Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

Pour vivre à ses côtés, vous aviez accepté

De perdre votre nom et votre liberté ?

Jeune homme, embrassez-moi ; j'aime et surtout j'admire
Ce noble dévouement qu'un noble amour inspire.
Et puisque Jupiter m'accorde cet honneur

De faire ma maison témoin d'un tel bonheur,

Je reconnaîtrais mal cette faveur insigne

Si, par mes sentiments, je ne m'en montrais digne,
Si, de mon seul plaisir, lâchement soucieux,
Méconnaissant ici la volonté des cieux,

Et m'armant du seul droit que le hasard me donne,
Je prétendais lutter contre ce qu'elle ordonne!
Soyez libres, enfants, partez, soyez heureux!

Grands dieux!

LASTHENIE

DÉMIADE

Qu'avez-vous dit? O mortel vertueux !

Eh quoi! la liberté par vous nous est rendue?
N'est-ce point une erreur de mon âme éperdue?
Un rêve ?

ANACREON

Non! c'est vrai! Cependant je t'en veux, Car peut-être sans toi... Qui sait? non, mes cheveux Sont trop blancs, désormais! L'amour, à ma folie Donne aujourd'hui congé, l'ingrat enfant m'oublie ! Je me plains et j'ai tort; pour l'homme généreux, C'est être heureux deux fois, que faire des heureux? Soyez-le donc par moi !

LASTHÉNIE

Ma voix tremblante expire

Sur mes lèvres, seigneur, et je ne saurais dire

Combien j'admire et j'aime en vous tant de grandeur!

ANACREON

Tes yeux parlent pour toi ! ne feins pas la candeur,

Ingrate, car je vois ta prunelle qui brille

Sous tes pleurs, comme un astre au ciel brumeux scintille.

(A Démiade.)

Heureux mortel!

[blocks in formation]

CHRONIQUE LITTÉRAIRE

La Montagne, par M. J. Michelet.

Cette Montagne est la nouveauté du jour. Ce n'est point un livre politique, mais un livre pittoresque; et il ne s'agit point ici de la montagne où siégeaient Danton et Robespierre, mais de celle qu'habitent les chamois et les aigles. Après de si nombreuses infidélités à l'histoire, sa première maîtresse, M. J. Michelet la quitte encore une fois pour la nature; personne n'a le droit de s'en étonner, car les esprits virils passent aisément de l'une à l'autre ; personne n'a le droit de s'en plaindre, car de ces fréquentes excursions à travers un domaine qui ne fut pas toujours le sien, il est bien rare que le peintre d'histoire, devenu paysagiste, ne rapporte, sinon des découvertes personnelles, au moins des couleurs neuves et quelque tableau original. Que de vives et puissantes esquisses répandues comme à profusion dans ces vastes cadres qui s'appellent l'Oiseau, l'Insecte, la Mer, et, sous l'emportement du pinceau, quelle sensibilité vraie, charmante, communicative!

On s'en est choqué, on s'en est moqué un peu à une certaine époque ; l'esprit parisien, si impressionnable, l'épigramme gauloise, si alerte et spontanée, n'ont pas toujours respecté la médecine sentimentale qui inonde et qui tache même, de place en place, deux des petits livres jaunes de M. Michelet, la Femme et l'Amour. Nous croyons bien nous-même avoir confessé dans le temps, avec une respectueuse franchise, le peu de goût que nous inspirait cette curiosité née si tard, et cette science véritablement trop descriptive. C'était l'amour de la médecine, disaient les amis de l'auteur; pour nous, c'était bien plutôt la médecine de l'amour. Mais à l'heure qu'il est, ces deux livres compromettants sont un peu oubliés, même des femmes; M. Michelet est revenu à des sujets moins scabreux, et, abandonnant à la science pure l'étude des organes humains, il a ramené vers la contemplation et la jouissance des beautés de la nature l'ardeur passionnée qui le dévore. Il a bien fait. Bernardin de SaintPierre, lui aussi, était un amant de la nature, un amant clairvoyant chez qui la sensibilité n'excluait pas la science. Il se serait bien gardé pourtant de prêter à Paul ou à Virginie des attendrissements ou des curiosités trop scientifiques. La science est indiscrète, ne l'oublions pas, elle éclaire, mais elle déflore aussi ce qu'elle touche. Une fleur étudiée par elle n'est plus qu'une loque sans parfum, sans couleur et sans vie. Et l'amour, et la femme, scrutés par elle, que deviennent-ils? Des squelettes dans un musée, ou, quelque chose de pire, des malades dans une clinique. Pour rester amante, mère ou sœur, il faut qu'Isis reste voilée! Voilà ce que n'avait point vu d'abord M. Michelet, voilà ce qu'il a vu depuis; la Mer et la Montagne en sont des preuves!

