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LES chofes en cet état euffent pu demeurer égales, fi les talens euffent été égaux, & que, par exemple, l'emploi du fer, & la confommation des denrées euffent toujours fait une balance exacte; mais la proportion que rien ne maintenoit, fut bientôt rompue; le plus fort faifoit plus d'ouvrage; le plus adroit tiroit meilleur parti du fien; le plus ingénieux trouvoit des moyens d'abréger le travail; Le Laboureur avoit plus befoin de fer, ou le forgeron plus befoin de bled; & en travaillant également, l'un gagnoit beaucoup, tandis que l'autre avoit peine à vivre. C'est ainsi que l'inégalité naturelle fe déploye infenfiblement avec celle de combinaison ; & que les différences des hommes, développées par celles des circonftances, fe rendent plus fenfibles, plus permanentes dans leurs effets,

& commencent à influer dans la même proportion fur le fort des particuliers.

LES chofes étant parvenues à ce point, il eft facile d'imaginer le refte. Je ne m'arrêterai pas à décrire l'invention fucceffive des autres arts, le progrès des langues, l'épreuve & l'emploi des talens, l'inégalité des fortunes, l'ufage ou l'abus des Richeffes, ni tous les détails qui fuivent ceux-ci, & que chacun peut aifément fuppléer. Je me bornerai feulement à jetter un coup d'œil fur le Genre-humain placé dans ce nouvel ordre de choses.

VOILA donc toutes nos facultés dévelop

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pées, la mémoire & l'imagination en jeu, l'amour propre intéreffé, la raison rendue active, & l'efprit arrivé presqu'au terme de la perfection, dont il eft fusceptible. Voilà tou

tes

tes les qualités naturelles mifes en action, le rang & le fort de chaque homme établi, non feulement fur la quantité des biens & le pouvoir de fervir ou de nuire, mais fur l'efprit, la beauté, la force ou l'adreffe, fur le mérite ou les talens; & ces qualités étant les feules qui pouvoient attirer de la considération, il fallut bientôt les avoir ou les affecter; Il fallut pour fon avantage se montrer autre que ce qu'on étoit en effet. Etre & paroître devinrent deux chofes tout à fait différentes; & de cette distinction fortirent le faste impofant, la rufe trompeufe, & tous les vices qui en font le cortége. D'un autre côté, de libre & indépendant qu'étoit auparavant l'homme, le voilà par une multitude de nouveaux besoins affujeti, pour ainfi dire, à toute la Nature, & furtout à fes femblables dont il

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devient l'esclave en un fens, même en deve→ • nant leur maître; riche, il a befoin de leurs fervices; pauvre, il a befoin de leur fecours:

& la médiocrité ne le met point en état de fe paffer d'eux. Il faut donc qu'il cherche fans ceffe à les intéreffer à fon fort, & à leur faire trouver en effet ou en apparence leur profit à travailler pour le fien: ce qui le rend fourbe & artificieux avec les uns, impérieux & dur avec les autres, & le met dans la néceffité d'abufer tous ceux dont il a befoin, quand il ne peut s'en faire craindre, & qu'il - ne trouve pas fon intérêt à les fervir utilement. Enfin l'ambition dévorante, l'ardeur d'élever fa fortune relative, moins par un véritable befoin que pour fe mettre au-deffus des autres, infpire à tous les hommes un noir penchant à fe nuire mutuellement, une jalous

fie

fie fecrete d'autant plus dangereufe que, pour faire fon coup plus en fûreté, elle prend fouvent le masque de la bienveillance. En un mot, concurrence & rivalité d'une part, de l'autre oppofition d'intérêt, & toujours le défir caché de faire fon profit aux depens d'autrui; tous ces maux font le premier effet de la propriété & le cortége inféparable de l'inégalité naiffante.

AVANT qu'on eût inventé les fignes repréfentatifs des richeffes, elles ne pouvoient guéres confifter qu'en terres & en beftiaux, les feuls biens réels que les hommes puiffent pofféder. Or quand les héritages fe furent accrus en nombre & en étendue au point de couvrir le fol entier & de fe toucher tous, les uns ne purent plus s'aggrandir qu'aux dépens des autres ; & les furnuméraires, que la foir

bleffe

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