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M. Rogier, on sait ce que représente M. Frère-Orban, et la France se tient pour avertie qu'il faudra compter avec l'armée belge si jamais nous avons besoin de passer sur le territoire de nos voisins. Une seule chose est noble et digne dans ce qui vient de se passer en Belgique, c'est l'attitude de M. Rogier. Ce vieux serviteur de la monarchie et de la nationalité belges se retire avec le calme d'une conscience droite, fièrement, comme si, au lieu de descendre du pouvoir, il y montait.

Un homme s'est éteint ces jours derniers, qui peut, à bon droit, passer pour un martyr. Serviteur d'une cause qui a fait presque autant de martyrs qu'elle a eu de défenseurs, le comte Ladislas Zamoyski est mort en chrétien, laissant sa vie pour exemple et pour encouragement à ses compagnons d'exil et à tous ceux qui conservent l'espoir de voir la Pologne se relever. La vie du comte Ladislas a eu toutes les agitations et toutes les épreuves d'une vie de soldat; il ne lui a manqué que les consolations fortifiantes du succès. Il était d'ailleurs issu d'un sang de héros, et n'a fait que continuer les nobles traditions de sa race. Dans la glorieuse lutte de 1831, il obtint le grade de colonel; puis, vaincu, mais non découragé, criblé de blessures, mutilé même, il prit le chemin de la France. On l'a vu, depuis, tenir son rang dans cette émigration polonaise qui a conservé une large place dans nos respects et dans nos sympathies, et dans laquelle brillaient aussi, groupés autour du prince Czartoryski, des généraux, d'anciens ministres, et cette fleur de noblesse qui supportait avec une douceur si résignée et si fière à la fois les douleurs de l'exil. Le comte Zamoyski n'est pas resté dans l'inaction. Soldat, il cherchait les champs de bataille; en 1848, il combattait avec les Piémontais contre l'Autriche, avec les Hongrois contre l'Autriche et la Russie. C'est lui qui, après la défaite de Temeswar, où il faillit périr, ramena les restes de la légion polonaise en Serbie et en Turquie. Il ne perdit pas l'occasion que lui offrit la guerre de Crimée de combattre contre les Russes; l'espoir qu'il conçut alors de voir la Pologne profiter de la rupture qui venait d'éclater entre l'Angleterre, la France et la Russie, ne tarda pas à s'évanouir. Ce fut peut-être une des plus amères déceptions de sa vie; la dernière fut celle qu'il éprouva en 1863 en voyant que ni la France ni l'Angleterre ne pouvaient rien entreprendre pour seconder l'effort vain et douloureux que fit alors la Pologne pour secouer l'oppression. En mourant, le général Ladislas Zamoyski n'a pu entrevoir la terre promise; ce qu'il a vu, c'est la Russie plus puissante et la Pologne plus écrasée. C'est précisément ce qui a fait de sa mort la mort d'un martyr. A côté de cette torture morale, les souffrances physiques qu'il a endurées pendant les dernières années de sa vie ne sont rien et ne doivent pas être comptées.

Le secrétaire de la rédaction: PASCAL PICARD.

ALPHONSE DE CALONNE.

Paris.-Imprimerie de Dubuisson et Ce, rue Coq-Héron, 5.

LE

SENTIMENT RELIGIEUX

ET LE

MYSTICISME EN ESPAGNE

es Mystiques espagnols, par Paul Rousselot. 1 vol. in-8°; Paris, Didier et Ce.

Les peintres espagnols, dans la plupart des représentations de sainte Thérèse, nous la montrent occupée à écrire, tandis qu'une colombe, image symbolique de l'Esprit saint, vient d'en haut, en traçant un long jet de lumière, lui apporter les divines inspirations qu'elle murmure à son oreille. Cette allégorie qui, sous une forme différente, rappelle la Muse antique dictant à l'un de ses disciples favoris le poême qu'il va chanter, ne cache-t-elle pas un sens aussi réel que profond, surtout pour quiconque a pu s'initier aux secrets de l'esprit essentiellement mystique qui caractérise la grande réformatrice du Carmel? Les élans de son âme, enflammée par le rayon brûlant qui l'a touchée, ne tendent-ils pas sans cesse à la mettre, dès cette vie, en communication avec la patrie céleste d'où, pour elle, tout procède, et où, finalement, tout doit aboutir? Appli

