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Dans cette Assemblée, dont les principales figures viennent d'être mises si vivement sous nos yeux, Malouet s'efforça de faire, comme député et comme orateur, ce que la royauté aurait pu réaliser par une initiative qui eût été la véritable mesure politique du moment. Nul, en effet, plus que lui ne travailla à la réunion des trois ordres pour fonder en commun le régime de la liberté légale sous une monarchie constitutionnelle. Mais cette réunion, il la voulait sans violence, et par la seule puissance de la raison et du droit. « Nous constituer Assemblée nationale sans égard au clergé et à la noblesse, ce serait, disait-il, une scission désastreuse... Prendre un parti qui ne compromette point nos droits, qui n'offense ceux de personne, et qui nous mette en état d'agir en développant notre caractère national dans toute sa dignité, c'est le seul conseil qui convienne au salut public. » Les susceptibilités du tiers, accrues par les incertitudes de la cour et envenimées bientôt par l'esprit de faction, empêchèrent cette réunion toute volontaire. Dès lors, les défiances et les haines se donnèrent carrière, et quand Louis XVI vint offrir et réaliser ce qui, deux mois plus tôt, aurait satisfait et au delà l'opinion publique, il ne trouva que froideur et incrédulité. Le sort de la liberté fut remis au hasard des révolutions, et, dans les excès qui suivirent, on vit à la fois périr et cette liberté que la monarchie avait voulu un jour donner tout entière, et cette monarchie qui n'avait eu qu'un tort, celui de n'avoir pas su l'offrir à temps. Chacun eut sa part de responsabilité : les fautes de la royauté préparèrent les excès de la licence, et ceux-ci l'avènement du despotisme. Dès le mois de mai 1792, un homme qui avait contribué à fonder l'indépendance de l'Amérique, Gouverneur Morris, pouvait dire sans craindre d'être démenti par l'avenir: « Les Français sont tombés dans l'erreur commune que, pour jouir de la liberté, il suffit de renverser le pouvoir. Il est résulté de cette faute les conséquences habituelles, c'est-à-dire que les plus chauds partisans de la révolution souhaitent maintenant l'établissement d'un pouvoir despotique, comme le seul moyen d'assurer à chaque citoyen sa vie et sa propriété. C'est entre ces deux ornières que la royauté était appelée, en 1789, à conduire la France; des fautes à jamais regrettables la firent faillir à cette grande mission, et aujourd'hui encore, comme en 1789, le problème est le même, et la même aussi la solution. EUGENE ASSE.

REVUE CRITIQUE

La Littérature française, par le lieutenant-Colonel STAAFF. Paris Didier, édition, 1er volume.

Au moment où les idées d'internationalité effacent les distances et rapprochent les nations, il n'est pas surprenant de voir un étranger nous offrir un cours de littérature française, que parcourt un noble souffle, et que ne déparent aucun parti pris, aucune idée de coterie. L'auteur, placé à une juste distance pour apprécier comparativement les écrivains qu'il voulait juger, se trouvait en même temps dans cette situation extrêmement favorable, qu'habitant alors loin de Paris, il était dégagé de toute obligation envers des amitiés souvent gênantes, par la manière dont il faut leur distribuer la lumière de la publicité. C'est donc avec une impartialité absolue que le colonel Staaff a construit son édifice littéraire, où il a su observer la hiérarchie convenable, laissant les grands génies occuper le sommet de l'édifice; mais songeant aussi aux gloires plus modestes, pour sauver de l'oubli mille joyaux délicats qui, convenablement sertis et placés, brillent d'un vif éclat.

C'est surtout à propos des pays de langue française, qui n'appartiennent pas à la France, que cette légitime bienveillance du colonel Staaff pour notre littérature se manifeste. Les écrivains de la Belgique et de la Suisse trouvent chez lui une cordiale hospitalité, et nous aimons à relire, par exemple, telle fable du baron de Stassart que nous ne saurions où

retrouver.

L'édition suédoise, divisée en trois parties, contient les auteurs contemporains. Ce volume, qui n'a pas été imprimé en France, mais sur le manuscrit duquel nous avons pu jeter un coup d'œil discret, développe encore cette tendance que nous venons de signaler à l'égard des écrivains

étrangers; ainsi le poète le plus célèbre de la Belgique, M. Mathieu est représenté par de remarquables poésies. Le major Staaff, remontant dans le passé pour ne pas protéger les vivants aux dépens des morts, nous offre une curieuse anthologie des auteurs étrangers qui ont écrit en français, non par le fait même de la naissance, comme les Belges et les Suisses, mais par goût pour notre idiome national, considéré par eux comme le plus puissant véhicule des idées à mettre en circulation. «Si aucuns demandoit, dit le maître de Dante, pourquoi notre livre est escrit en romans (français), pour cheu que nous sommes Italien, je dirois que c'est pour cheu que la parleure en est plus délitable et plus commune à toutes gens. >>

