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à la connaissance sérieuse du moyen-âge en Occident aussi bien qu'en Orient.

Notre confrère passa la meilleure partie de sa vie entre les manuscrits et les livres, dans les murs de la Bibliothèque impériale, qui l'avait reçu comme simple employé, qui se glorifia de lui bien avant qu'il fût appelé, par sa réputation européenne, au poste supérieur qu'il y occupait. Il y était un des principaux liens entre la science étrangère et la science française, et les philologues de tous les pays trouvaient près de lui un accueil dont son exquise politesse ne faisait pas tous les frais. Il rendit au Cabinet des services que la publication prochaine du Catalogue des manuscrits grecs ne révélera pas tout entiers. Sa profonde érudition philologique, sa sagacité extraordinaire de paléographe, n'éclairaient pas seulement des plus sûres lumières les acquisitions de la Bibliothèque; elles la préservèrent, dans certaines occasions, d'erreurs compromettantes et signalèrent des fraudes d'une grande habileté, qui avaient trompé le coup d'œil des plus savants hommes en Allemagne et ailleurs.

Rien de plus modeste, du reste, de plus simple et de plus uniforme, dans la succession de ses dignités et dans la multiplicité croissante de ses relations et de ses emplois, que l'existence de M. HASE. Elle appartenait avant tout au travail, et son secret pour suffire à tant de fonctions_et d'engagements, c'était, avec sa vigoureuse constitution, qui le sauva des suites d'un accident dont nous avons tous gardé mémoire, une règle de vie invariable, sans avoir rien de monastique, règle dont il ne s'écartait jamais que pour être plus sûr d'y rester fidèle. C'est ainsi qu'à part ses voyages en Grèce et en Algérie, qui furent de courte durée, chaque année, aux vacances, il se donnait le plaisir d'une excursion aux Pyrénées ou sur les bords du Rhin, récréant ainsi son esprit et son corps jusqu'à ses derniers jours, selon le conseil du sage, pour entretenir les forces de tous deux. Dans sa verte vieillesse, à soixante-dix-neuf ans, repassant les Alpes, après un long intervalle, il eut la curiosité de voir les champs de bataillé de Magenta et de Solferino, et il en rapporta de vives impressions que nous n'avons point oubliées. Il sympathisait à un haut degré avec la renaissance de l'Italie comme avec la gloire de la France, car il était Français de cœur aussi bien que d'adoption. Il avait foi aussi dans la régénération de la Grèce, et il y travaillait à sa manière, dans ses cours, où Hellènes et philhellènes se donnaient la main.

En 1858, l'Université d'Iéna avait annoncé la célébration du troisième anniversaire séculaire de sa fondation par l'électeur de Saxe, JeanFrédéric. Elle invita M. HASE, qu'elle comptait parmi ses plus illustres disciples, à y assister. Il s'en fit un devoir de piété filiale, et il y représenta dignement l'Institut en même temps que l'Université de France. Il remplit, à cette occasion, un autre devoir non moins sacré; il revit, pour la première et dernière fois, sa terre natale qu'il avait quittée soixante ans auparavant, et il y goûta quelques instants ces joies de la famille qu'il ne pouvait trouver ailleurs. Du moins il retrouva parmi nous, dans la famille académique, ces sentiments d'affectueuse déférence et de haute estime que lui avaient dès longtemps assurés l'autorité de son savoir unie à la douceur de son commerce et à sa bienveillance naturelle.

M. HASE prit, quelques années encore, une part active à nos travaux et porta dans nos Commissions, comme dans nos séances, le tribut habituel de ses lumières. Au Journal des Savants, il lisait, jusqu'à la fin de 1863, des articles d'une érudition choisie sur le Voyage archéologique dans la régence de Tunis de M. Victor Guérin, publié sous les auspices de notre illustre confrère M. LE DUC DE LUYNES, toujours prêt à encourager la

science qu'il a si bien servie par ses propres recherches. En 1864 seulement, sous les atteintes de l'hiver, la puissante organisation de M. HASE commença à fléchir d'une manière sensible. Des avertissements graves, qu'il écoutait trop peu, lui commandaient de prendre du repos; il parut s'y résigner, mais il était trop tard. Il fut vaincu dans une lutte où la victoire n'est guère possible, à quatre-vingt-quatre ans, et frappé, le 24 mars au soir, devant sa table de travail, entre les dernières feuilles de ce Thesaurus grec, sur lequel il avait passé tant de nuits, et celles d'un de nos ouvrages qu'il s'obstinait à finir.

