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vastes, à peu de distance l'un de l'autre, et suspendus sur un pivot tournant. Le matin on jouait des pièces sur ces deux théâtres. Alors ils étaient adossés, pour que les acteurs ne pussent pas s'interrompre. L'après-midi, on les faisait tourner tout à coup, de manière qu'ils se trouvaient en présence; les quatre extrémités des galeries venaient se joindre et formaient un amphithéâtre où se donnaient des combats de gladiateurs.

Bien que tous les Romains riches ne fussent point les égaux en fortune de ces hommes opulents, ils les imitaient de leur mieux. C'étaient bien là les mœurs qui prévalaient parmi les hommes de grande famille, dans la classe des chevaliers, qui représentait plus spécialement l'argent, et parmi ces enrichis sans naissance, tels que les affranchis, qui, par tous les moyens alors à la disposition de l'habileté, de l'intrigue et de la corruption, notamment par les testaments, pouvaient arriver à la plus haute fortune. Le prix de certaines maisons donne une idée de cette richesse extraordinaire d'un certain nombre de particuliers. Ainsi, la maison de Clodius, le même qui sera tué par Milon, avait été achetée 14 millions 800,000 sesterces, environ 2 millions 250,000 francs. Ce même Clodius s'endettera de 70 millions de sesterces, environ 18 millions de francs. Combien ne faut-il pas être riche pour pouvoir s'endetter de la sorte?

Tous ceux qui ont parlé du luxe de ce temps ont signalé au sein de ces villas si élégantes, si riches, dont la multiplication atteste le goût répandu des jouissances, le développement pris par les viviers et les volières. Qui ne sait qu'on distinguait la piscine plébéienne faite pour engraisser le poisson, et la piscine patricienne faite pour la vue? C'est dans celle-ci, la vraie piscine de luxe, que se montrait l'art savant de placer des rochers transportés et d'y ménager les retraites au poisson. Sans cette dernière condition, on n'était, quoi qu'on eût fait et dépensé, qu'un médiocre piscinaire. Médiocre piscinaire, c'est la dure épithète que donne l'orateur Hortensius, sans égal comme piscinaire, et plus fier de ce titre que de tout le reste, à Lucullus lui-même, si célèbre pourtant par cette superbe piscine dont on retrouve la trace sur la terre ravagée de Baïes et de Misène.

On a beaucoup flétri ce genre de luxe. On a peint les Romains comme se laissant aller au comble de la mollesse, parce qu'ils plaçaient la table, pendant les ardeurs de l'été, au-dessus d'un bassin d'une eau limpide, parce que tout faisait, de ces demeures splendides 'des oiseaux et des poissons, des lieux pleins de fraîcheuret d'agrément. Si tout se bornait à ces jouissances, on pourrait trouver peut-être que c'est faire commencer un peu trop tôt l'indignation ; je demanderais

pour les Romains de cette époque, à l'égard de ce goût fameux, la même indulgence que professait le sage Varron, quoique ce fût un juge suspect; lui-même entretenait des volières admirables. Mais l'excès auquel ce goût était poussé ne saurait être de tout point jugé avec une telle tolérance. Une pareille masse de travail et de capital soustraite aux emplois fructueux de l'agriculture représentait à l'égard des populations asservies et misérables un énorme dommage. Il est vrai que les opulents Romains n'eussent fait que rire de cette considération. Ils avaient peu de souci de nos théories économiques sur la consommation improductive. Quant à nous, modernes, nous ne pouvons nous rappeler ces viviers sans avoir l'esprit assiégé par le souvenir des esclaves jetés aux murènes pour rendre plus délicat le goût de ce poisson si recherché.

Il y a pourtant un trait qui, peut être mieux encore que ce souvenir célèbre, peint le degré d'idolâtrie auquel était porté ce genre de luxe. Ces belles murènes, les Romains s'y attachaient tandis 'qu'elles vivaient, jusqu'à les couvrir de bijoux et de colliers, Crassus pleura publiquement une de ses murènes chéries, il en porta le deuil comme si elle eût été sa fille; et répondant aux paroles de blâme qui se faisaient entendre dans le Sénat, il se vantait de sa douleur comme d'une preuve exquise de sensibilité. Porter le deuil d'une murène! Franchissez un degré de plus, serons-nous bien loin de Caligula faisant son cheval consul?

