Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

et comme acculé à la révolte. Il est infiniment probable que sa révolte eut lieu cette année-là. Or c'était justement l'année qu'il fallait pour justifier les lettres citées par Vulcatius (1).

L'examen intrinsèque de ces lettres nous paraît aussi écarter tout-àfait l'idée d'une fraude. Une seule intention pourrait les avoir fait supposer: le désir de préparer des pièces justificatives à l'innocence de Faustine. Mais alors comment expliquer les erreurs de faits et de lieux qu'on croit y trouver ? Le faussaire n'aurait-il pas eu le bon sens d'éviter d'y mettre des impossibilités historiques, vraiment énormes dans l'hypothèse de nos adversaires? Il est absolument inadmissible qu'on ait fabriqué les pièces en question du vivant de l'impératrice. Il s'écoula très-peu de temps entre la révolte d'Avidius et la mort de Faustine. Les soupçons contre cette dernière ne se produisirent qu'après sa mort. Après la mort de Faustine, on conçoit encore moins la fabrication de pareilles pièces. La mémoire de Faustine ne garda pas de défenseurs. Ajoutons que la lettre de Marc-Aurèle au sénat, également conservée par Vulcatius (2), n'est pas attaquée; or cette lettre présente, en ce qui concerne Pompéien, une particularité tout-à-fait concordante avec les lettres soupçonnées. M. BORGHESI est obligé, pour échapper à cette difficulté, de recourir aux hypothèses les moins naturelles (3). Nous croyons donc que le consciencieux Tillemont a été, sur ce point, entraîné dans l'erreur par sa confiance exagérée dans les textes des historiens. Ces textes sont, pour l'époque qui nous occupe, tout-à-fait incomplets et défectueux; ils ne disent pas,il est vrai, qu'après avoir appris le soulèvement d'Avidius Marc-Aurèle vint en Italie; ils le font partir directement pour l'Orient; mais il est parfaitement admissible que Marc-Aurèle soit d'abord venu à Rome (4) où du moins aux environs (5). Sans cela même, on ne comprend pas comment Faustine se joint à lui pour le voyage d'Orient. Nous croyons donc que les quatre pièces conservées par Vulcatius Gallicanus sont authentiques. M. BORGHESI, du reste, fut ramené par des réflexions ultérieures à porter sur ces pièces un arrêt moins sévère. Dans ses Fastes consulaires (6), il semble leur accorder une pleine valeur. Mais, si les lettres citées par Vulcatius sont authentiques, le principal reproche qu'on adresse à la mémoire de l'épouse de Marc-Aurèle est victorieusement réfuté.

Les allégations relatives à l'empoisonnement de Vérus (7) sont si peu consistantes que nous ne nous arrêterons pas à les combattre. Et d'abord

(1) On obtient ainsi une suite de faits excellente Commencement de 169, mort de Lucius Vérus; fin de 169, Lucille épouse Pompéien ; 172, révolte d'Avidius et mort de Faustine; 473, mariage de Cl. Sévérus avec Fadilla, consulat de Pompéien et de Cl. Sévérus. (2) Ch. 12.

(3) Mém. cité, p. 440 et suiv.

(4) M. Des Vergers l'admet. (Essai sur Marc-Aurèle, p. 100.)

(5) Nous disons « ou aux environs » pour sauver la vérité du passage de Dion Cassius (LXXI, 32), d'où il résulterait que, quand Marc-Aurèle revint à Rome après son voyage d'Orient, il avait été absent huit années. Peut-être avait-il évité d'entrer dans Rome par quelque motif politique. Du reste, ces huit années ne peuvent être prises à la rigueur (voir la note 149 de l'édition de Sturz, sur le livre LXXI). Cf. Vulcatius, Avid., 43.

(6) (Encore inédits.) Note sur les consuls de l'an 926. (7) Capitolin, Verus Imp., 10.

