Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

couverte de Vaiffeaux & de Matelots; & que de l'autre on recherche avec un peu de méditation les vrais avantages qui ont réfulté de tout cela pour le bonheur de l'efpéce humaine; on ne peut qu'être frappé de l'étonnante difproportion qui régne entre ces chofes, & déplorer l'aveuglement de l'homme qui, pour nourrir fon fol orgueil & je ne fais quelle vaine admiration de lui-même, le fait courir avec ardeur après toutes les miféres dont il eft fufceptible, & que la bienfaisante Nature avoit pris soin d'écarter de lui.

Les hommes font méchans; une trifte & continuelle expérience difpenfe de la preuve ; cependant l'homme eft naturellement bon, je crois l'avoir demontré ; qu'eft - ce donc qui peut l'avoir dépravé à ce point, finon les changemens furvenus dans fa conftitution, les progrès qu'il a faits, & les connoiffances qu'il a acquifes? Qu'on admire tant qu'on voudra la Société humaine, il n'en fera pas moins. vrai qu'elle porte néceffairement les hommes à s'entre-haïr à proportion que leurs intérêts fe croisent, à fe rendre mutuellement des fervices apparens & à fe faire en effet tous les

[blocks in formation]

maux imaginables. Que peut-on penfer d'un commerce où la raifon de chaque particulier lui dicte des maximes directement contraires à celles que la raifon publique prêche au corps de la Société, & où chacun trouve fon compte dans le malheur d'autrui? Il n'y a peut-être pas un homme aifé à qui des héritiers avides & fouvent fes propres enfans ne fouhaitent la mort en fecret; pas un Vaiffeau en Mer dont le naufrage ne fût une bonne nouvelle pour quelque Négociant; pas une maison qu'un débiteur ne voulût voir brûler avec tous les papiers qu'elle contient; pas un Peuple qui ne fe réjouiffe des défaftres de ses voisins. C'est ainfi que nous trouvons notre avantage dans le préjudice de nos femblables, & que la perte de l'un fait presque toujours la profpérité de l'autre. Mais ce qu'il y a de plus dangereux encore, c'eft que les calamités publiques font l'attente & l'espoir d'une multitude de particuliers. Les uns veulent des maladies d'autres la mortalité, d'autres la guerre, d'autres la famine. J'ai vû des hommes affreux pleurer de douleur aux apparences d'une année fertile ; & le grand & funefte incendie de

Lon

[ocr errors]

Londres qui coûta la vie ou les biens à tant de malheureux, fit peut-être la fortune à plus de dix mille perfonnes. Je fais que Montaigne blâme l'Athenien Démades d'avoir fait punir un Ouvrier qui vendant fort cher des cercueils gagnoit beaucoup à la mort des Citoyens Mais la raifon que Montaigne allégue étant qu'il faudroit punir tout le monde, il est évident qu'elle confirme les miennes. Qu'on pénétre donc au travers de nos frivoles démonstrations de bienveillance ce qui fe paffe au fond des cœurs, & qu'on réfléchiffe à ce que doit être un état de chofes où tous les hommes font forcés de fe careffer & de fe détruire mutuellement, & où ils naiffent ennemis par devoir & fourbes par intérêt. Si l'on me répond que la Société eft tellement conftituée, que chaque homme gagne à fervir les autres; je répliquerai que cela feroit fort bien s'il ne gagnoit encore plus à leur nuire. Il n'y a point de profit fi légitime qui ne foit surpassé par celui qu'on peut faire illégitimement, & le tort fait au prochain eft toûjours plus lucratif que les fervices. Il ne s'agit donc plus que de trouver les moyens de s'af

furer

furer l'impunité, & c'est à quoi les puiffans employent toutes leurs forces, & les foibles toutes leurs rufes.

pas

L'HOMME Sauvage, quand il a dîné, eft en paix avec toute la Nature, & l'ami de tous fes femblables. S'agit-il quelquefois de difputer fon repas? Il n'en vient jamais aux coups fans avoir auparavant comparé la difficulté de vaincre avec celle de trouver ailleurs fa fubfistance; & comme l'orgueil ne se mêle du combat, il fe termine par quelques coups de poing; Le vainqueur mange, le vaincu va chercher fortune, & tout eft pacifié. Mais chez l'homme en Société, ce font bien d'autres affaires; il s'agit premiérement de pourvoir au néceffaire, & puis au fuperflu; enfuite viennent les délices, & puis les immenfes richeffes, & puis des fujets, & puis des Efclaves; il n'a pas un moment de relâche ; ce qu'il y a de plus fingulier, c'est que moins les befoins font naturels & preffans, plus les paffions augmentent, &, qui pis est, le pouvoir de les fatisfaire; de forte qu'après de longues profpérités, après avoir englouti bien des tréfors & defolé bien des hommes,

[ocr errors]

mon

mon Héros finira par tout égorger jufqu'à ce qu'il foit l'unique maître de l'Univers. Tel eft en abrégé le tableau moral, finon de la vie humaine, au moins des prétentions fecrettes du cœur de tout homme Civilifé.

COMPAREZ fans préjugés l'état de l'homme Civil avec celui de l'homme Sauvage, & recherchez, fi vous le pouvez, combien, outre fa méchanceté, fes befoins & fes miferes, le premier a ouvert de nouvelles portes à la douleur & à la mort. Si vous confidérez les peines d'efprit qui nous confument, les paffions violentes qui nous épuifent & nous défolent, les travaux exceffifs dont les pauvres font furchargés, la molleffe encore plus dangereufe à laquelle les riches s'abandonnent, & qui font mourrir les uns de leurs befoins & les autres de leurs excès: fi vous fongez aux monftrueux mêlanges des alimens, à leurs pernicieux affaifonnemens, aux denrées corrompues, aux drogues falfifiées, aux friponneries de ceux qui les vendent, aux erreurs de ceux qui les adminiftrent, au poison des Vaiffeaux dans lesquels on les prépare: fi vous faites attention aux maladies épidemi

ques

« ZurückWeiter »