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générale. Catinat, excellent juge en fait de courage, parle ainsi de cette action: « Elle a été de vigueur, de conduite et d'une si grande utilité, que M. de Feuquière m'a dit que si l'entreprise eût manqué, il était exposé que l'on ne peut pas plus, » et qu'ilaurait été forcé avec 500 hommes qu'il commandait. Grâce à la valeur de Pondeinx, Feuquière peut se retirer dans le fort de la Tour (Torre di Luzerna).

Pendant que ceci se passait à Luzerna, Bricherasio était dégagée par Saint-Silvestre, maréchal-de-camp, que Catinat avait envoyé au secours de Sailly. Luzerna et Bricherasio ne sont qu'à une lieue de distance. Saint-Silvestre entendit donc parfaitement le bruit du combat qui se livrait à Luzerna, marcha au secours de Feuquière et arriva à propos, car ce dernier allait se jeter dans la montagne et se replier sur La Pérouze.

Le lendemain, on prend le parti de se retirer, n'ayant qu'un regret, celui de quitter Luzerna sans « la pouvoir brûler. » La marche rétrograde ne fut pas longtemps tranquille. Entre Torre et San-Giovanni, l'arrière-garde eut « une très rude charge » à soutenir, et jusqu'à Bricherasio ce fut un feu continuel de part et d'autre. Pour comble d'ennui, deux pièces de canon ralentissaient la marche; il fallut les monter sur des charrettes, car elles n'avaient ni avant-train, ni chevaux. Il y eut un fort grand nombre d'ennemis tués dans plusieurs charges fort longues où on combattit «< armes croisées. » C'étaient le marquis de Parella et le colonel de Loche qui menaient les miliciens à la poursuite des Français, qu'ils tourmentaient depuis trois mois.

XV

Pendant que les Français perdaient ainsi Luzerna, un autre corps de leur armée d'Italie, sous les ordres de Saint-Ruhe, s'emparait de toute la Savoie sans aucune difficulté, et entrait à Chambéry le 13 août. Le duc de Savoie campait à Villafranca sur le Pô, dans une fort belle position, tant pour la nature que pour les retranchements. Il avait une armée pour le moins aussi forte que la française. Le marquis de Parella et Loche, entre Bibiana et Fenile, lui donnaient la main, conservant toutefois une grande liberté d'action. Les religionnaires lui étaient favorables, et il pouvait en attendre l'impossible. Mais il ne sut résister à la tentation que lui donna son adversaire, de quitter le camp de Villafranca. Voici comment le général français s'y prit. Il fit devant l'armée alliée une marche très hardie dans laquelle il présentait le flanc aux ennemis, et du camp des Ocquets, où toutes ses forces se trouvaient réunies, il alla vers Saluzzo. Son stratagème réussit parfaitement. A peine l'armée

française eut-elle en partie passé le Pô, qui n'est à cet endroit qu'un ruisseau, pour attaquer la place, que les alliés s'ébranlèrent. Au soir, ils n'étaient plus qu'à une petite distance des Français.

Catinat envoie reconnaître les ennemis par un officier, qui revient bientôt dire tout effaré qu'ils « étaient beaucoup plus nombreux qu'on ne pensait. Je ne demande pas, répondit sévèrement le général, combien ils sont, mais où ils sont. » Victor-Amédée et ses alliés campaient leur aile gauche touchant au Giandone, et appuyant leur droite à l'abbaye de Stafarda. C'était là un terrain que Catinat connaissait parfaitement pour l'avoir visité les jours précédents. La nuit approchait. Catinat range ses troupes sur deux lignes, fait mettre les bagages en sûreté ; les troupes qui avaient passé le Pô le repassent. On est prêt pour le combat du lendemain. Catinat, le 18 août au matin, avait une confiance qui pouvait compter pour un bon présage. Trouvant Bouchu avec d'autres officiers du corps de réserve qui déjeunaient sur l'herbe, il s'écria tout d'un coup: « Mes chevaux, mes chevaux. Adieu M. Bouchu, je vais battre Son Altesse royale. » Pour parler avec un ton aussi décisif, il fallait que Catinat, l'homme mesuré, fût bien sûr de son fait. Il est juste aussi d'observer que Victor-Amédée avait fait de si lourdes fautes dans la disposition de son armée, qu'il était facile de prévoir l'issue de la bataille. Feuquière, dans ses Mémoires, nous fait toucher du doigt les bévues de Victor-Amédée. Ce prince ne sut pas appuyer suffisamment ses ailes, ne tira aucun profit des casines (casini, maisons de campagne) qu'il avait sur sa droite, et qu'il avait garnies de troupes, les laissant trop loin de son aile droite pour qu'elles pussent la soutenir. A gauche, le duc négligea de border son armée avec un coude très marécageux que formait le Pô. Il s'exposait ainsi à être tourné, et le fut en effet. Catinat fait avancer Saint-Silvestre, qui dérobe à l'ennemi l'ordre de bataille des Français, entame même les positions des Piémontais, et s'aperçoit que le marais qui se trouve sur la gauche des alliés peut être franchi; il en avertit aussitôt Catinat qui, dans la suite, publia « qu'il n'avait eu d'autre avis que celui de M. de Saint-Silvestre dans la disposition de l'armée. »