Vérus n'a pas été empoisonné; il est mort de la façon la plus naturelle, d'une apoplexie, à Altino. Selon les uns, Faustine aurait procuré sa mort pour cacher ses intrigues avec lui; selon d'autres, par jalousie contre Fabia; selon d'autres, pour sauver son mari, que Vérus, dit-on, voulait faire assassiner. La calomnie ne se croit jamais obligée de se mettre d'accord avec elle-même. Faustine, qui tout-à-l'heure complotait contre son époux, se fait maintenant empoisonneuse par dévouement conjugal. La mort de Vérus donna lieu à mille suppositions, plus absurdes les unes que les autres (1). Il faut se rappeler que Rome était une ville d'une extrême immoralité; tous les mauvais bruits y trouvaient créance. L'imagination des nouvellistes ne rêvait que des crimes; on ne pouvait admettre qu'une femme fût honnête, ni qu'un homme important mourût de sa belle mort. Ces commérages passaient dans l'histoire, et, même quand ils étaient absurdes, il en restait quelque chose.

Que dire des débauches honteuses dont la voix publique accusa la fille d'Antonin, la femme de Marc-Aurèle? Ici la calomnie est facile, car la réfutation est impossible. Dans ces récits pourtant, que d'étourderie, que de légèreté ! Le mot sur la restitution de la dot, prêté à Marc-Aurèle, n'a été ni dit ni pensé par cet homme excellent, si dégagé de toute vue intéressée, totalement dénué de ce qu'on appelle de l'esprit. Il n'est pas exact que Marc-Aurèle dût l'empire à son mariage avec Faustine; il le devait au libre choix d'Adrien. Echappé un jour à quelque mauvais plaisant, le mot en question aura fait fortune dans Rome, et le lendemain (ainsi s'écrit l'histoire) aura été répété comme tenu par l'empereur. L'anecdote de l'acteur se livrant en plein théâtre à une allusion injurieuse, bien vite saisie, peut-être créée par le public, doit être vraie. Mais que prouve la malveillance d'un public assemblé pour écouter des impertinences et s'égayer aux dépens de la morale et de l'humanité? Les habitués des théâtres n'aimaient pas Marc-Aurèle (2). Il avait apporté aux combats de gladiateurs des tempéraments qui déplaisaient fort aux amateurs de ces jeux abominables; on étendait des matelas sous les funambules; on ne pouvait plus se battre qu'avec des armes mouchetées; les mécontents prétendaient que c'était chez l'empereur un plan arrêté de ramener de force le peuple à la philosophie en le sevrant de ses plaisirs. Marc-Aurèle venait au théâtre le moins qu'il pouvait, uniquement par complaisance. Il faut même dire que l'excellent homme y paraissait un peu ridicule. Il affectait, pendant le spectacle, de lire, de donner des audiences, de signer les expéditions, sans se mettre en peine des railleries qu'en faisait le peuple. Un jour, un lion qu'un esclave avait dressé à dévorer des hommes fut réclamé à grands cris par le peuple. La bête fit tant d'honneur à son maître que de toutes parts on demanda l'affranchissement de celui-ci. L'empereur qui, pendant ce temps, avait détourné la tête, répondit avec humeur : Cet homme n'a rien fait de digne de la liberté (3). » On conçoit que la malignité du parterre prît sa revanche de cette gravité désapprobatrice. Faustine, cependant, entourée dans sa loge de la brillante société que comportaient son rang, sa naissance et sa beauté, provoquait aux méchants propos. Qu'un mot alors prononcé par l'acteur prêtât à la moindre équivoque, le rire se propageait, et une plaisanterie d'étourdis devenait une calomnie.

(1) Tillemont, Hist. des Emp., II, p. 360, 361.
(2) Capitolin, Ant. Phil., 4, 41, 42, 45, 23.
(3) Dion Cassius, LXXI, 29.

Les fables relatives au gladiateur, censé le père de Commode (1), s'expliquent d'elles-mêmes. Cette fois, du moins, la légende partait d'un sentiment vrai et touchant. A aucun prix, l'on ne voulut que l'exécrable Commode fût le fils du pieux et bon Marc-Aurèle. Plutôt que d'admettre qu'un tel monstre eût pour père le plus sage et le meilleur des hommes, on calomnia la mère. Pour absoudre la nature d'une si révoltante absurdité, on ne recula devant aucune invraisemblance. Quand on voyait cet insensé combattre dans le Cirque et se comporter en histrion de bas étage : « Ce n'est pas un prince, disait-on, c'est un gladiateur (2). Quoi ! c'est là le fils de Marc-Aurèle ! » Bientôt on découvrit dans la troupe des gladiateurs quelque individu avec qui on lui trouva de la ressemblance, et l'on affirma que c'était là le vrai père de Commode. Le fait est que tous les monuments attestent la ressemblance de Commode et de son frère jumeau Annius Vérus avec Marc-Aurèle, et confirment pleinement à cet égard le témoignage de Fronton (3).