2e S. TOME LXI. - 15 FÉVRIER 1868,

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quée à sainte Thérèse, cette représentation figurée est donc parfaitement juste, car en elle se personnifie le mysticisme, non pas tel que l'école le définit et l'enseigne, mais bien tel que le peuvent sentir et concevoir les âmes les plus humbles auxquelles elle s'adresse dans ses écrits. Le cœur, on l'a dit, est la vraie source de l'éloquence; mais du cœur jaillit aussi cette foi ardente qui, semblable à la flamme électrique, traverse l'espace et les obstacles, et se communiquant à tous, aux simples encore plus qu'aux lettrés, les ravit jusqu'à ces hauteurs où n'atteignent que ceux-là qui ne comprennent Dieu qu'à la condition de l'aimer d'un amour infini.

A cette première observation, empressons-nous d'ajouter, que si jamais nation fut faite pour le mysticisme, comme il se présente à nous avant et après sainte Thérèse, c'était assurément la nation espagnole. N'en trouve-t-on pas la preuve dans son indomptable énergie, son patriotisme survivant à tous les revers, et avant tout dans ce sentiment religieux élevant la nationalité à la hauteur d'un culte, notamment lorsqu'elle eut à soutenir une lutte de sept siècles, afin de reconquérir le pays sur les Maures? Race vraiment extraordinaire pour sa persistance dans la foi religieuse, qui fit sa force et sa grandeur; ces Wisigoths d'Espagne, qui étaient restés soumis à l'arianisme jusqu'à la fin du IV siècle, s'attachent alors à la doctrine catholique avec l'ardeur propre aux nouveaux convertis. Dès cette époque, c'est-à-dire depuis le règne de Récarède, ils laissent le clergé prendre dans l'ordre civil et politique, en même temps que dans les affaires de l'Eglise, une influence plus grande, plus absolue qu'en aucun autre Etat de l'Europe chrétienne. Et plus tard, quand l'invasion musulmane, en renversant aux bords du Guadalete la puissance du dernier des princes wisigoths, aura fait tomber l'Espagne sous le joug odieux des infidèles, ce sera en combattant, ainsi que nous le rappelions, pour leurs autels et leurs foyers, que les vaillants compagnons de Pélage puiseront dans le sentiment religieux et national le courage qui fait les héros, et le dévouement qui fait les martyrs. Or, pendant le cours de cette lutte séculaire, l'influence exercée depuis longtemps par le clergé sur une nation aussi profondément empreinte de l'esprit catholique, survécut à la dynastie qui avait succombé avec le roi Roderic. L'empire aussi bien que le prestige de l'épiscopat ne fit que s'accroître encore à la suite de l'alliance que formèrent pour leur défense naturelle les royaumes de Léon, des Asturies, de Navarre et de Castiile. Par une solidarité toute naturelle, il arriva même que le zèle apporté à soutenir les immunités ecclésiastiques se confondit avec celui qu'on montrait pour défendre les libertés nationales, de sorte que dans ce but commun qu'ils poursuivaient avec une égale ardeur, le clergé et les populations ne

firent que resserrer, pendant de longs siècles, un pacte non moins étroit qu'indissoluble.

Au milieu de ces circonstances qui tendaient à développer et à porter jusqu'à l'exaltation le sentiment religieux, il est facile de comprendre que le mysticisme ait jeté de bonne heure de nombreuses et profondes racines en Espagne. Bien différent de ce qu'il pouvait être dans les autres parties de la chrétienté, il y prend un caractère original et particulièrement propre au pays qui lui a donné naissance. Ce n'est point le mysticisme que nous révèlent, par exemple, les aspirations poétiques de sainte Hildegarde, l'Evangile éternel de Joachim de Flore, l'immortelle épopée de Dante, ou bien le livre à la fois simple, tendre et sublime qui s'appelle l'Imitation de JésusChrist. Il revêt encore moins la forme que lui donnèrent, au moyen âge, certaines sectes hérétiques, comme les Lollards, les Béguards et les Wicléfistes. Non; l'action du mysticisme, par delà les Pyrénées, est tout autre, et elle y devient d'autant plus étendue que son objet est moins déterminé. Il y pénètre partout les cœurs et les intelligences; il s'infiltre dans les mœurs, s'assied au foyer domestique, envahit le castel de l'hidalgo en même temps que le cloître du moine, retentit au loin du haut de la chaire évangélique, influe également sur l'art et sur la science, et devient toute la philosophie comme toute la religion de l'Espagne. Ailleurs, le mysticísme n'est qu'un accident, une exception personnelle et seulement applicable à quelques individus. Ici, on le retrouve non pas isolément, mais répandu et s'épanchant au sein de la nation entière, comme un vaste courant qui s'épanche au sein de son lit. Aussi, dans son Histoire de la Littérature espagnole, Ticknor a-t-il pu dire justement que, dans la patrie de sainte Thérèse, le mysticisme est un fruit du sol.

