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bien conservées : l'une a la direction du nord au sud et conduisait certainement à Tomis; l'autre gravit la montagne qui est à l'est de Babadag. J'ai suivi d'abord cette dernière, attiré de ce côté par les ruines pittoresques d'un château-fort, placé sur la cime d'un escarpement rocheux de plus de cent cinquante mètres au-dessus du lac Raselm, et à l'extrémité de cette ramification extrême des Balkans. Cette ruine, qui porte sur les cartes, je ne sais pourquoi, le nom de monastère de Saint-Georges, est à trois heures de marche à l'est de Babadag. C'est un château du vie siècle dont l'enceinte est conservée jusqu'à la hauteur du premier étage, et dont les tours rondes et hexagonales rappellent par leur construction à la fois celles de Troesmis, de Dinogetia, et la porte de Saint-Sébastien de Rome, laquelle fut refaite, comme on sait, par Bélisaire. Nul doute pour moi que les ruines d'Ienissaleh ne représentent les restes d'une des défenses de Justinien mentionnées par Procope, et il n'est peut-être pas très-difficile de lui rendre son nom. Au pied, à mi-côte, est le village roumain d'Ienissaleh. Il y a eu là des établissements plus anciens que celui de la forteresse, et j'y ai relevé une inscription grecque en vers doriens, laquelle renferme des allusions intéressantes à la fondation de Tomis et donne à cette ville la qualification de Maтρóлоλis Esεlvoto, métropole du Pont-Euxin, nom qui, jusqu'à présent, n'était connu que par les médailles (1), et encore ces médailles ne mentionnent-elles que ΠΟΝΤΟΣ et non ΕΥ̓ΞΕΙΝΟΣ.

» J'ai quitté Babadag par une pente rapide au milieu des forêts qui couvrent le flanc méridional des montagnes d'lenissaleh.

» La route ou plutôt la direction qu'on prend, car, de routes, je n'en ai vu d'autres dans la Dobrudja que la chaussée neuve entre Toultcha et Babadag que personne ne suit, longe le lac Raselm à gauche.

» A quarante kilomètres environ au sud de Babadag, à une demi-heure au delà du petit village bulgare de Karanasov, est un magnifique amas de ruines dont toutes les pierres n'ont pu servir encore aux tombes du cimetière qui en occupe une partie ou aux besoins du village voisin. J'y ai vu des chapiteaux de marbre, des fûts de colonnes, des pierres immenses, dont un grand nombre devaient porter des inscriptions, disparues aujourd'hui. Je n'en ai trouvé qu'une seule, en grec, et intéressante. Cet imposant ensemble de ruines, le luxe qui avait présidé à ces constructions dont les débris jonchaient le sol, la proximité du golfe formé aujourd'hui d'un enfoncement du lac Venetz, ouvert certainement autrefois sur la mer, enfin les mesures des Itinéraires, m'ont fait penser que j'étais près d'une ville grecque et que cette ville était la célèbre Histropolis, une des cités de la Pentapole.

Mais à ving-deux kilomètres plus au sud, sur un autre golfe, à sec aujourd'hui, près du cap Midia, sont des ruines plus considérables encore. Elles entourent les deux villages tartares de Grand et de Petit Gargalik. Dans le vaste cimetière, établi au milieu d'un champ couvert de monuments grecs, de temples dont les colonnes sont encore en place, de fûts cannelés de l'ordre de Pæstum, de tombeaux anciens malheureusement convertis en sépultures modernes, j'ai trouvé une seule inscription que j'ai déterrée en partie, opération toujours difficile en pays musulman; elle m'a donné un texte grec assez peu important.

» A vingt-cinq kilomètres au sud, est Kostendjé. J'ai remarqué que sur toute cette côte, depuis le lac Raselm, la mer avait élevé un véritable rem

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part de dunes, comme sur la côte du Latium. La même cause a produit les mêmes effets. Les golfes se sont ou desséchés, ou transformés en étangs, et les anciens lacs ont cessé d'avoir leur écoulement naturel dans la mer. De là l'abandon des ports, des villes, puis de tout le rivage; de là les fièvres si fatales à nos soldats sur les bords du Suth-Gheul (lac de lait) et du lac Tasoul.

» Par contre, la mer, qui d'un côté a apporté ses sables et s'est enfermée elle-même, suivant l'expression si juste de M. ELIE DE BEAUMONT, a, d'un autre côté, rongé profondément la roche à Kostendjé, où les anciennes constructions romaines exposées au nord sont sans cesse battues et démolies par les vagues qui en sapent les fondations. C'est ce même phénomène double que j'ai remarqué partout dans la Méditerranée, à Alexandrie où les palais des Ptolémées apparaissent en ruines sous les eaux, à Fos où les débris du port des Fossa Mariana se sont effondrés sous l'action du ressac maritime.