Ainsi, le duc de Savoie, qui « croyait donner la bataille, la reçoit. Elle dura quatre heures et fut assurément «difficile et opiniâtrée. » Catinat s'y montra tout à la fois général et soldat. On le vit partout, encourageant les siens de bouche et d'exemple, « avec tant de douceur, dit un témoin oculaire, qu'il n'y avait personne qui n'eût volontiers donné sa vie pour lui. » Catinat échappa aux balles ennemies qui se contentèrent de lui tuer trois chevaux, et de se loger dans son chapeau et dans ses habits. Le colonel Grancey-Médavy, depuis maréchal de France, traversa le marais et prend les ennemis en flanc,

pendant qu'ils sont attaqués de front avec furie. Il eut d'abord quelque difficulté à se faire suivre, parce que les alliés faisaient sur sa petite troupe un feu terrible. Ce brave chef s'élance l'épée à la main dans la fange du marais, et, parvenu à l'autre bord, il s'écrie: << Je vais bien voir si je suis aimé ! » Il en fut convaincu.

Les alliés, Piémontais, Espagnols, Impériaux et Bavarois, perdirent quatre mille hommes, tant tués que blessés, prisonniers et «gens dissipés. » On leur prit quatre drapeaux et dix pièces de canon. Ils ne purent faire un seul prisonnier sur les Français; et leur retraite se serait changée en déroute sans le prince Eugène dont les talents grandissaient, pour le malheur de la France. Hic erit Scipio, qui in exitium Africa crescit. Catinat avait dans son armée cent cinquante blessés, du moins c'est le nombre que porte le mémoire envoyé au roi ; mais ce général observe : « qu'il en a vu insérer làdedans avec de simples contusions, ce qui lui fait juger qu'il peut y avoir beaucoup à défalquer. » L'armée française coucha sur le champ de bataille; le lendemain on marcha sur Saluzzo, qui ouvrit ses portes et servit d'ambulance pour quelque temps.

La relation que Catinat envoya le jour même de l'action était aussi modeste que négligée. Pour le premier chef, elle valut la singulière interrogation: M. de Catinat était-il à la bataille? En effet, Catinat avait détaillé minutieusement les services de chacun dans la journée, mais il s'était oublié lui-même. Quant au style, que Fénelon trouvait trop peu soigné, comme Catinat l'apprit de son frère Croisille, le général s'en excuse en disant avoir composé sa relation au courant de la plume. On a encore un autre rapport de la bataille, portant la date du 20, aussi de Catinat, et qui est meilleur de tous points.

Ce n'est pas la bonne volonté qui manquait à d'Herleville, gouverneur de Pignerol, car il écrivait le jour même de la bataille, « que s'il avait plus de forces, il pourrait employer des troupes de partisans jusqu'aux portes de Turin, tant pour faire diversion que pour lever des tributs; mais le pauvre gouverneur avait si peu de soldats que sa garnison ne pouvait satisfaire, à cause des grosses troupes de paysans qui étaient postés sur les chemins et qui les en empêchaient. » Toutefois, aussitôt qu'il vit la bataille gagnée, d'Herleville fit attaquer Villafranca, que l'on prit avec vingt milliers de poudre, quantité de farine, etc., sans avoir à regretter beaucoup de monde. Le gouverneur des armes du roi à Pignerol mit garnison dans Villafranca. Les paysans, qui faisaient le désespoir d'Herleville, n'avaient cessé de harceler Catinat, malgré les terribles châtiments qu'il leur infligeait. Au commencement de la campagne, le général français avait fait pendre deux syndics de village, « pour avoir souf

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fert que leur communauté prît les armes contre une armée entière.>> Tous les jours on prenait quelques paysans porteurs de poudre et de balles. Ils étaient immanquablement pendus. Puis, comme il devint trop long d'arrêter tous les prisonniers et de les conduire au prévôt, Catinat permit à ses soldats d'assommer tous les paysans qu'ils trouveraient avec les munitions prohibées. Cette manière d'abréger la procédure ne fait pas honneur à Catinat. On ne reconnaît pas dans le général qui fait de ses soldats autant d'assassins, car on ne pouvait pas espérer que les troupes s'en tiendraient au meurtre de ceux qu'ils pouvaient regarder comme des ennemis acharnés, on ne reconnaît pas, dis-je, l'homme que le P. Sanadon nous représente quittant la magistrature, mais non la justice, qu'il transporte avec lui dans les camps. (Themidem deseruit; imò castris intulit.) Les ennemis s'étaient retirés après leur défaite, à Pancalieri et de là sous Turin. Catinat ayant quitté Saluzzo le 20 août, alla camper à Raconiggi le lendemain. Il y attendit, pour continuer la guerre, trois régiments détachés de l'armée de Savoie que Saint-Ruhe devait lui envoyer. Les deux armées passèrent les mois de septembre et d'octobre en observation dans leurs camps respectifs. Mais si on ne bougeait pas, on agissait sous main. Victor-Amédée recevait des troupes anglaises sous les ordres d'un certain M. Loche, qui prit le nom de « commandant dans les vallées de Luzerna de la part de Sa Majesté britannique; » les trois régiments de M. de Saint-Ruhe joignaient Catinat; et chaque adversaire, profitant d'une sorte de trève, se repliait sur lui-même pour mieux s'élancer.