Ne le plaignons pas, toutefois. Il terminait par un acte de courage une des plus longues et des plus heureuses carrières d'érudit dont se puissent glorifier nos annales, la carrière d'un chef d'école, comparable aux plus éminents dans l'ordre de ses études. La mort, d'ailleurs, qui lui vint si soudaine, ne l'avait pas tellement surpris qu'il ne l'eût envisagée, et les images mythologiques sous lesquelles il se représentait ses approches, à la manière de Socrate, n'étaient que le voile de pensées plus sérieuses, révélées par maints passages de ses derniers écrits. Lui-même, il nous défendrait d'en dire davantage. Circonspect à l'excès sur les questions religieuses comme sur les questions politiques, cet esprit libre par la science, timide seulement par le caractère, ne reconnaissait qu'à Celui qui sonde les reins et les cœurs le droit de scruter ses opinions.

M. HASE a été remplacé à l'Académie par M. LOUIS QUICHERAT, le 13 mai 1864. »

Cette lecture est suivie de celle d'un morceau intitulé « Ambassades de Michel Psellus auprès de l'usurpateur Isaac Comnène », par M. MILLER.

«La liste des empereurs d'Orient contient des noms qui réveillent à peine quelques souvenirs historiques. Michel Stratiotique est de ce nombre. Monté sur le trône en 1056, il en est renversé l'année suivante par Isaac Comnène, malgré les efforts de Michel Psellus qui, à deux reprises différentes, avait été envoyé auprès de l'usurpateur pour tâcher de le ramener à son devoir.

Ce Psellus était un personnage considérable. Il était très-savant et passait pour un habile orateur; mais, suivant la manie de l'époque, il était aveuglé par la présomption et professait pour son propre mérite une admiration par trop naïve. Il avait écrit en grec un grand nombre d'ouvrages dont plusieurs sont encore inédits. Parmi ces derniers figure une histoire de son temps: ce sont presque des mémoires. C'est d'après ces documents inconnus que je veux raconter les deux ambassades en question, ambassades que les historiens se contentent de mentionner, sans y ajouter pour ainsi dire aucun détail.

Psellus a un style élégant et recherché. Il n'est pas commode à traduire, ni même à comprendre, surtout lorsqu'il subtilise, ce qui lui arrive assez souvent. Je ne donne ici que la substance des faits. Quelquefois cependant je laisse parler l'auteur lui-même, afin de conserver au récit le côté piquant d'une vaniteuse personnalité.

Le vieux Michel Stratiotique ne s'entendait nullement aux affaires du gouvernement. Dès son arrivée au pouvoir, il se mit à distribuer les dignités avec une profusion irréfléchie et sans tenir compte de l'ordre hiérarchique. Cette maladresse jeta le trouble dans l'armée, en excitant, sans la satisfaire, l'ambition des soldats et de leurs chefs.

Un jour ils étaient réunis au Palais. Après le salut et les acclamations ANNÉE 1867. 13

d'usage, l'empereur les dispose en cercle; puis, s'adressant à Isaac Comnène, qu'il avait fait placer au milieu d'eux, il l'accable d'injures et lui reproche la manière dont il s'est conduit dans la dernière guerre. Peu s'en est fallu que la ville d'Antioche ne fût perdue. Il a laissé périr et disperser ses troupes, sans rien faire qui fût digne d'un bon général. Il a profité de sa haute position, non pour se couvrir de gloire, mais pour exercer des rapines.

Comnène demeure glacé d'effroi. Les autres généraux, ses compagnons, entreprennent vainement de le justifier : l'empereur leur impose silence et leur témoigne le plus profond mépris.

Telle fut l'origine de la trahison des soldats. Ils forcent Comnène de se mettre à leur tête et vont camper à peu de distance de Constantinople, pour se préparer au combat.

Cependant celui dont toute la puissance se réduisait au gouvernement de la capitale de l'empire restait dans l'inaction la plus complète.

Il ne prend aucune mesure énergique, ne s'empresse point de combler les vides faits dans l'armée par la désertion, et ne tente rien pour dissiper le parti des rebelles. On finit cependant par lui ouvrir les yeux. Il comprend qu'il lui faut des conseiliers, de l'argent, une armée. Il se décide alors à faire appeler Michel Psellus, dont il demande l'avis. Ce dernier lui conseille trois choses en premier lieu, et avant tout, de se réconcilier avec le patriarche; ensuite d'envoyer une ambassade à l'usurpateur, auquel on promettra tout ce qu'il n'est pas dangereux d'accorder, et on tâchera par quelque stratagème de dissiper son armée; enfin de réunir toutes les forces de l'empire répandues dans l'Occident, de demander l'alliance des barbares et de se mettre en mesure de combattre les rebelles.

