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de l'hiver les ont chassées de Civita-Vecchia, où elles semblaient prêtes à prendre la mer pour regagner Toulon, et les ont poussées plus avant dans l'intérieur des terres. Il est impossible que cette situation se prolonge, et, pour qu'elle ait une fin, il faut refaire avec la France de nouveaux engagements, que nécessairement le Parlement devra ratifier. Peuton espérer que le gouvernement actuel aura, sur la représentation nationale, assez d'autorité pour accomplir un acte aussi important et aussi décisif? N'y a-t-il pas plutôt lieu de craindre que tout ce que proposera, dans cet ordre d'idées, un ministère qui est né sous l'influence de la pression étrangère, sera systématiquement repoussé? En admettant même - hypothèse absolument gratuite que ces questions brûlantes puissent être écartées, et que l'on puisse s'occuper tout d'abord de l'organisation politique et financière, est-il admissible qu'une œuvre de cette importance, qui exige du temps et des efforts continus, à laquelle ont échoué déjà plusieurs cabinets formés dans des conditions moins anormales, soit menée à bonne fin par des ministres qui n'ont d'attaches ni dans le Parlement ni dans le pays, et qu'un vote peut d'un moment à l'autre renverser?

Où sont donc les hommes qui peuvent, à l'heure qu'il est, faire en Italie œuvre durable? Ils sont dans la majorité parlementaire, ils sont dans ce courant d'idées auquel le dernier mouvement garibaldien a imprimé une si violente impulsion. Le pays lui-même les désigne en faisant éclater sur leur passage les acclamations les plus sympathiques. Leur attitude pendant la crise, trop sévèrement jugée en France, a été un hommage rendu à l'opinion publique ; ils ont même donné à cet hommage une saveur plus agréable en faisant plier, devant les entraînements du pays, les résistances que leur commandait leur position officielle. Leur popularité est faite tout entière de cette condescendance et de l'énergique volonté qu'ils ont manifestée de ne pas laisser les troupes françaises arriver à Rome les premières. Ils ont certainement joué un jeu subtil en voulant concilier des intérêts et des devoirs inconciliables; mais leur patriotisme du moins est resté à l'abri des soupçons, et c'est là ce qui fait aujourd'hui leur force et ce qui leur donne, dans le pays, une telle influence, que rien ne peut plus se faire que par eux. Ils sont les intermédiaires obligés entre la France et la nation italienne. De leurs mains, l'Italie acceptera une nouvelle convention avec la France; elle acceptera de nouveaux ajournements qu'ils auront reconnus bons et utiles; elle acceptera des plans administratifs et des plans financiers. La confiance dont ils jouissent fera renaître la bonne entente un moment compromise entre la monarchie et la nation, et sauvera l'unité. Il est donc indispensable que le gouvernement italien s'organise avec les hommes qui représentent vraiment la politique nationale. Avec eux, on sortira des situations équivoques, des interminables compétitions parlementaires, des expéditions aventureuses qui compromettent l'ordre public, violent la légalité et menacent même la paix de l'Europe; avec eux on sortira des budgets provisoires et de ce continuel danger de la banqueroute, qui porte de si rudes atteintes au crédit de l'Italie. La nécessité d'échapper à la phase tourmen

tée qu'elle traverse s'impose à l'Italie comme un impérieux devoir; l'Italie comprend que le moment est venu de reprendre haleine et de devenir une nation sérieuse, capable de tenir son rang en Europe. Pour peu que des influences étrangères veuillent bien ne pas irriter à tout propos son patriotisme, elle est prête à rentrer en elle-même et à ne porter aucun trouble dans l'harmonie générale des Etats.