Est-ce à dire que de telles légendes aient pu se former autour d'une personne irréprochable? Non certes. Il est évident que Faustine eut des torts. Les amis de son mari ne l'aimaient pas. La digne et grave société d'hommes vertueux que Marc-Aurèle avait formée autour de lui garda d'elle un mauvais souvenir. La cause de ce manque de sympathie réciproque se laisse facilement deviner. Héritière des sentiments altiers qu'une incomparable noblesse de sang donnait aux femmes de l'ancienne aristocratie romaine, Faustine dut être plusieurs fois blessante pour les philosophes, à la mine austère, à l'habit déjà presque monacal, qui entouraient son mari. Elle leur fit sentir des dédains injustes que les femmes ne savent pas maîtriser quand le sentiment qu'elles ont de l'élégance et de la distinction est contrarié. Marc-Aurèle fut le plus bienveillant et, en un sens, le plus démocrate des souverains; il ne regardait qu'au mérite, sans égard pour la naissance, ni même pour l'éducation et les manières. Les excès et la fierté insupportable de la vieille aristocratie romaine lui avaient inspiré une assez forte antipathie contre les riches et les patriciens (4). Comme il ne trouvait pas, d'ailleurs, dans l'aristocratie les sujets propres à servir ses idées de réforme, il appelait aux fonctions des hommes sans autre noblesse que leur honnêteté, sans autre charme qu'une vertu solennelle, parfois un peu ennuyeuse. Le grand reproche que lui adressait Avidius Cassius était de confier les hauts emplois à des gens sans fortune et sans antécédents connus (5). Bassæus, qu'il choisit pour son préfet du prétoire, était, dit-on, un véritable rustre, mal élevé, peu intelligent. Il commit une faute bien plus grave encore à propos de Pompéien. C'était un homme de grand mérite, mais âgé, sans naissance, sans nul agrément. Marc-Aurèle eut la fâcheuse idée de le marier à sa fille Lucille, veuve de Lucius Vérus. Il voulait que les femmes de sa maison se pliassent à ses desseins, qu'elles n'eussent comme lui d'autre pensée que le bien de la république, et, parce que Pompéien était le plus honnête homme de l'empire, il s'imaginait qu'il devait plaire à Faustine et à Lucille. Il n'en fut rien; les deux femmes se révoltèrent et abreu

(4) Capitolin, Ant. Phil., 19.

(2) << Gladiatorem esse, non principem. » Ibid. Cf. Lampride, Comm. Ant., 1, 2, 8, 12, 13, 18, 19.

(3) N. Des Vergers, Essai sur Marc-Aurèle, p. 74, 75.

(4) Pensées, 1, 3, 14.

(5) Vulcat. Gall., Vie d'Avidius, 14.

vèrent d'affronts le pauvre Pompéien (1). Elles avaient tort sans doute; mais l'empereur aussi avait tort de froisser l'instinct, un peu frivole peutêtre, de personnes qui lui tenaient de si près. Beile, élégante, aristocratique et légère, Faustine fut ainsi une étrangère dans le monde de son mari. Les amis de son mari, de leur côté, durent souvent la voir avec quelque humeur; ils s'exagérèrent des légèretés, et, dans leur rigorisme outré, ils purent regarder comme des déportements scandaleux les manières libres d'une personne du monde (2). Sans être pire que la plupart de ses contemporaines, Faustine dut être fort mal jugée. Il est possible qu'elle n'ait jamais dépouillé complétement ce qu'il y a quelquefois d'un peu superficiel dans les jugements de la femme; par moments, les belles sentences de Marc-Aurèle, sa perpétuelle mélancolie, son calme, sa résignation, son aversion pour tout ce qui ressemblait à une cour (3), purent sembler bien austères à une femme jeune, capricieuse, d'un tempérament ardent et d'une merveilleuse beauté, elle se fatigua peut-être de tant de sagesse; elle eut le tort, en particulier, d'aimer les fêtes et les divertissements qui déplaisaient à son mari, d'y paraître seule et de s'y trop laisser aller à la gaieté (4). Mais, en somme, elle remplit bien le premier de ses devoirs; elle rendit son mari heureux; celui-ci remercia les dieux de la lui avoir donnée pour épouse.

