rester en Angleterre. Il s'embarqua, traversa la Manche et remonta la Seine jusqu'à Saint-Germain-en-Laye. De là il pria Philippe-Auguste de lui envoyer à manger. A cette demande, le roi s'écria « Quoi! n'était-il pas banni? Qu'on le pende. >> Pour toute réponse, Hugues fit cette observation : « Oui, je suis banni de la terre, mais non pas de l'eau: or je suis sur l'eau. Philippe-Auguste cédant aux prières de ses chevaliers, fit venir Hugues à sa cour: il lui rendit ses bonnes grâces, quand il sut le propos qu'il avait tenu à Jean-Sans-Terre.

[ocr errors]

Le jongleur Hugues le Noir paraît se rattacher à la même famille que le chanoine Primat, dont le caractère est bien connu depuis la publication de la chronique de frère Salembene, et sur lequel la compilation de Tours nous apporte quelques renseignements nouveaux. Il est, en effet, plusieurs fois question de Primat dans la neuvième division de cet ouvrage. Nous y trouvons d'abord (14) les vers qu'il composa quand il fut privé de sa prébende :

Canonici, cur canonicum, quem canonicastis
Canonice, non canonice decanonicastis?

Ces vers ont eu une certaine vogue: ils sont copiés dans un manuscrit de la bibliothèque d'Arras (2), et M. Paul Meyer les a relevés dans un manuscrit d'Oxford.

Citons encore le distique relatif à une vieille pelisse usée, dont on avait fait cadeau à Primat :

Res est archana de pellicea veterana,
Cujus germana turris fuit Aureliana (3).

Le passage le plus intéressant est celui qui parle du séjour de Primat à Orléans, et des jeux par lesquels les clercs d'Orléans et ceux de Blois s'exerçaient à la versification latine. Le texte du

(4) Fol. 186.

(2) No 799 du classement suivi dans le catalogue des manuscrits d'Arras qui formera la première partie du tome IV du Catalogue général des manuscrits des bibliothèques des départements.

(3) Fol. 186 vo. Le manuscrit porte par erreur fuit turris.

« ZurückWeiter »