La paix européenne ne court donc aucun risque si nous-mêmes, qui avons autant d'intérêt que personne à la maintenir, ne faisons rien pour la compromettre. L'Europe sera rassurée si la France est satisfaite. L'effort de nos hommes d'Etat doit tendre à nous donner une plénitude de bien-être et un bonheur serein qui nous ôtent l'envie de noyer nos mécomptes dans l'ivresse de la gloire. Il ne faut pas non plus que le gouvernement se voie dans la nécessité de demander aux succès de la guerre une force qu'il ne trouve plus dans la pratique des vertus de la paix. Il a été mal inspiré en proposant un plan de réforme militaire qui n'a pas eu la bonne fortune de plaire au pays, et qui lui a fait rencontrer, dans le sein même du Corps législatif, plus d'adversaires qu'il ne croyait en avoir. Il est fâcheux qu'il ne soit pas possible de retirer la loi sans exposer à un trop grand échec le pouvoir exécutif. Dans d'autres pays, où fonctionne le régime parlementaire, une loi impopulaire peut toujours être rapportée sans entraîner d'autre inconvénient que la retraite des ministres qui en ont été les promoteurs. Le cas vient de se présenter en Portugal, où le nouveau cabinet, présidé par le comte d'Avila, demande à la Chambre des députés le retrait d'une loi impopulaire, discutée et votée sur l'initiative de ses prédécesseurs. En France, de tels repentirs ne sont guère compatibles avec la dignité du pouvoir impérial, que rien ne couvre et qui est, pour ainsi dire, condamné à toujours avoir raison.

Mais il peut du moins chercher une diversion au déplaisir qu'il vient de causer au pays et qui a même gagné les chaumières, où le culte napoléonien avait conservé d'inaltérables sympathies, en s'appliquant à apaiser par de plus heureuses réformes le sentiment des masses. S'il est vrai que l'Empire n'a plus dans le pays, depuis quelque temps, la même unanimité d'adhésions, la cause en est dans les tendances réactionnaires et dans le besoin immodéré de répression auxquels le gouvernement se laisse entraîner. Il sortira de cette mauvaise voie s'il revient aux idées libérales qui, l'année dernière, ont été un moment sur le point de prévaloir. L'occasion va lui être donnée bientôt d'opérer ce salutaire retour. Lorsqu'il se sera débarrassé, par un vote dont le résultat n'est que trop prévu, de la loi du recrutement, le Corps législatif sera saisi des projets de loi sur la presse et sur le droit de réunion. Les esprits, il faut le dire, sont mal disposés en faveur de ces réformes, à qui des influences funestes ont enlevé leur premier caractère et leur véritable portée. Le projet de loi sur la presse est aux mains d'une commission qui a des idées arrêtées et inflexibles sur des matières qu'elle connaît mal; et ce qu'il y a de pire, c'est que cette commission ne veut pas être éclairée. Son rapporteur n'a rien voulu changer à son travail, qu'il déclare parfait et qu'il est prêt à défendre tel quel contre vents et marée. Cette affaire, donc, se présente en

core sous de fâcheux auspices. Ce serait au gouvernement à intervenir, à cueillir, dans la masse des amendements qui foisonnent, ceux qui lui paraissent répondre le mieux à la justice et à la dignité de la presse. Nous savons bien que c'est demander beaucoup aux ministres à qui va échoir la tâche de défendre le projet de loi; l'un a manifesté hautement et par anticipation sa répugnance pour de telles réformes; l'autre, nouveau venu dans les hautes fonctions de l'Etat, a déjà laissé voir à l'égard des journaux une défiance qui n'annonce pas en M. Pinard un libéral bien chaleureux. Pour rompre avec ces obstacles, il suffirait d'un acte d'énergique spontanéité de la part du chef de l'Etat ; puisque son bon plaisir domine tout et mène tout, qu'il ose vouloir; il n'aura jamais une meilleure occasion d'user de sa toute-puissance. Les intérêts les plus graves sont engagés dans cette question; la prospérité publique, l'ordre public peut-être en dépendent. Il n'y a que deux cris en France, deux cris qui résument vivement et clairement la situation: la liberté ou la guerre. Si nous n'avons pas la première, il nous faut subir la seconde. Il y a une troisième alternative que nous n'acceptons pas et que caressent peut-être déjà, dans le silence de leur pensée, bon nombre d'esprits inquiets. Notre pays a fait assez d'expériences; nous ne lui souhaitons pas d'en faire de nouvelles, et notre opposition se borne à solliciter l'Empire de chercher une base plus solide que celle qu'il croit avoir trouvée. Puisqu'il a le choix entre la liberté et la guerre, qu'il se prononce, sans oublier toutefois que la liberté vivifie et que la guerre a des hasards malheureux, qui tuent quelquefois les peuples et les dynasties.

