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preffion qu'il reçoit de l'horrible fpectacle qui le frappe. On voit avec plaifir l'auteur de la Fable des Abeilles, forcé de reconnoître l'homme pour un être compatiffant & fenfible; fortir dans l'exemple qu'il en donne, de fon ftile froid & fubtil, pour nous offrir la pathétique image d'un homme enfermé qui apperçoit au-dehors une Bête féroce, arrachant un Enfant du fein de fa Mere, brifant fous fa dent meurtriére les foibles membres, & déchirant de fes ongles les entrailles palpitantes de cet Enfant. Quelle affreuse agitation n'éprouve point ce témoin d'un événement auquel il ne prend aucun intérêt perfonnel? Quelles angoiffes ne fouffre-t-il pas à cette vue, de ne pou

voir porter aucun fecours à la Mére évanouie, ni à l'Enfant expirant?

TEL

TEL eft le pur mouvement de la Nature antérieur à toute réflexion: telle eft la force de la pitié naturelle, que les mœurs les plus dépravées ont encore peine à détruire, puisqu'on voit tous les jours dans nos fpectacles s'attendrir & pleurer aux malheurs d'un infortuné, tel, qui, s'il étoit à la place du Tyran, aggraveroit encore les tourmens de fon ennemi. Mandeville a bien fenti qu'avec toute leur morale les hommes n'euffent jamais été que des monftres, fi la Nature ne leur eût donné la pitié à l'appui de la raison: mais il n'a pas vû que de cette feule qualité découlent toutes les vertus fociales qu'il veut difputer aux hommes. En effet, qu'est-ce que la Générofité, la Clémence, l'Humanité, finon la Pitié appliquée aux foibles, aux coupables, ou à l'efpéce humaine en général?

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La Bienveillance & l'Amitié même font, à le bien prendre, des productions d'une pitié constante, fixée sur un objet particulier: car 'défirer que quelqu'un ne fouffre point, qu'eftce autre chofe, que défirer qu'il foit heureux? Quand il feroit vrai que la commifération ne feroit qu'un fentiment qui nous met à la place de celui qui fouffre, fentiment obfcur & vif dans l'homme Sauvage, développé, mais foible dans l'homme Civil, qu'importeroit cette idée à la vérité de ce que je dis, finon de lui donner plus de force? En effet, la commifération fera d'autant plus énergique que l'animal Spectateur s'identifiera plus intimement avec l'animal fouffrant : Or il eft évident que cette identification a dû être infiniment plus étroite dans l'Etat de Nature que dans l'état de raifonnement. C'est la

elle

raifon qui engendre l'amour propre, & c'eft la réflexion qui le fortifie; C'eft elle qui replie l'homme fur lui-même; c'eft elle qui le fépare de tout ce qui le gêne & l'afflige: C'est la Philofophie qui l'isole; c'est par qu'il dit en fecret, à l'afpect d'un homme fouffrant, Péris fi tu veux, je fuis en fureté. Il n'y a plus que les dangers de la fociété entiére qui troublent le fommeil tranquile du Philofophe, & qui l'arrachent de fon lit. On peut impunément égorger fon femblable fous fa fenêtre; il n'a qu'à mettre fes mains fur fes oreilles & s'argumenter un peu, pour empêcher la Nature qui fe révolte en lui, de l'identifier avec celui qu'on affaffine. L'homme Sauvage n'a point cet admirable talent; & faute de fageffe & de raifon, on le voit toujours fe livrer étourdi

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ment au premier fentiment de l'Humanité. Dans les Emeutes, dans les querelles des Rues, la Populace s'affemble, l'homme prudent s'éloigne C'eft la canaille, ce font les femmes des Halles, qui féparent les combatans, & qui empêchent les honnêtes gens. de s'entr'égorger.

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IL eft donc bien certain que la pitié eft un fentiment naturel, qui modérant dans chaque individu l'activité de l'amour de foi

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même, concourt à la confervation mutuelle de toute l'efpéce. C'eft elle, qui nous porte fans réflexion au fecours de ceux que nous voyons fouffrir: c'eft elle qui, dans l'état de Nature, tient lieu de Loix, de mœurs, & de vertu, avec cet avantage que nul n'eft tenté de défobéir à fa douce voix :

C'eft elle qui détournera tout Sauvage robuf

te

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