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sait dans un temple de la ville ou jetait dans un lac voisin, avaient fait de Tolosa la plus riche ville des Gaules. Le consul Servilius Cépion s'en empara et en tira, dit-on, cent dix mille livres pesant d'or, et quinze cent mille d'argent. Il dirigea ce trésor sur Marseille et le fit enlever sur la route par des gens à lui qui massacrèrent l'escorte. Jugurtha vaincu livrait à Métellus deux cent mille livres pesant d'argent. En outre, le général romain mettait la main sur Thala, dépôt de trésors du Numide. Cette affluence d'or brusque et soudaine ne s'arrête pas jusqu'à César.

III

LE LUXE AU TEMPS DE SYLLA.

La relation qui unit la question du luxe romain aux proscriptions de Sylla (82-81), est pour ainsi dire écrite en caractères de sang. On proscrit, on tue par cupidité; une tête de proscrit vaut jusqu'à deux talents. Le mobile de quelques-uns de ces massacres est si bien le désir de se procurer les jouissances du luxe, que l'un périt pour son palais, l'autre pour ses jardins, celui-ci pour ses bains dallés de marbre, celui-là pour ses vases de Corinthe et de Délos, pour son argenterie, ses étoffes précieuses, ses tableaux, ses statues. On connaît l'histoire de ce citoyen paisible, étranger à toute politique, qui, jetant les yeux sur la table de proscription affichée publiquement, y voit son nom figurer en tête: « Ah! malheureux, s'écrie-t-il, c'est ma maison d'Albe qui m'a tué. » Combien, sur les cinq mille proscrits, purent en dire autant! Les biens des proscrits étaient confisqués et vendus à l'encan. En Italie, des peuples furent proscrits en masse. Les plus riches cités, Spolète, Préneste, Terni, Florence, furent comme vendues à l'encan. Cicéron, dans le plaidoyer pro Roscio, qui marque glorieusement son début, et où il fait preuve d'un vrai courage contre les proscripteurs encore puissants, peint le luxe et l'arrogance de Chrysogonus, affranchi de Sylla; cette peinture donne l'idée de ce qu'était à cette époque le luxe d'un riche Romain. Ainsi Chrysogonus possède sur le Palatin une belle maison, où il entasse tous les objets précieux qu'il a arrachés à ses victimes. Ce sont des bijoux, des meubles précieux, des objets d'art. Le bruit de ses fêtes remplit le voisinage; ce ne sont que chœurs de musiciens et de chanteurs. Lui-même est un élégant, un homme à la mode; il voltige, dit Cicéron, les cheveux bien peignés et luisants de parfums. On peut y voir le type de toute une catégorie de proscripteurs par cupidité,

que Cicéron, par une alliance de mots expressive, nomme « des coupeurs de têtes et de bourses. »

Sylla lui-même offre une image trop souvent repoussante de ce luxus romanus, qui, outre ce que nous mettons aujourd'hui sous le mot de luxe, y ajoute encore une idée honteuse de vice et de débauche. Il pille beaucoup, non plus comme les généraux de l'école antérieure, pour faire honneur des dépouilles au Trésor public et aux temples des dieux, mais pour lui-même et pour la satisfaction personnelle de sa cupidité et de son faste. C'est dans ses coffres que va s'accumuler, pour une bonne partie, l'argent enlevé à l'ennemi; c'est dans ses appartements que s'étalent les objets ravis aux villes prises. Il pille le temple de Delphes, en raillant le dieu fort agréablement. Il passe ses nuits en débauches et en festins avec les comédiennes et les histrions de la plus basse espèce. Ses profusions publiques sont célèbres. Nul, avant César, n'a donné une plus vive impulsion à ce genre de dépenses destinées à nourrir et à amuser les citoyens pauvres. Tel fut la prodigalité d'un de ces repas publics, que, pendant plusieurs jours, on jetait dans le Tibre une quantité prodigieuse de viandes; on y but des vins très recherchés qui avaient plus de quarante ans. C'est de la même façon que des sommes énormes furent distribuées en son nom aux obsèques de sa première femme Métella.