Le secrétaire de la rédaction: PASCAL PICARD.

CHRONIQUE FINANCIERE.

(1867-1868.)

Nondum sapientes proptereaque libertate indigni. Ils ne sont pas encore sages, et c'est pourquoi ils ne sont pas encore dignes d'avoir la liberté. Si ce n'est pas l'Ecclésiaste qui l'a dit, c'est du moins l'autorité politique; car voici le 19 janvier 1868 arrivé, et les promesses du 19 janvier 1867 ne sont pas encore réalisées. A quoi bon nous leurrer d'espérances? à quoi bon nous montrer une Ithaque désirée, toujours fuyant nos désirs et bravant nos efforts? Dans l'histoire future de la politique du deuxième empire, on notera les tendances des gouvernants et des gouvernés à se rapprocher après un interrègne d'arbitraire. On parlera des dispositions libérales du Souverain; on citera ses paroles et l'on ajoutera que les promesses de l'Empereur n'ont pas été tenues. La liberté, comme la fortune, est boiteuse pour venir; elle est agile à s'en

fuir. Serait-ce qu'il lui faut, comme à l'Hercule de la fable, un long enfantement? Douze mois se sont écoulés, la liberté annoncée le 19 janvier n'a pas encore paru. Sera-t-elle plus grande et plus forte, et sommesnous destinés à la voir naître fière et puissante, capable, au lendemain de sa naissance, de prendre part à des luttes viriles?

Hélas! nous n'osons plus rien dire, nous n'osons plus exprimer de vœux ni de désirs. Les neiges d'antan ont disparu; le ciel est sombre et couvert de nuages; nous nous sentons vieux et nous n'avons plus la force de concevoir des illusions, car une grande année vient de s'écouler et rien de ce que nous attendions n'est venu.

Nous sommes tout à fait dans notre sujet financier lorsque nous affirmons que nous venons de reculer au lieu d'avancer, et que notre gouvernement, qui ne commet plus de fautes, a eu le tort de ne pas réaliser ce qui nous avait été si solennellement promis. Nous n'aimons pas à mêler notre personnalité aux choses que nous écrivons, mais l'exemple que nous voulons fournir de la popularité que pouvait s'acquérir l'Empire par la promulgation de nos libertés nationales est si frappant que nous ne pouvons nous empêcher de le citer. A l'époque du 19 janvier, nous étions encore entre les mains des Moscovites, et, au fond de notre prison, on nous parlait des projets de notre Empereur Napoléon III. Ainsi, des geôliers venaient raconter au Français prisonnier que son Empereur allait donner ou rendre la liberté à la France. Grand exemple perdu pour l'Europe, qui, quoi qu'on en dise, a les regards portés vers nous et qui ne marche à la liberté ou à l'indépendance que si, les premiers, « nous entrons dans la carrière. >>

Un grand historien prétend que les parallèles et les comparaisons sont de purs jeux de rhéteurs, bons tout au plus pour amuser un instant l'esprit du lecteur. Cela peut être vrai si l'on s'obstine à chercher des exemples à Rome et à Athènes; mais quand deux années comme celle que nous venons de traverser et celle dans laquelle nous entrons se présentent, comment ne pas faire un rapprochement pour en tirer une leçon?

Le silence des peuples est la leçon des rois, et les souffrances des peuples sont aussi la leçon de ces êtres privilégiés qui nous dirigent et nous mènent au bien ou au mal, suivant que l'esprit divin les guide ou les abandonne. Delirant reges, plectuntur Achivi, disait Horace autrefois après les guerres des Triumvirs. Mais souffrir pendant la guerre et souffrir pendant la paix, n'est-ce pas trop? Or, durant toute cette année 1867, sans avoir la guerre, nous en avons eu tous les inconvénients; ayant la paix nous avons eu toutes les transes, toutes les inquiétudes, tous les déboires qu'amène une phase de guerre.