» Tomis, qu'on n'aurait jamais dû chercher ailleurs qu'à Kostendjé, puisque ce nom turc n'est autre chose que la transcription de Constantia, appellation imposée, comme on sait, au ive siècle, à la ville grecque, ancienne métropole du Pont-Euxin, Tomis offre à l'antiquaire qui y séjourne quelque temps, le douloureux spectacle d'une mine inépuisable de monuments intéressants incessamment détruits, ou employés dans les travaux de construction du chemin de fer ou des magasins de blé. Car Kostendjé prospère, sa population s'accroît, et j'y ai vu régner une activité extraordinaire ; plus de quarante navires grecs et anglais y chargeaient le blé que les wagons apportaient de Czernavoda, et les chariots tartares, de toute la côte que je venais de parcourir. Heureusement l'idée est venue à quelques Grecs, qui ont fait récemment construire des magasins, d'épargner les bas-reliefs et les inscriptions tout en employant les pierres, et d'en faire un ornement à peu de frais en tournant la face gravée ou sculptée de ces monuments vers la paroi extérieure de leurs constructions. A ce soin délicat, à cet instinct d'élégance intelligente, on reconnaît encore le Grec, descendant des colons de Milet.

» Qui se résignerait au sort d'Ovide et consentirait à habiter Tomis, pour l'amour des antiquités, surveillant toutes les démolitions et toutes les bâtisses, aurait au bout de quelques années un musée et un corpus d'inscriptions locales. En ne faisant pour ainsi dire qu'y passer, j'ai pu faire plusieurs dessins et y estamper sept inscriptions inédites.

» Parmi ces dessins figure le bas-relief d'un navire dont les détails de la voilure, des gréements et du fanal présentent des particularités curieuses et nouvelles; une pierre tombale m'a donné le buste d'un signifer portant son enseigne sculptée avec soin et en grand détail.

>> Parmi les inscriptions, je citerai un monument qui nous révèle des faits particuliers sur l'administration locale de Tomis pendant l'époque romaine, et nous fait connaître une ambassade envoyée à Rome par cette métropole, car c'est le nom qu'on lui donne dans cette inscription comme dans celle de lenissaleh.

» Une autre nous fait connaître le nom d'une tribu de la cité qui a couronné son phylarque.

» Une autre enfin, la plus importante de toutes, nous donne le cursus honorum complet de L. Annius Italicus Honoratus, personnage consulaire déjà connu par d'autres monuments et qui figure à Tomis comme légat propréteur de la province de Mésie inférieure. Cette inscription nous révèle encore l'existence et le nom d'une voie de la campagne romaine, et des

faits nouveaux dans l'organisation de la préture à Rome; enfin, le nom également inconnu d'une aile de cavalerie. »

M. Ernest Desjardins a mis sous les yeux de l'Académie, à la séance du 24 février, un estampage de cette inscription, et il en a présenté l'explication suivante.

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CVR VIAE LAVIC ET LAT VEEL
PRAETORI · QVI · IVS · DIXIT · IME

10. CILET CIVIS ET PEREG TRIB.

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L'O final de la première ligne est brisé; il en est de même des lettres finales des lignes suivantes : L qui devait être suivi d'un I à la seconde, R à la troisième, F à la cinquième, R à la huitième. Il n'y avait rien après les trois lettres liées NTE qui terminent la neuvième. Le commencement de la dixième ligne est brisé; mais la cassure laisse voir distinctement le bas de deux premières lettres qui doivent avoir été CI; il y a place pour une troisième lettre qu'un éclat de la pierre a fait disparaître entièrement. On voit ensuite le bas de deux lettres semblables, sans doute EE, qui forment les quatrième et cinquième de cette ligne;

le second E n'est pas douteux, non plus que le T qui le suit. Enfin la quinzième ligne se termine par les trois lettres liées NAE dont la dernière est entamée.

Le personnage historique dont il est ici question, L. Annius Italicus Honoratus, et dont l'inscription de Tomis nous donne le cursus honorum complet, est déjà connu par deux inscriptions de l'Hofbibliothek de Vienne, toutes deux publiées. Voici la première :

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(Maffei, Museum Veronense, p. 226, no 2. Grüter, p. 5, no 3, inexacte GLAVDIA pour GAVIDIA, à la 11° ligne.)

« A Jupiter très-bon, très-grand, à Junon reine, à Minerve; L. Annius Italicus Honoratus, légat de l'Empereur de la légion Treizième Gemina Antoniniana, préfet du trésor militaire, sodalis du collége des [prêtres] hadrianaliens, [a élevé ce monument] avec sa [femme] Gavidia Torquata, ses fils Annius Italicus et Annius Honoratus, et sa fille Annia Italica.

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« A la victoire de l'Empereur Antonin; L. Annius Italicus Honoratus, légat de l'Empereur de la légion Treizième Gemina Antoniniana, préfet du trésor militaire, sodalis du collège des [prêtres] hadrianaliens, [a élevé ce monument] avec sa [femme] Gavidia Torquata, ses fils Annius Italicus et Annius Honoratus, et sa fille Annia Italica.

Ces deux monuments ne nous font connaître que la première partie de la carrière de L. Annius Honoratus. Il n'avait été encore que préteur. Quoique cette magistrature ne soit pas exprimée, il est certain qu'il l'avait exercée ainsi que le tribunat du peuple ou l'édilité et la questure, puisqu'il fallait avoir passé successivement par ces trois degrés de la carrière sénatoriale pour obtenir le commandement d'une légion et la préfecture de l'ærarium militare.

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