Le mulet, le surmulet était en possession de la même faveur. « Vous auriez plutôt obtenu d'Hortensius, dit Pline, un carrosse attelé de mulets qu'il eût tirés de son écurie, qu'un mulet barbu de sa piscine. » Et combien de soucis, quelles sollicitudes! « Hortensius, ajoute le même auteur, n'avait pas moins de soin de ses poissons que de ses esclaves quand ils étaient malades, et il soupirait moins, dans ce cas, de voir un de ses serviteurs boire de l'eau trop froide, que de voir un de ses poissons malades avaler une boisson si dangereuse... Il était épris d'une telle passion pour ses viviers de Baies, qu'il permit à son architecte de dépenser sa fortune, pcurvu qu'il lui construisît une galerie souterraine depuis ses viviers jusqu'à la mer, en la fermant d'une bonde qui permît à la marée d'y entrer et d'en sortir deux fois par jour, et de renouveler ainsi l'eau de ses piscines 2. »

Excès de sensualité, folie des prix attribués aux choses recherchées, le tout marche de concert. On s'était engoué pour les paons à un degré incroyable, on n'appréciait pas moins leur chair que la

Cicéron, Lettres à Atticus.

Pline, lib. XXVI, 25.

beauté de leur plumage. C'est le même Hortensius qui, le premier, avait fait servir de ces oiseaux dans un festin donné au collège des augures. Le mets eut le plus grand succès, auprès du docte collége, et auprès des riches romains qui en crurent aisément les augures sur les mérites de cette espèce d'oiseau. Un ceuf de paon valut 5 fr. 60 c. ou cinq denarius; un paonneau, 50 denarius (56 fr.); ainsi un troupeau de cent paons pouvait rendre aisément 40,000 sesterces (11,200 fr.), et même 60,000 sesterces ou 16,800 fr., si l'on exigeait, comme Albutius, au rapport de Varron, six paonneaux par couvée.

Voulait-on engraisser les cailles? On leur crevait les yeux. Voulait-on faire grossir les pigeonneaux ? On leur brisait les jambes, on les laissait dans le nid, et on donnait aux pères et aux mères, comme aux petits, une abondante nourriture. Les pères et les mères, s'ils étaient beaux, de bonne couleur, bien sains, de bonne race, se vendaient communément 200 sesterces, 56 fr. la paire. Les pigeons d'élite allaient jusqu'à 1,000 sesterces, 280 fr. Le chevalier Lucius Axius refusa même de vendre une paire de pigeons de cette espèce pour moins de 400 deniers, ou 448 fr. Il y avait enfin des personnes qui avaient à Rome pour 100,000 sesterces, (28,000 fr.) de pigeons, et qui en tiraient 50 p. 100 de bénéfice.

Quand de tels chiffres sont mis en avant par Varron, s'adressant à des témoins qui eussent pu le démentir; quand à la distance qui sépare ce temps de l'époque de Trajan, Pline cite pour son époque des chiffres analogues, il semble difficile de les contester et de les taxer, comme on serait porté à le faire, d'une exagération fabuleuse. D'un autre côté, je suis frappé de ce fait, que la cherté des choses usuelles n'est pas, tant s'en faut, en rapport avec de tels prix. Ainsi, à l'époque dont nous parlons, c'est-à-dire au dernier siècle avant Jésus-Christ, et au VII siècle de Rome, le blé, quand on prend soin de ne pas s'attacher soit à des prix au-dessous du cours résultant des largesses de l'Etat, soit à des années d'exceptionnelle abondance, ce qui le ferait évaluer trop bas, le blé n'offrait pas d'analogie, quant à son prix, avec celui des objets que j'ai cités. Les calculs de M. Dureau de la Malle établissent que dans les derniers temps de la république romaine, le blé était à l'argent dans un rapport qui n'est qu'une fois et demie plus fort que le rapport actuel. Ces calculs, qui concordent avec ceux de Bock pour Athènes, tendent à prouver également qu'on s'est trompé souvent en parlant des bas prix dans l'antiquité, et qu'on y a exagéré la valeur potentielle de l'argent, bien que généralement plus forte que chez nous. Sans doute, après ce que nous avons dit des arrivages soudains, à cette époque, de métaux précieux enlevés aux villes prises, aux palais et aux temples, nous ne compren