L'empereur repoussa le premier conseil avec indignation et négligea le second. Quant aux troupes de l'Occident, elles se tournèrent contre lui et se réunirent aux conjurés.

Les deux armées étaient campées à peu de distance l'une de l'autre. L'une, celle de l'empereur, était supérieure en nombre; mais elle diminuait à vue d'œil, les déserteurs allant grossir les rangs de l'ennemi. L'autre brillait par le courage et la discipline et paraissait dévouée à son chef.

Les troupes qui étaient restées fidèles se comportèrent d'abord avec bravoure. Elles chantent l'hymne de guerre, et se précipitent avec fureur sur les rebelles, dont la gauche est enfoncée : la déroute commence. Cependant Comnène restait au milieu des siens, comme cloué sur place, et faisant preuve d'un courage admirable. Quatre soldats de l'armée impériale dirigent leur lance contre lui et le frappent des deux côtés à la fois. Mais leurs coups s'amortissent contre ses armes et sa cuirasse : ils ne parviennent ni à le blesser ni à le renverser. Poussé également de part et d'autre, il est maintenu en parfait équilibre, ce qui lui semble d'un bon augure. Il ne cesse de rallier les siens, excite leur courage, et leur commande de se précipiter contre les impériaux, qui faiblissent et sont mis en fuite.

En apprenant ces nouvelles, l'empereur est vivement ému. Il mande de nouveau Psellus, et le prie d'aller trouver l'usurpateur pour traiter de la paix et lui faire des propositions secrètes. Psellus se trouble, et refuse une mission qui lui semble comporter les plus grands dangers. L'empereur alors, secouant la tête d'un air triste et résigné: « Vous avez médité longtemps sur l'art de bien dire, mais avez-vous jamais réfléchi au devoir qui vous est imposé de secourir un ami dans le malheur, un maître,

si Dieu me permet d'employer cette expression? Et cependant, moi, je n'ai point changé, même après avoir reçu le pouvoir souverain. Je vous parle toujours avec la même bienveillance; je vous aime comme auparavant, et j'admire journellement le flot d'éloquence qui s'échappe de vos lèvres. J'avais droit de compter sur un traitement pareil; et vous ne m'accordez seulement pas ce qu'un honnête homme ne pourrait refuser à son ennemi en danger. J'obéirai à ma destinée; mais vous, un jour assurément, vous serez blâmé d'avoir trahi les devoirs de l'amitié envers votre ami et votre souverain. »

A ces mots Psellus est d'abord frappé de stupeur; mais, bientôt, reprenant courage: « O mon empereur, dit-il, n'attribuez point ce refus à mon manque de dévouement; mais je crois ne pas pouvoir remplir une pareille mission, et je crains les envieux.

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Quelles sont donc ces craintes ? Et pourquoi n'acceptez-vous pas cette ambassade?

Vous m'envoyez auprès d'un homme victorieux, et dont l'avenir es plein d'espérances. Il me recevra mal et me renverra honteusement, sans même vouloir m'écouter. Je serai en butte à la calomnie, et on dira que j'ai trahi mes devoirs envers mon souverain. Toutefois, si vous voulez que mes services vous soient utiles, donnez-moi, pour m'accompagner, un grand dignitaire de l'empire, afin que son discours et le mien soient prononcés et entendus publiquement. >>

L'empereur permit à Psellus de s'adjoindre deux des principaux sénateurs, et le chargea de rédiger une lettre dans laquelle il serait dit que Comnène porterait la couronne de César, avec les insignes répondant à cette dignité, mais qu'il resterait soumis à l'autorité impériale.

Après avoir tout disposé pour leur départ, les trois ambassadeurs s'arment de courage et sortent de la ville pour aller trouver l'usurpateur. Ils le font prévenir de leur arrivée ; mais, avant d'entrer en conférence avec lui, ils demandent l'assurance formelle qu'il ne leur sera fait aucun mal; on leur rendra les honneurs dus à leur rang, et il leur sera permis de retourner à Constantinople. Comnène, qui de son côté était très-effrayé, consent à tout. Les ambassadeurs montent alors sur un vaisseau et abordent à l'endroit où il campait.

Les généraux, après leur avoir fait l'accueil le plus amical, les introduisent dans la tente de l'usurpateur.

Assis sur un endroit élevé, il était entouré d'un petit nombre de gardes. Son costume était plutôt le costume d'un général que celui d'un empereur. En apercevant les ambassadeurs, il se leva et les salua. Il leur permit ensuite de s'asseoir, puis, sans s'informer de l'objet de leur visite, il se justifia en quelques mots d'avoir entrepris une guerre que les circonstances avaient rendue nécessaire. Après quelques questions insignifiantes sur leur voyage, il prit congé d'eux, et les fit conduire dans les tentes qui avaient été préparées près de la sienne.