Mais son luxe privé ne perdait rien à ces libéralités de son luxe public. Sans sortir de sa demeure, on pouvait se croire transporté dans les plus riches temples de la Grèce, dans le temple d'Esculape à Epidaure, de Jupiter à Elis, dans le temple d'Apollon. C'est à Delphes qu'il avait pris ce petit Apollon en or qu'il emportait toujours avec lui, son dieu de voyage, selon l'expression de Winckelmann, qu'il baisait fort dévotement dans les circonstances graves; car ce railleur des dieux avait, ainsi que Marius, ses superstitions et ses moments de crédulité. On admirait sa statuette d'Hercule, par Lysippe, en bronze; Hercule y était représenté assis sur un rocher; il était recouvert de la peau du lion de Némée et tenait d'une main une massue, de l'autre une coupe. A la transmission de cette œuvre d'art s'attachait toute une légende qui en rendait la possession inappréciable. Lysippe l'avait donnée à Alexandre, qui adorait son petit Hercule. Elle était tombée plus tard entre les mains d'Annibal, grand amateur de bronzes, et dont la collection, après sa mort, avait passé aux mains du roi Prusias. Sylla, en outre, aimait passionnément les beaux livres et les raretés manuscrites. L'heureux bibliophile avait mis la main sur une partie de la bibliothèque d'Aristote. Il possédait même et montrait avec orgueil des manuscrits originaux du grand philosophe, qu'il avait enlevés, lors de la prise d'Athènes, à Apellicon de Téos.

Cet homme fastueux fit des lois destinées à ramener la simplicité primitive; ce citoyen, dont les repas publics n'avaient point encore été égalés, édicta des mesures contre le luxe des tables et la loi Cornélia essaya de faire revivre la loi Fannia, tombée en désuétude; ce débauché légiféra en faveur des mœurs et de la sainteté de la famille. C'était, au reste, quels que fussent les exemples personnels du dictateur, la seule sanction, la seule justification d'une politique qui visait, à travers des flots de sang, à la restauration du passé. Il n'en est pas moins malheureux, pour l'effet moral de ces lois mêmes, qu'elles aient eu pour auteur un homme dont les vices avaient altéré le sang jusqu'à changer son corps en vermine, et dont l'image, en dépit de ses talents remarquables et de sa grande supériorité, rappelait trop de crautés et trop de désordres privés pour inspirer le respect dont se passe difficilement un réformateur de mœurs. Qu'on discute sur le point de savoir s'il retarda ou hâta par sa dictature la chute de la république, toujours est-il qu'il n'arrêta ni ne modéra les progrès du luxe privé, non plus que les progrès de ce genre de luxe public, qui, à cette époque, consistait en distributions faites au peuple.

Les laideurs morales de Sylla, que ne fait pas oublier son goût éclairé pour la statuaire et pour les livres, profitent aux figures qui l'entourent, et ce n'est pas sans une sorte de soulagement qu'on reporte ses regards sur un amateur de tout luxe élégant, sur Lucullus, auquel sa distinction d'esprit et sa passion pour les arts et les lettres prêtent quelques-uns des traits qui recommandent les Scipions. Il n'est pas moins vrai que ce caractère immodéré, qui marque le luxe, éclate dans l'homme que le jurisconsulte Tubéron appelait un « Xerxès en toge, » Xerxes togatus. C'était le nom qui convenait à cette lutte contre les obstacles, que rien n'arrêtait; à ce goût du rare et du difficile, à ces prodigieux ouvrages exécutés sur le rivage de la mer, près de Naples; à ces montagnes percées, à ces canaux creusés autour de ses maisons pour y faire entrer l'eau de la mer et ouvrir aux plus gros poissons de vastes réservoirs; à ces palais enfin bâtis dans la mer, à cette variété de villas situées à toutes les expositions pour toutes les saisons, à ces lits de pourpre, à ce service de vaisselle ornée de pierreries, et à ces mets rares et exquis dont il composait même son ordinaire. Le mot si connu de Lucullus à son cuisinier, qui s'était un peu négligé parce qu'il n'y avait point d'invités «Eh! ne savais-tu pas que Lucullus soupait ce soir chez Lucullus?» ce mot montre assez que ce riche romain aimait à jouir du luxe, même en dehors des regards étrangers; non pas qu'il dédaignât de les éblouir. Je renvoie à Plutarque pour les preuves, et je ne lui emprunte que ce détail. Lorsque le fastueux

romain que nous prenons ici commə type disait ces mots : « Esclave, on soupe demain dans l'Apollon » (c'était le nom de la plus belle de ses galeries), cela signifiait : le souper sera de cinquante mille drachmes, environ quarante-cinq mille francs de notre monnaie. Il donna un jour un de ces festins à Pompée et à Cicéron, à peu près seuls invités. Il s'était engagé à ne rien changer à son ordinaire; mais c'est l'ordinaire de la salle de l'Apollon qu'il entendait. Des chiffres comme ceux-là paraissent fabuleux. L'indication de quelques-uns des prix des denrées rares, que nous donnerons tout à l'heure en les expliquant, rend pourtant ce chiffre de quarante-cinq mille francs vraisemblable, et on incline à le trouver digne de foi, lorsqu'on songe qu'un homme tel que Lucullus était en possession de ce que l'Orient, la Grèce et l'Italie pouvaient offrir, comme mets et comme vins, de plus rare et de plus précieux.