Cette parleure » a aussi semblé «plus délitable » à Leibnitz, dont la Theodicée est rédigée en français, à la grande Catherine, au comte Orloff, à la duchesse de Devonshire, qui a adressé au poète Delille de charmantes strophes dans notre langue; au P. Ventura, à l'économiste Ramon de la Sagra, à tant d'autres personnages célèbres ou illustres, parmi lesquels on n'a eu garde d'oublier l'Anglais Ramsay, auteur de la meilleure Vie de Fénelon. C'est là l'un des côtés les plus curieux et assurément les plus neufs de l'ouvrage du colonel Staaff.

Ce dernier a songé également à faire figurer à côté des princes de la littérature, les chanteurs plus modestes qui ont souvent rencontré la gloire dans des sentiers perdus. C'est une idée originale, assurément, autant que généreuse et féconde, d'avoir donné quelques échantillons, avec des traductions françaises, de nos poètes provençaux, béarnais, bretons. C'est ainsi que la gracieuse Mireille, la brune Provençale, figure à côté de l'Elvire de Lamartine et de la Virginie de Bernardin de Saint-Pierre, dans le bel ouvrage qui nous occupe. Mais, en rendant justice à Mistral, le Cours de littérature de M. Staaff n'a pas oublié que Roumanille fut le promoteur de la renaissance provençale. Il est donc cité, auprès de M. de la Villemarqué, l'ardent panégyriste de notre Bretagne, le traducteur des beaux chants gallois, qui déterminent la mesure de l'authenticité des poésies d'Ossian, et des chants populaires de la Bretagne, auxquels une ou deux pages ont été empruntées dans sa version.

On le voit, le livre du colonel Staaff est tout un monde, puisqu'il nous amène de la cantilène de Sainte-Eulalie, cet embryon de la langue française, jusqu'aux poésies de Lamartine et de Victor Hugo. Il fallait donc une méthode sévère pour se reconnaître dans cet immense domaine : l'auteur a trouvé, du premier coup, la meilleure, en dédaignant les catégories pour adopter l'ordre chronologique, et il a accompagné son œuvre de deux Tables, l'une analytique, présentant tout le tableau historique de notre littérature; l'autre alphabétique, vaste répertoire des noms et des faits mentionnés dans l'ouvrage et permettant de les retrouver instantanément.

Après le travail de création et d'ordonnancement de ce vaste recueil, vient la rédaction proprement dite, qui est due, en grande partie, à un des anciens collaborateurs de cette Revue, M. Auguste Robert, excellent écrivain à la plume ferme et délicate, à l'esprit exempt de préjugés, dont

l'érudition toujours fine est guidée par la probité littéraire la plus rigide. On peut ne point partager ses jugements, on est forcé de rendre hommage partout à la hauteur de ses vues et à la rectitude de sa logique.

Il est à peine nécessaire, en terminant, de faire remarquer que l'ouvrage du colonel Staaff, constituant à lui seul une bibliothèque, offre des avantages immenses pour les études pédagogiques, par la variété qu'il embrasse. Naturellement le maître, proportionnant son choix à l'âge comme à l'intelligence de l'élève, prendra, dans l'une ou l'autre des diverses parties, ce qu'il jugera nécessaire de faire connaître, en remettant à un autre temps les lectures encore trop difficiles. Aussi le ministre de la maison de l'Empereur et le ministre de l'iustruction publique ont-ils hautement patroné cet ouvrage, qui est à la fois un livre de classe, et la plus complète expression du génie français.

V. G.

Chefs-d'œuvre de Jacob Ruysdael, notice et eaux fortes, par M. BRONISLAS ZALESKI. Paris, librairie du Luxembourg.