Il y a quelques mois, nous disions à cette même place, en songeant à l'hiver, en constatant le chômage des ateliers et les mauvaises récoltes : «Quand on aura à parler d'une année désastreuse, on citera l'année de l'Exposition universelle. » Nous sommes-nous trompé? Sans doute, si l'on consulte les gens qui, dans leurs cafés, dans leurs hôtels, ont été à même d'exploiter les étrangers et les provinciaux, tout va pour le mieux dans notre pays. Mais là n'est pas le cas : il s'agit de l'industrie, il s'agit

des travailleurs, il s'agit du commerce. Quel bilan nous apporte l'année 1867? Maintenant que les rois et les empereurs sont rentrés chez eux; maintenant que les derniers échos des bals et des concerts se sont tus, que le gaz, les bougies et les lampions de grandes fêtes se sont éteints, dites, où en sommes-nous ? Avons-nous noué des alliances chez ces nobles visiteurs? Avons-nous au moins gagné l'assurance qu'on nous laisserait tranquilles, si nous voulions respecter les droits des autres? Notre peuple a-t-il gagné quelque chose? Nos ouvriers passeront-ils une meilleure année, grâce à l'Exposition universelle?

Non! Le temple de la paix était fermé, on craignait la guerre. Il s'est ouvert, on est allé admirer les miracles de la science et de l'industrie; mais un vague pressentiment agitait le peuple. Le peuple n'avait pas tort, car pendant que, dans le temple de la paix, on admirait les chefs-d'œuvre du travail, on faisait des expériences du fusil Chassepot. Les noms ne manquent pas pour désigner cette néfaste année de 1867. Elle débute par les promesses de janvier. Le Luxembourg excite nos convoitises: vite la guerre. Heureusement elle ne se fait pas; mais Juarez s'est emparé de Maximilien et il condamne le pauvre Empereur du Mexique à être fusillė; la balle qui le frappe nous touche aussi, à l'endroit de l'honneur. Les ouvriers font grève, les capitaux sont défiants. Cependant, nous allons peut-être nous relever. Hélas! Mentana et Garibaldi compliquent la question; la peur règne partout, dans la haute comme dans la petite banque. Personne n'ose encourir les périls d'expéditions malheureuses. On s'abstient; on craint un cataclysme, et, après une année marquée par le chômage du travail et des capitaux, par un manque complet d'affaires nouvelles et par des désastres financiers et commerciaux, nous aboutissons à la loi de l'armée.

A quoi bon avoir vécu des siècles, avoir appris, avoir souffert et se vanter de civilisation, si l'humanité, pour tout fruit de son expérience, n'apporte que la science de tuer les hommes et l'art de les enrégimenter et de les dresser à la discipline? Ne vaut-il pas mieux, ce temps où les nations grossières se combattaient entre elles avec l'arc, l'épée et le javelot, et où elles s'arrêtaient fatiguées, épuisées après quelques batailles? Les populations, quelque dures que fussent les lois et les conséquences de la guerre, n'étaient pas réduites à de plus grandes misères qu'aujourd'hui. Eh quoi! nous cherchons la gloire et nous allons teindre nos lauriers dans le sang, lorsque la paix nous ouvre une ère de bonheur et d'orgueil ? N'avons-nous donc rien de mieux à faire que de lancer à une plus ou moins grande distance des projectiles meurtriers? Est-ce là le progrès que nous proclamons si haut et que nous inscrivons si fièrement sur notre drapeau? Sont-ce là ces principes de 1789 dont nous parlons à tout bout de champ, à tout propos? N'avons-nous donc pas mille occasions plus honorables de «faire merveille?» Un peu de sagesse, un peu de sincérité, un peu de sang-froid... Que voyez-vous dans cette année de 1867. Chaque nouvelle pacifique enflamme les esprits. On illuminerait si on l'osait. Chaque nouvelle de guerre fait baisser les fonds et force les capitaux à se cacher. Direz-vous que c'est la guerre que nous voulons? Enfin

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