Ce qui sauve du mépris attaché à la préoccupation trop exclusive des biens matériels cet illustre représentant du luxe romain, c'est qu'il avait gardé du moins un goût très vif des choses de l'esprit. Aujourd'hui encore, comme aux yeux de ses plus honnêtes contemporains, sa bibliothèque fait excuser un peu sa salle à manger, et son esprit actif et brillant témoigne que la satisfaction des sens n'était pas tout pour lui. Il avait fait de sa bibliothèque « l'hostelière des muses,» selon l'expression d'Amyot traduisant Plutarque. Tous les Grecs présents à Rome venaient y travailler et y converser, et ce général qui avait vaincu Mithridate, cet administrateur habile de plusieurs provinces, qui avait fait rendre gorge aux publicains alliés de Marius, souvent se mêlait pendant des heures à de savants entretiens sur l'art et sur la philosophie. Cicéron nous apprend qu'il aimait toutes les écoles, se montrait curieux de tous les systèmes, et qu'il en parlait en vrai connaisseur. Disciple lui-même de l'ancienne académie, il avait fait du chef de cette secte, Antiochus l'Ascalonite, son commensal et son ami. Dans ces temps sanglants et infâmes par tant de côtés, on se laisse aller presque à parler avec une sorte d'indulgence de tout ce qui atteste encore, au sein de l'universelle et grossière décadence, des instincts intellectuels un peu relevés.

Pour ne pas faire en quelque sorte double emploi avec ce qui vient d'être dit de Lucullus et de Sylla, je ne parlerai de Crassus que pour ce qui paraît distinguer son luxe et sa richesse et marquer en quelque sorte de nouveaux éléments ajoutés au luxe romain. C'est surtout par les nouveaux moyens de s'enrichir qu'il se distingue. Ce n'est point seulement un pillard de provinces, mais un spéculateur très habile qui, né de nos jours, aurait imaginé et réalisé, sans aucun doute, toutes sortes de moyens ingénieux de faire fortune. Frappé de la fréquence des incendies à Rome, il spéculait sur

2e s.TOME LXI.

les maisons incendiées, ayant tout un matériel et tout un personne préparés pour éteindre le feu, et aussi pour réparer et construire les maisons endommagées ou détruites par la flamme. Par une inspiration non moins heureuse, il avait dressé ses esclaves à toutes sortes de métiers qu'il leur faisait exercer à son grand profit. Enfin, il excellait, dit-on, dans l'exploitation des mines. Quand il fit évaluer sa fortune, elle se trouva être de 40 millions de notre monnaie 1. Ce qui le distingue ensuite, c'est la quantité énorme d'argent qu'il dépensa en libéralités publiques consacrées non plus seulement à la plèbe, mais à acheter les consciences une à une. Il s'assura par ce moyen les plus grands personnages. Il cautionna César pour une somme égale à 5 millions, prêta sans intérêt à beaucoup de gens. On sait, en outre, qu'il donna un banquet de dix mille tables, fit distribuer du blé à chaque citoyen pour trois mois, entretint des troupes de gladiateurs, usage qui se répandit alors et qui devait fournir une armée de sicaires aux grands agitateurs, toujours prête pour les moments critiques. Tout cela est du luxe assurément, du luxe colossal; le monde n'avait jamais vu, il ne devait pas revoir de pareils déploiements de faste et de profusions de la part de simples particuliers.

C'est de ce moment que datent aussi les vastes constructions élevées par les particuliers en vue d'amuser la foule, et les imitateurs de Crassus allèrent encore plus loin que lui. Le théâtre de Scaurus est resté célèbre. Pline en parle avec indignation, ainsi que de l'homme qui l'éleva et qu'il accuse d'avoir porté aux mœurs publiques un coup plus funeste que Sylla lui-même. Sylla était le beau-père de Scaurus et lui avait laissé une immense fortune. Qu'on se fasse une idée de ce colossal théâtre dont la scène était à trois étages, soutenus par trois cent soixante colonnes. Le premier étage était de marbre, le second de verre, genre de luxe dont on n'a plus revu d'exemple, remarque Pline, et le dernier était de bois doré. Les colonnes du rang inférieur avaient trente-huit pieds. Les statues d'airain, placées dans les entre-colonnements, étaient au nombre de trois mille. L'amphithéâtre contenait quatre-vingt mille spectateurs. Les étoffes attaliques, les tableaux et les autres décorations du théâtre, montaient à une somme énorme. Ce même Scaurus fit transporter à sa maison de Tusculum tout ce qui n'était pas nécessaire pour l'usage journalier de son luxe; ses esclaves y mirent le feu par vengeance.

Il serait facile de multiplier les exemples du même genre de constructions. Curcus voulait donner des jeux funèbres en l'honneur de son père. Il imagine de faire construire en bois deux théâtres très

Pline, liv. XXXVI, 24.

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