S'il est vrai que la nature soit souveraine inspiratrice des arts, il semblerait que la Hollande, cette contrée si maltraitée par elle, conquise en partie par une opiniâtre énergie sur l'Océan, déshéritée de ces richesses spontanées si prodigalement partagées entre des régions plus heureuses, dût fournir peu d'éléments aux inspirations du peintre. Un horizon monotone, un ciel nébuleux et sans chaleur, un terrain plat et de l'eau, de l'eau partout, comme si la mer voulait prendre sa revanche des conquêtes du travail humain, tel est le sombre tableau offert au pinceau de l'artiste. Et pourtant cette uniforme étendue de plaines à perte de vue, ces grèves désolées ont donné le jour à une école de paysagistes qui ne le cèdent en rien à leurs rivaux des contrées plus favorisées par la nature. Ruysdael est un des premiers, le premier peut-être parmi ces peintres du paysage hollandais. Fidèle à son pays, il se distingue de la plupart des compatriotes ses émules par la préférence exclusive qu'il accorde aux sites, si peu variés cependant de sa terre natale. Il reste Hollandais par le choix de ses sujets comme par les qualités dominantes de sa peinture. L'influence italienne ne l'a point touché; il est peu probable, quoi qu'en disent certains de ses biographes, qu'il ait jamais visité l'Italie; en tous cas, il n'y a point une de ses toiles qui soit animée par ce chaud soleil du Midi, dont Claude Lorrain, contemporain du maître hollandais, aimait tant à reproduire l'admirable sérénité. De vastes p'aines à demi noyées dans l'eau, un ciel nuageux illuminé par un fugitif rayon de soleil, tantôt une cascade tombant en fine poussière, tantôt un de ces pittoresques moulins qui bordent les côtes de la Hollande: parfois, au bord d'un grand chemin, une cabane entourée d'arbres; tels sont les sujets favoris de Ruysdael. Aussi n'a-t-il point échappé au reproche de monotonie, reproche peu fondé, du reste; car, si le peintre se renferme dans un cercle de sujets presque toujours les mêmes, il sait y jeter une incroyable variété. Un des thèmes préférés de Ruysdael est le contraste qui naît d'une atmosphère humide et à demi obscure, et d'une soudaine clarté se glissant à

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travers ce fond sombre. Le Coup de soleil du Louvre est, en ce genre, une des œuvres les plus justement vantées du maître. Jamais la lutte des demi-teintes et de la lumière n'a été mieux rendue; le soleil n'a encore pénétré que le fond du tableau; le devant de la toile reste enveloppé de vapeurs et de brume; ce n'est point une opposition brusquement tranchée, c'est une dégradation de couleurs rendue avec une savante vérité. Voilà le peintre que M. Bronislas Zaleski nous fait connaître. Une notice vivement écrite, et d'une remarquable justesse d'appréciation, donne une idée générale de la manière de Ruysdael: « La caractéristique de son talent », dit avec raison M. Zaleski, « est un sentiment profond de la nature. » La nature, en effet, telle est la grande, l'unique préoccupation de Ruysdael; mêle-t-il quelques personnages au site qu'il a choisi, il ne prend même pas la peine de les peindre; il emprunte, selon l'usage d'ailleurs de plus d'un paysagiste, le pinceau de Wouvermans, d'Adrien Van de Velde, ou de son maître Berghem; il se réserve les troncs noueux, les branches tantôt mises à nu par l'orage, tantôt couvertes de feuilles, le marécage rempli de roseaux ondoyant au vent, le pin grave et mélancolique dressant sa svelte cime dans le brouillard; l'homme n'est qu'un accessoire pour lui.

Cinq eaux-fortes reproduisent cinq des meilleures toiles de Ruysdael, entre autres la Cascade que nous avons admirée dans le riche musée d'Amsterdam, et le Moulin, de la galerie Van der Hoop, qui n'a point encore été gravé. Sans doute, Ruysdael n'est point représenté tout entier dans cet album; nous aurions voulu y rencontrer la fameuse Tempête du Louvre, digne de Rembrandt, et cette merveilleuse Vue d'Overveen du musée de la Haye, le chef-d'œuvre, selon quelques-uns, du maître hollandais. Mais ces quelques gravures suffisent cependant pour réveiller puissamment les souvenirs des heureux qui connaissent les toiles du grand peintre, et les quelques pages de M. Zaleski en sont un excellent commentaire. Ruysdael a-t-il jamais été mieux apprécié que dans ces lignes : «Ses œuvres ne sont point très variées; elles ne satisferont pas ces esprits curieux et inquiets qui réclament d'un peintre de la nature toujours de nouvelles couleurs et de nouvelles formes, et auxquels même ne peut suffire la variété des photographies qui affluent sans cesse de toutes les parties du monde; ses paysages embrassent à peine un tout petit coin de terre et ne se distinguent point par le pittoresque des positions; sa palette n'a point une profusion de couleurs; mais sur ces touches peu nombreuses il faisait vibrer toute son âme, il savait marquer presque chacune de ses toiles de l'empreinte de ses sentiments, si bien qu'elles sont un chant et parfois, comme le Cimetière juif de la galerie de Dresde, un poême complet. La sensibilité et la mélancolie y règnent, et aussi ce sentiment. solennel, cette sainte terreur qui s'empare de l'homme lorsqu'il envisage seul à seul la nature et ses mystères. » Un catalogue détaillé de toutes les toiles et estampes connues de Ruysdael termine cette intéressante publication, à laquelle l'éditeur a fait les honneurs mérités d'un grand luxe et d'un soin minutieux. Tous les travaux qui tendent à populariser les œuvres des grands maîtres sont dignes d'encouragement sérieux, surtout

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