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De son camp de Raconiggi, le général était en relation avec son frère Croisille, qui se remettait de ses fatigues et de ses blessures à Saint-Gratien, domaine qui appartenait en propre à Catinat : « J'ai bien de la joie, lui écrit ce dernier, de ce que tu te trouves bien de l'air de la campagne. Fais hardiment et librement à Saint-Gratien tous les accommodements qui te peuvent faire plaisir : c'est une dépense qui sera autant à ma satisfaction qu'à la tienne, comptant bien que toi et moi ne font qu'un; tu peux t'en assurer. » Les troupes qu'on venait d'envoyer à Catinat ne lui parurent pas suffisantes, car il ne voulait rien moins qu'entreprendre le siége de Turin avant la fin de la campagne. Louis XIV contrariait singulièrement ce dessein. Le monarque, craignant de perdre toutes ses troupes par la dyssenterie qui régnait toujours dans l'armée d'Italie, voulait rappeler un certain nombre de corps que Catinat avait sous lui. Force fut à Catinat de rétrograder. Il commença ce mouvement en arrière à la fin d'octobre. Le 4 novembre, les Français étaient à Mirandol, d'où ils allèrent brûler Barges. Le colonel Loche

n'eut que le temps de s'enfuir; les Barbets, qui avaient été là pendant le cours de la campagne, se sauvèrent dans les montagnes. Babiana partagea le sort de la ville de Barges, et on acheva Luzerna. « On m'assure, écrivit Catinat, que Luzerna a très bien brûlé. » D'Herleville était toujours plein d'ardeur. Il envoie piller et brûler Rivoli, près de Turin. Quelques paysans, échappés au désastre, vont prévenir le duc, qui fait aussitôt partir un détache ment sous les ordres d'Eugène. Celui-ci dressa une embuscade sur le chemin par où les pillards devaient revenir. Il les entendit bientôt qui s'approchaient, chantant à s'égosiller, tomba sur eux et les défit. On tua de sang-froid ceux qui se rendirent. Les troupes qu'Eugène commandait, habituées à se battre contre les Turcs, auxquels on n'accordait pas de quartier, oublièrent que c'étaient des Français qui se constituaient prisonniers. Le prince Eugène gronda beaucoup les soldats allemands d'avoir traité leurs ennemis « à la turque. » Catinat envoya sans tarder, à cette nouvelle, un trompette au duc de Savoie pour l'avertir que si l'on traitait ainsi les prisonniers des troupes royales, il en agirait de même à l'égard des rendus de l'armée alliée.

La menace de Catinat ne semblait avoir d'exécution possible que lors de la campagne suivante, car il avait renvoyé à Victor-Amédée tous les prisonniers faits depuis Stafarda, et d'ailleurs il faisait en ce moment défiler toute son armée vers le Dauphiné. Le duc de Savoie s'apprêtait donc à prendre des quartiers d'hiver. Mais tout à coup, Catinat dont les mouvements étaient concertés et combinés avec ceux de Larray en Dauphiné, passe le col de la Fenêtre, en Pragelas; Larray force le Pas de Suze. Ils se trouvent tous deux devant cette ville le 11 novembre, et le 17 la ville et la citadelle s'étaient rangées sous l'obéissance du roi de France. La reddition de la place eut lieu à portée de Victor-Amédée, qui venait à son secours. Cependant, le duc venait d'entrer plus profondément dans la grande alliance, puisqu'il avait signé le mois précédent de nouveaux articles. Dans l'un de ceux-ci, il révoquait solennellement l'édit du 31 janvier 1686 entre les Vaudois. Or, ce prince jouait double. Par des aménités envers les prisonniers français qu'il avait faits avant la bataille, et par des paroles flatteuses pour Louis XIV, Victor-Amédée se préparait les moyens de sortir de la ligue qu'il venait de signer. Bientôt il fit des avances, mais qui trahirent ses inquiétudes. It demanda un armistice de trois mois pour rompre avec la ligue d'Augsbourg. L'hiver l'empêchait, à cause des glaces et des neiges accumulées dans les montagnes, de communiquer avec ses possessions transalpines : le comté de Nice et Montmélian, seul reste de son duché de Savoie. Trois mois et

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