Le lendemain de bonne heure, pendant que Psellus et ses collègues se concertaient entre eux, les principaux généraux vinrent les prendre, et, leur servant d'escorte d'honneur, les conduisirent auprès de Comnène. Ils aperçurent une tente immense et entourée de gens armés. Lorsqu'on ouvrit la porte toute grande, ils furent saisis d'effroi en entendant les exclamations de l'armée, qui d'abord ne partaient pas toutes ensemble, mais successivement, et avec des intonations différentes. Après les exclamations du dernier cercle, tous se mirent à crier à la fois, de manière à produire un bruit épouvantable.

Cependant les ambassadeurs, revenus de leur première émotion, observaient attentivement l'intérieur de la tente.

Comnène était assis sur un trône à deux têtes, placé très-haut et couvert d'or. Ses pieds reposaient sur un tabouret, et il était vêtu d'une magnifique tunique. Il dominait l'assemblée de toute la tête. Sa poitrine penchait en avant. Ses joues étaient colorées; son regard était fixe, et semblait indiquer que dans son cœur le calme avait succédé à la tempête. Autour de lui plusieurs cercles de guerriers. Le premier, c'est-à-dire le plus rapproché de lui, était composé des principaux personnages, appartenant aux premières familles de l'empire; venaient ensuite et successivement l'élite de l'armée, les dignitaires inférieurs, les soldats armés à la légère, puis les alliés appartenant à différentes nations. Le dernier cercle se composait d'hommes armés de cuirasses. Ils portaient de longues lances et des haches à deux tranchants. Sur le milieu du corps ils avaient une panoplie.

De la main, l'empereur fait signe aux ambassadeurs d'entrer, et incline légèrement la tête. Il les interroge d'abord comme la première fois. Bientôt, élevant la voix : « Avez-vous quelque lettre à me remettre? Acquittez-vous du message dont on vous a chargés pour moi. »>

Nous ne sommes plus à l'époque des Mucius Scévola et des Pythéas, époque où le courage civil était considéré comme la première vertu des citoyens. Aussi nos gens étaient-ils tremblants de peur. Chacun d'eux faisait place à l'autre, et c'était à qui ne se mettrait pas en avant. Psellus enfin, en sa qualité d'orateur, se laisse persuader par ses deux compagnons. Il s'avance avec une attitude respectueuse, remet la lettre à Comnène, et lui explique l'objet de leur mission.

Il paraît que la mémoire fit défaut à Psellus, par suite de l'émotion qu'il éprouvait. C'est du moins ce qu'il raconté dans des termes tels que je ne résiste pas au désir de les reproduire, comme type de la sottise et de la vanité byzantines. Il oublie complétement l'objet de son ambassade: le talent et la gloire de l'orateur lui paraissent la seule chose impor

tante.

«Si, dit-il, le bruit que j'entendais ne m'avait pas troublé l'esprit, je n'aurais point oublié une partie de ma harangue qui était très-longue. Je me serais rappelé toutes les beautés oratoires que j'y avais semées. J'aurais parlé en périodes harmonieuses et j'aurais donné de la grâce à mon discours par des saillies spirituelles: car je possède le langage vulgaire tout aussi bien que celui des savants. A l'exemple de Lysias, j'aurais imité la simplicité des expressions naïves du peuple, en ayant soin de les orner d'idées élevées et artistement arrangées. Mais le trouble où j'étais ne me permit de me rappeler que le canevas et les divisions de mon discours. Toutefois, si ma mémoire ne me trompe pas, mon exorde fut magnifique et fut accueilli avec faveur. Bien loin de blâmer le César, je lui décernais des louanges publiques. Je parlais ensuite de l'empereur, des honneurs et des dignités qu'il leur réservait. Ceux qui étaient placés en arrière faisaient beaucoup de bruit ; ils criaient qu'ils ne voulaient pas voir leur chef autrement que revêtu des insignes de l'empire. Comnène, pour complaire à la multitude, poussait des cris dans le même sens.

» Cependant je restais impassible. Je m'étais fortifié par des pensées solides. Sachant par expérience que dans les discussions mon sang-froid ne m'abandonne jamais, je pris le parti de me taire et d'attendre que tout fût rentré dans l'ordre. Bientôt les cris cessent et le silence se rétablit. Je repris alors la parole et continuai mon discours, en lui donnant un tour élégant et pathétique, mais dépouillé de superfluités. Je glissais sur la con

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