Dans le développement historique de la pensée humaine, un phénomène aussi singulier a besoin d'être expliqué en ses causes et en ses origines. Est-il seulement le produit du génie espagnol agissant dans sa virtualité propre et en dehors de toute pression extérieure? Ou faut-il croire que les événements qui agitèrent le pays depuis la conquête des Wisigoths jusqu'à l'expulsion des Maures vinrent développer une tendance déjà fortement accusée dans l'esprit d'une race qui, par sa nature, son génie et la situation reculée qu'elle occupait à l'extrémité de l'Occident, semblait prédestinée à ne ressembler en rien aux autres membres de la grande famille chrétienne? C'est ce que nous allons rechercher en suivant l'auteur du livre intéressant que nous étudions ici, dans ses investigations sur les influences prochaines ou éloignées qui, du siècle de Léovigilde à celui de Charles-Quint, déterminèrent la naissance et l'expansion du mysticisme parmi les populations espagnoles.

Ce n'est point la premiere fois que se présente aux lecteurs de la Revue la question importante qui, sous la forme de plusieurs articles qu'ils n'ont pas oubliés sans doute, a été déjà traitée dans ce recueil par M. Paul Rousselot. Professeur de philosophie, et attaché à cette partie de notre corps enseignant qui cherche à concilier les saines et austères traditions de l'ancienne Université avec les aspirations et les idées novatrices d'une plus jeune école, M. Paul Rousselot s'attache de prédilection aux études graves où se complait tout esprit désireux de rechercher et d'expliquer dans le travail intellectuel des âges précédents, ce qui répond ou ne satisfait plus aux légitimes préoccupations de l'époque actuelle. Le groupe auquel il appartient se compose de ceux qui croient, non sans raison, que tout s'enchaîne et se tient dans l'ordre littéraire, comme dans l'ordre politique et social, et que le génie moderne n'a jeté tant d'éclat qu'après avoir eu pour aurore, non pas seulement le siècle lumineux de la Renaissance, mais aussi cette dernière période du moyen âge qui annonça si brillamment l'apparition du monde nouveau qu'elle portait dans ses flancs. C'est qu'au milieu du flux et du reflux de la pensée humaine, la plupart des idées qui parviennent jusqu'à nous dérivent de fort loin, et nous sont transmises de génération en génération, semblables aux flots qui, poussés par d'autres flots, viennent des extrémités de la haute mer se répandre sur le rivage. Tout, en conséquence, ne date pas d'hier ni du jour présent, ainsi que le prétendent aujourd'hui des esprits superficiels ou systématiquement aveugles. Or, contre cette prétention qui voudrait renverser la grande loi morale de la solidarité des siècles, il est bon de voir s'élever toute une phalange d'hommes voués par les devoirs de l'enseignement à l'étude sérieuse du passé, et qui, en descendant de leur chaire, consacrent leurs loisirs à d'importants travaux dont pourront profiter un grand nombre de lecteurs, devenus volontiers leurs disciples.

Parmi ces travaux, une analyse consciencieuse et approfondie appliquée aux ouvrages des Mystiques espagnols devait tenter un écrivain versé dans la langue qui produisit le Romancero du Cid, exprima les effusions poétiques de Louis de Léon et de sainte Thérèse, et servit d'organe aux ingénieuses conceptions de Cervantes, de Mendoza et de Calderon. Telle est la richesse inépuisable de cette littérature, qu'il reste encore bien des veines précieuses à exploiter, après les travaux des Ticknor, des Sismondi et des Rosseuw Saint-Hilaire, sans compter d'autres études faites à des points de vue divers par MM. Ph. Chasles, Damas-Hinard, Edelestand du Méril et Ferdinand Denis. On ne peut donc que féliciter M. Paul Rousselot d'avoir bien choisi son filon, à la suite de tant

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