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Quand nos flots, sur la terre, auront fait leur voyage
Et fécondé le sol qui nourrit votre faim,

Nous irons, confiants, vers la mer sans rivage,

Nous perdre, gouttes d'eau, dans les vagues sans fin;

Dans la mer verte et sombre, où, lavés des souillures
Dont l'homme nous laissa le stigmate odieux,

Nous pourrons, comme au temps des neiges toujours pures,
Réfléchir de nouveau la pureté des cieux !

La mer où l'ouragan vaut bien vos avalanches,

O monts qui de la mer pouvez être jaloux,

Quand la lame où le vent met des aigrettes blanches,
S'enfle et grandit, terrible et haute comme vous ;

La mer, la mer où l'homme entouré de mystères
Est plus petit, plus seul, se sent plus accabler
Qu'ici, dans la splendeur des glaciers solitaires!
Laisse, passant d'un jour, laisse nos flots couler;

Nos flots impatients de rentrer à l'abîme,
Qui ne s'égarent pas en allant comme ils font,
Des pics sacrés dont nul n'osa fouler la cime,
Aux grandes mers dont nul n'a pu trouver le fond.

V

Et l'onde avait fuí, blanche au milieu des ténèbres,
Et pendant ce temps-là, le soir était venu ;

Et là-haut, sur les cols, sur les sommets funèbres,
Dars chaque pli profond du roc farouche et nu,

Je voyais s'accrocher, comme un rideau de brume,
Et flotter des vapeurs au contour incertain;
Et chaque cime était comme un volcan qui fume,
Et des nuages lourds montaient dans le lointain.

Ils montaient, ils montaient; la nuit était prochaine,
Et sur les cieux blafards se découpant en noir,
Dans ce manteau de deuil, le spectre de la chaîne
M'apparaissait, sublime et formidable à voir.

Comme des flots montants déferlent sur les mornes,
Sur les glaciers où pleure un éternel hiver,
Sans fin s'amoncelaient de grands nuages mornes
Apportés par les vents qui soufflent de la mer.

Et dans l'abîme où plane une horreur inconnue,
Avec un monotone et sourd crépitement,
On entendait tomber toute l'eau de la nue
Que les monts altérés buvaient avidement.

Elle revient, fidèle à la source cachée,

Grossir une autre fois le lit bleu des torrents,
Pour qu'un fleuve où leur onde est toujours épanchée
Restitue à la mer ces flots toujours errants.

Pour qu'on les voie encore, emportés dans l'espace,
S'exhaler en vapeurs vers les cieux enflammés,
Et sans repos toujours, pour que le vent qui passe
Les rende d'un coup d'aile aux monts accoutumés.

O tristesse des monts, ô grands cirques moroses,
Rochers presque détruits par le froid qui vous mord,
Sanctuaire où l'on a la peur vague des choses,
Solitude sinistre où tout parle de mort;

Non! ce n'est pas la mort que votre flanc recèle.
Dans vos gouffres tremblants que bat le flot vainqueur,
J'ai senti palpiter la vie universelle,

J'ai de l'obscure lsis senti frémir le cœur.

C'est elle que j'entends dans ces eaux en démence,

Elle que j'entrevois dans son éternité.

Quand tout semble fini, soudain tout recommence.
Tout renaît, ô nature! après avoir été.

Glaciers d'Oo, septembre 1866..

MAURICE DE PODESTAT.

LE

POUVOIR ET LA LIBERTÉ

en 1789

D'APRÈS LES MÉMOIRES INÉDITS DE MALOUET

D'heureuses circonstances nous ont mis à même de prendre connaissance des Mémoires inédits de Malouet, le célèbre membre de l'Assemblée constituante, l'ami des Mounier et des Lally-Tollendal. Rien de plus hautement instructif que les appréciations de cet honnête homme et de cet excellent citoyen, sur ce moment, le plus grave peut-être de l'histoire, où pour la première fois le pouvoir se trouva en présence de la liberté. Quelle conduite aurait dû tenir alors la royauté, fût-elle la royauté de Louis XIV, celle hier encore de Fontenoy et de Lawfeld; quelle conduite tint-elle en effet, et quelles en furent les conséquences? Ce sont là autant de questions qui ne sont pas exclusivemeut historiques et dont l'intérêt est toujours pré sent, peut-être même plus actuel que jamais. Aussi sommes-nous

2e s. TOME LXI.

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pleins de reconnaissance pour notre excellent ami, M. le baron Malouet, qui, en nous autorisant à publier ici un fragment des Mémoires de son grand-père, nous a rendu plus facile un sujet sur lequel nous devons revenir et dont le passage que l'on va lire est en quelque sorte le préambule authentique.