drions pas bien que l'argent ne se fût pas, dans une certaine mesure, avili, et par conséquent qu'il n'y ait pas eu une certaine tendance à la hausse des prix, tendance au reste parfaitement attestée pour le blé depuis les premiers siècles de la république. Quoi qu'il en soit, je répète ici que cette hausse est sans rapport avec les prix des denrées de luxe servies sur la table des riches. Le prix de la journée de travail de l'ouvrier libre, de l'operarius, du mercenarius, qu'on trouve indiqué quelquefois, quoique trop rarement, à cette époque, est fixé par Cicéron1 à 12 as, environ 80 c. Si faibles que fussent les salaires, encore fallait-il que les ouvriers vécussent, et ce chiffre, rapproché des rares indications qu'on possède sur le prix des objets courants, atteste encore que, somme toute, le prix des consommations usuelles n'offrait pas la moindre relation avec celui des denrées recherchées par le luxe des tables. L'écart présenté était tel, que rien chez nous ne peut en donner une idée, à l'exception peutêtre de quelques vins extrêmement rares, auxquels les gens riches peuvent seuls prétendre par le prix énorme qui s'y attache. A Rome, dès qu'un poisson, une volaille engraissée devenait un objet estimé par les gourmets, le commerce ne s'exerçant plus qu'entre un nombre restreint de consommateurs, décidés à satisfaire, coûte que coûte, leur gourmandise et leur vanité, on conçoit qu'il fallait de toute nécessité que cette valeur montât extrêmement. On peut dire à la lettre que la hausse de ces prix exceptionnels tenait à la constitution oligarchique de Rome, à ces fortunes énormes, tantôt héréditaires, tantôt faites avec cette rapidité inouïe qui a toujours poussé aux folles dépenses. Il faut donc, à ce que je crois, accepter très souvent ces prix si élevés que les écrivains nous présentent, sans en tirer de conséquences pour l'universelle cherté des vivres. Tout était-il, d'ailleurs, aussi improductif qu'on l'a dit dans ces viviers, dans ces volières, dans ces parcs d'animaux? Il semble du moins que le goût des Romains riches pour la volaille engraissée, le gibier et le poisson, justifiait les producteurs qui trouvaient un beau revenu dans ces produits. Un propriétaire, Hirrius, tirait 3 millions 300 mille francs des nombreux édifices qui bordaient ses viviers, et il dépensait cette somme tout entière en nourriture pour ses poissons. Sa villa se vendit environ 10 millions de francs, à cause de la multitude de poissons qu'elle renfermait. S'il y avait de la manie dans le développement exagéré des volières et des viviers, la spéculation y trouvait assez fréquemment la source d'un bon placement.

Parmi les traits qui donnent l'idée de ce luxe de la gourmandise,

• Pro Roscio.

force nous est de choisir. La leçon utile se perdrait au milieu de trop de détails, au lieu de s'en dégager.

Pline' discute, avec le sérieux qu'il met à toutes ces choses, surtout quand il s'agit de la mollesse et du luxe qu'il déteste, la question de savoir à qui revient l'honneur ou la honte d'avoir inventé le premier la méthode d'engraisser démesurément le foie des oies. Que la priorité reste indécise entre le consulaire Scipio Métellus et le chevalier romain Marcus Seius, cela me paraît offrir peu d'importance; toujours est-il que ce raffinement date de la période qui s'écoule entre la domination de Sylla et celle de César, période riche en progrès de cette nature; preuve manifeste que les Romains savaient mener de front les agitations de la guerre civile et les recherches du bien-être.

En si beau chemin on ne s'arrêta plus, et on fit de merveilleux tours de force, témoin ce vers de Martial

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Ajoutez que le duvet de cet oiseau de basse-cour était aussi fort recherché par la mollesse voluptueuse qui prévalait partout. La livre de duvet de l'oie de Germanie se vendait 5 denarius, 4 fr. 95 cent. Il paraît même que ce haut prix fut cause que les postes militaires, en Germanie, se trouvèrent dégarnis parfois, parce que les préfets envoyaient souvent des colonies entières à la chasse des oies.

Le luxe de nos tables ne connaît plus ni la perdrix de mer, ni les grues domestiques, un des mets les plus recherchés des Romains de ce temps, ni le grand flamand qu'ils apprivoisaient. On voit aujourd'hui en France les escargots prendre faveur, surtout dans la classe populaire. Les Romains en étaient très grands amateurs. Ils distinguaient les escargots blancs de Rieti, ceux d'Illyrie, remarquables par leur grandeur; ceux d'Afrique, dont la fécondité était la plus renommée; ceux du promontorium solis, les plus recherchés de tous. On les engraissait dans des parcs avec des soins infinis. C'est encore une invention dont nous savons la date précise, grâce à Pline l'Ancien. « Fulvius Hirpinus, dit-il, créa les premiers parcs d'escargots à cette époque, un peu avant la guerre civile de César et de Pompée. » Une bien grande date pour un bien petit fait ! Nous ne fournirons jamais autant de détails sur ce luxe de la gourmandise romaine qu'en fournissent Pline et Varron, et si, encore une fois, on nous les reprochait comme puérils ou surabondants, ces autorités nous ser

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