Quant aux philosophes qui survécurent à Marc-Aurèle, ils ne furent pas aussi indulgents, et, comme ils écrivirent l'histoire, Faustine arriva devant la postérité jugée par ses ennemis. Le culte que les amis de Marc-Aurèle gardèrent pour sa mémoire nuisit à sa femme. On ne lui pardonna pas d'avoir été imparfaite à côté d'une telle perfection. La haine, parfaitement justifiée, qu'inspirait Commode à tous les honnêtes gens rejaillit aussi sur sa mère. Comme Avidius Cassius avait été du parti opposé aux philosophes (5), on le mit dans la même cabale. Marius Maximus et Dion Cassius recueillirent cette opinion et l'imposèrent à l'avenir. Elle était juste sans doute à beaucoup d'égards. Elle venait d'un sentiment touchant de vénération pour le grand et bon empereur; mais, comme toute opinion absolue, elle devait entraîner plus d'une exagération. Il est des natures qui, si j'ose le dire, appellent la calomnie, la créent autour d'elles, s'y livrent de gaieté de cœur. En présence de personnages historiques d'un tel caractère, le devoir de la critique est, non pas de prononcer des absolutions inconsidérées, mais de se renfermer dans ces jugements tempérés de «< peut-être » où réside bien souvent la vérité. »

Ce Mémoire sera lu à la séance publique des cinq Académies le 14 août.

M. Da Silva, architecte du roi de Portugal, offre à l'Académie une photographie représentant une travée du Musée archéologique récemment fondé par lui à Lisbonne avec le concours du

(4) Capitolin, Ant. Phil., 20.

(2) Voir, par exemple, le grief allégué contre Tertullus. Capitolin, Ant. Phil., 29.

(3) Pensées, I, 17; X, 27.

(4) Capitolin, Ant. Phil., 19; Aurel. Victor, Caes., XVI.

(5) Vulcatius Gall., Vie d'Avidius, 1,

14.

gouvernement portugais. Il accompagne cet hommage de la lettre ou notice suivante :

<< MESSIEURS,

» Dès 1848, une pensée s'était présentée à mon esprit, je voulus connaître quelle était la richesse archéologique du Portugal, dont les trésors d'art se trouvaient dispersés à de grandes distances. En 1859, le gouvernement me chargea de relever les plans de tous les édifices religieux du Portugal, et de faire un rapport sur les monuments romains et arabes dont les débris existent encore sur le sol de la vieille Lusitanie, comme aussi de signaler les monuments les plus intéressants de la Renaissance. A cette époque je commençais à publier le fruit de mes recherches dans un écrit périodique portant le titre suivant: Revista artistica e descriptiva de Portugal avec des vues photographiées des divers monuments et un texte explicatif. En 1863, j'eus l'honneur et la satisfaction de pouvoir fonder à Lisbonne, ce qui n'existait point encore, de pouvoir, dis-je, fonder la société des Architectes. A cette occasion, le gouvernement voulut bien nous donner, pour que nous pussions nous réunir, une vieille église abandonnée construite vers 1389, l'église du couvent aboli do Cormo à trois nefs et à cinq chapelles. Ce vaste emplacement me fit naître l'idée d'y établir un musée consacré à nos antiquités nationales. Sur ma demande, le gouvernement m'autorisa à déposer dans ce local les antiquités qui sur tous les points du royaume pourraient être transportées; à cet égard une liberté complète me fut accordée, et avec d'autant plus de raison que tout s'est fait à mes frais. L'année dernière le musée national do Cormo a pris figure, comme on dit en français; plus de six cents monuments de diverses époques y figurent pour l'instruction des savants et des artistes on y trouve des sarcophages, statues, bas-reliefs, bustes et sculptures d'ornement en pierre et en bois, des pierres tombales, des mosaïques romaines, des bornes milliaires du temps de Marc-Aurèle avec inscriptions, et de plus des inscriptions byzantines du troisième siècle; enfin, on y trouve des armes, notamment une arme celtique, des bijoux, des médailles et des

« ZurückWeiter »