Admis très jeune dans le salon de Mlle de Lespinasse et dans la société trop peu connue du comte de Broglie, apprenti diplomate en Portugal au moment même où la mystérieuse conspiration d'Aveiro offrait son énigme à résoudre, plus tard administrateur habile de nos colonies et le seul qui, à la Guyane, ait laissé un souvenir que le temps n'a pas effacé, intendant de la marine dans ce grand port de Toulon qu'illustrait alors le retour des escadres victorieuses de Suffren, Pierre-Victor Malouet avait été appelé en 1789 à l'honneur de siéger aux États généraux, moins encore par l'éclat de ses services que par la fermeté, respectueuse mais inébranlable, avec laquelle il avait su défendre contre les ministres les mesures qu'il croyait utiles et justes. Parmi cette foule d'hommes, les uns nouveaux, les autres au nom déjà éclatant, ceux-ci ardents à tout détruire, ceux-là défenseurs obstinés d'un passé à jamais condamné, il prit place à la tête de ce parti qui aurait fondé définitivement la liberté en France si, plus docile aux conseils qui lui furent donnés, la royauté n'eût pas pris ses hésitations pour de la prudence, et si la nation, égarée par ces hésitations mêmes, n'eût pas confondu la pleine licence avec la liberté. Partisan très résolu des réformes légitimes, dont les cahiers étaient l'expression, ainsi que du vote par tête qui en était comme la condition nécessaire et le moyen, il voulait en assurer le succès en conviant la royauté et la nation à un accord magnanime qui eût assuré cette œuvre que trois révolutions n'ont pas encore achevée. Ce qu'il redoutait plus encore peut-être que les excès compromettants de la liberté, c'étaient les répugnances du pouvoir et ces hésitations qui engendrent les interprétations malveillantes et les défiances irrémédiables. Adopter franchement la liberté, mais en même temps servir de guide à ses premiers pas pour les affermir, tel était le rôle qui, suivant lui, convenait à la royauté et à ses intérêts, en ajoutant à sa force héréditaire cette autre force de l'opinion publique.

Au mois de mai 1789, la grande question était donc dans l'attitude que prendrait Louis XVI à l'ouverture des États généraux. Aussi, dans une sorte de conseil où se trouvaient réunis les ministres Necker et Montmorin, disait-il avec une rare perspicacité et une résolution non moins rare: «Le vœu de la France a appelé les États généraux : il était indispensable de lui obéir. Le doublement du tiers est également proclamé d'une manière irrésistible; mais il

n'y a encore que vos propres fautes qui mettent en péril l'autorité royale. Vos variations, vos faiblesses, vos inconséquences, ne vous laissent plus la ressource du pouvoir absolu. Du moment qu'en manifestant vos embarras vous êtes obligés d'invoquer les conseils et les secours de la nation, vous ne pouvez plus marcher sans elle; c'est dans sa force qu'il faut puiser la vôtre; mais il faut que votre sagesse gouverne sa force... Il ne faut donc pas attendre que les Etats généraux vous demandent ou vous ordonnent; il faut vous hâter d'offrir tout ce que les bons esprits peuvent désirer en limites raisonnables, soit de l'autorité, soit des droits nationaux... Tout ce que l'expérience et la raison publique vous dénoncent comme proscrit, gardez-vous de le défendre... Commencez par faire largement la part des besoins et des vœux publics, et disposez-vous à défendre, même par la force, tout ce que la violence des factions et l'extravagance des systèmes voudraient attaquer. Dans l'état d'incertitude, d'embarras et de dénûment où vous vous êtes mis, vous n'avez aucune force; je le sens, je le vois. Sortez donc de cet état; mettez une franchise énergique dans vos concessions, dans vos plans; en un mot, prenez une attitude décidée, car vous n'en avez pas. »

La vérification des pouvoirs en commun, qui mettait en question l'existence même de la noblesse et du clergé, et le vote par tête, étaient les deux graves sujets qui exigeaient le plus instamment une résolution de la royauté. On sait qu'elle n'en prit aucune. C'est sur les conséquences de cette grande faute que nous laissons la parole à Malouet lui-même.

Deux grandes questions agitaient les esprits : l'opinion par tête et la vérification des pouvoirs. Il était évident que si l'on ne tranchait la seconde on tomberait dans l'abîme qu'allait ouvrir la première; mais qui pouvait contester au roi le droit de vérifier les pouvoirs des députés qu'il avait appelés et qui devaient lui être présentés en cette qualité? N'était-il pas naturel qu'avant cette présentation il fit constater s'ils avaient été élus suivant les formes qu'il avait prescrites, sauf à renvoyer à une commission des Etats généraux le jugement des élections contestées? Quant à l'opinion par tête, quel avait été l'objet du doublement du tiers? De mettre les communes en parité d'influence avec les deux autres ordres, mais non de leur donner une supériorité décidée, comme elles devaient l'avoir en ralliant cette multitude de curés et de nobles, d'un rang inférieur,

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