Mais que vaut chez lui le naturaliste? Dans quelle mesure peut-on se fier aux faits qu'il avance, aux théories qu'il expose, et surtout aux conséquences qu'il en tire? N'y a-t-il rien là qui puisse égarer les profanes comme nous, et irriter les savants? C'est une question qu'il est impossible de ne pas soulever; mais on comprendra qu'il nous soit impossible de la résoudre. Tout ce que nous pouvons affirmer, c'est que M. Michelet tient beaucoup à n'être pas compté parmi les faiseurs de science agréable; il entend que sa minéralogie actuelle, comme son ornithologie et son entomologie d'autrefois, soit prise au sérieux. Il se félicite du succès déjà obtenu sur ce point : « Ces petits livres, acceptés comme ouvrages agréables de littérature, durent leur succès surtout à la vérité. Ils n'essayaient pas de donner leur esprit à la nature, mais de pénétrer le sien. Ils l'aimaient, l'interrogeaient; ils demandaient à chaque être le secret de sa petite âme. » Cela eut d'heureux effets. Pour la première fois, on sut le mystère propre à l'oiseau, le mystère propre à l'insecte. L'éducation assez longue qu'exigent certaines espèces est le secret réel de leur développement. De là une loi générale : «Toute espèce où l'enfant ne vit que par une éducation prolongée, devient supérieure. Cela crée la société. » Voilà ce qui réellement toucha le public en ces livres, bien plus que le pittoresque ou l'entraînement du style. Des ouvrages très bien écrits, pleins de choses vraies, curieuses, estimées, le iaissent assez froid. On le croit matérialiste, dominé par le fait grossier. Et cependant, les seuls

livres qui l'aient entraîné, enlevé, ce sont ceux qui cherchaient l'àme!

. Il est impossible de se mieux juger et de mieux trahir soi-même par où l'on pèche. L'âme! l'âme! ce grand mot qui revient deux fois en dix lignes, sous la plume de M. Michelet, à propos de l'oiseau ou de l'insecte, nous révèle immédiatement le défaut d'équilibre de ses livres, de quel côté ils penchent, de quel côté ils tombent, leur inévitable et charmante culbute (qu'il nous passe le mot) dans la métaphysique sentimentale. C'est de la science, soit, mais c'est de la science dans le bleu. L'âme! l'âme! c'est à merveille; et, parbleu, nous ne sommes pas plus matérialiste qu'un autre, nous ne donnons à personne notre part de platonisme et de pur esprit; mais, tranchons le mot, ce sont des rêves que cette science-là! Ce sont de perpétuels voyages dans la douce région des hypothèses, si voisine du divin pays des chimères. Il y a un peu trop d'âme dans tout cela. Le public applaudit: tant mieux, nous applaudissons de même, et nous comprenons ce chaud accueil, cette universelle bienvenue à des poêmes qui entraînent la science elle-même, la minéralogie et ses plus pesantes montagnes, par delà le septième ciel. L'idéal ici surabonde, on s'y plonge, on s'y noie presque, on en sort tout rajeuni et vivifié, tout plein d'aspirations infinies et de suppositions audacieuses; c'est un vrai bain de métempsycose; on n'en sort pas savant.

Chercher l'âme, l'âme toujours et l'âme partout, l'âme de l'oiseau, l'âme de l'insecte, l'âme du mollusque, l'âme du végétal, l'âme de la pierre (M. Michelet a oublié la première de toutes, l'âme de l'astre), assurément c'est se vouer à une belle et noble découverte; mais fatalement il y entre beaucoup de poésie. Et M. Michelet ne le reconnaît-il pas lui-même, lorsqu'il s'écrie: « La tentative était hardie de fixer, de rétablir ces âmes obscures et confuses, dédaignées jusque-là, niées, de leur rendre la dignité d'âmes, de les replacer dans le droit fraternel et dans la grande cité. Nous poursuivons aujourd'hui ce travail dans la Montagne et sa forêt. Le présent volume, en majeure partie, sort de nos voyages mêmes et dit ce que nous avons vu. Il ne fera aucun tort aux grands labeurs scientifiques, aux travaux si instructifs des Schacht ou des Schlagenweit. L'intérêt qu'il peut présenter, ce sont nos rapports d'amitié avec cette haute nature, si grande, mais si indulgente, qui se révèle volontiers à ceux qui l'aiment beaucoup. On verra à quel degré d'intimité nous admettent les patriarches des Alpes, les arbres antiques et vénérables qu'à tort on a crus muets. Nous restons reconnaissants de la faveur paternelle de ces augustes géants, ces monts sublimes, au sein desquels nous trouvâmes de si doux abris, qui si généreusement, avec leurs fleuves nourriciers. qui sont la vie de l'Europe, nous versaient aussi leur âme sereine, pacifique et profonde! >>

Parfait! oui, très bien dit; très pittoresque, très poétique et d'un art admirable! mais, encore une fois, faisons-nous de la poésie ou faisonsnous de la science? On prétend au réel, à l'exact, on attribue le succès déjà obtenu aux vérités rigoureuses que l'on a vulgarisées; comment concilier cette ambition avec le débordement de mysticisme dont nous venons de donner un si brillant spécimen ? Tant d'imagination ne va guère sans

« ZurückWeiter »