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SÉANCE SOLENNELLE DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE DU 14 MAI 1901

Réception de M. GENTIL, commissaire du Gouvernement au Chari,

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et du capitaine P. JOALLAND, chef de la mission de l'Afrique centrale.

Occupation

et

Organisation des Territoires du Tchad

par M. Gentil

Mesdames, Messieurs,

J'ai eu l'occasion, il y a deux ans et demi, dans cette même salle, de faire le récit de la campagne que j'avais dirigée de l'Oubanghi au Tehad. Je n'y reviendrai que pour la résumer, afin de rendre plus clairs les événements qui se sont passés dans la suite et qui nous ont amené à occuper les territoires que j'avais précédemment explorés.

C'est donc d'une œuvre de près de six années que je vais avoir à vous entretenir. Dès 1890 le Tchad avait attiré l'attention des coloniaux. Les remarquables voyages de Denham, de Barth, de Vogel, de Monteil, nous avaient appris son existence, mais aucun de ces explorateurs n'avait pu, faute de moyens de transport par eau, en atteindre les eaux franches. Aussi bien le mystère qui enveloppait ce fameux lac excitait-il l'ardeur des chercheurs d'inconnu de toutes les nations.

La lecture des récits des voyages m'avait convaincu de la grande difficulté qu'éprouverait une troupe, tant soit peu nombreuse, non pas tant à atteindre le but qu'à y arriver, munie de tous les approvisionnements nécessaires.

La route du Congo semblait d'autant plus désavantageuse qu'au delà du point terminus de la navigation, tous les transports devaient être affectués à dos d'homme, car le pays ne produit ni chevaux, ni chameaux, ni bœufs porteurs. Or, l'homme même, si on peut le trouver en nombre suffisant, au bout d'un temps donné, consomme l'équivalent de la charge qu'il porte. Il fallait done songer à autre chose; par suite s'imposait la mise à l'eau d'un vapeur et d'une flottille sur un des affluents du Chari. C'est à cette œuvre que je m'employai de 1895 à 1897. Très bien secondé par des collaborateurs tels que MM. de Mostuéjouls, Huntzbuchler et Prins, je réussis dans cette entreprise. En avril 1897, deux ans après notre départ de France,

LA GEOGRAPHIE. III.

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un vapeur flottait sur le Gribingui ainsi que deux baleinières en acier. Deux postes étaient créés entre le bassin de l'Oubanghi et celui du Chari, à Krébedjé et à Gribingui, aujourd'hui Fort Crampel. J'entrai en rapports amicaux avec Senoussi, et, le 23 août, ayant laissé à Fort Crampel une garnison de 88 fusils, nous pouvions descendre le Chari, munis d'approvisionnements nous permettant de vivre pendant six mois. Je ne m'étendrai pas sur le voyage, qui dura quatre mois et qui eut pour résultat: 1° la reconnaissance du cours du Gribingui et du Chari jusqu'au Tchad; 2o la conclusion d'un traité de commerce et de protectorat avec le sultan du Baguirmi; 3o une moisson de renseignements politiques et économiques, notamment, sur la situation générale du Bornou, sur la puissance militaire de Rabah, sur le Ouadai dont j'eus la bonne fortune de trouver le représentant à Massenya. Ayant ainsi en mains tous les éléments d'une saine appréciation des choses pouvant amener à une conception nette et pratique d'une politique bien déterminée, je pris le chemin du retour et rentrai à Gribingui, le 13 décembre 1897.

M. Prins en était parti depuis dix-sept jours pour aller, avec une escorte de deux Sénégalais et 50 soldats fournis par Senoussi, faire signer à ce chef le projet de traité que j'avais élaboré avant mon départ. Il rapporta de sa dangereuse mission un traité en forme. Je pouvais donc, deux mois plus tard, prendre la route de France, laissant la direction des affaires à M. Huntzbuchler, pendant que M. Prins était envoyé comme résident au Baguirmi.

Sur la route de retour, je fis la rencontre de M. de Béhagle, chargé d'une mission commerciale par le Syndicat français du bassin du Tehad. Je me mis d'accord avec lui sur différents points, en particulier, sur l'exécution de son programme commercial et sur l'aide que nous lui apporterions. Je mettais à sa disposition le vapeur pour faire deux voyages, ainsi que les magasins des postes de Krébedjé et de Gribingui pour y déposer ses marchandises.

Rentré en France après une absence de trente-neuf mois, je rendais compte de ma mission au Gouvernement qui, d'après les renseignements que j'apportais, pouvait élaborer un premier plan d'opération. Mon excellent ami, le lieutenant de vaisseau Bretonnet, qui venait d'être nommé administrateur, était désigné, sur ma demande, pour continuer mon œuvre et me succéder. Il partait en octobre, ramenant avec lui les envoyés du Baguirmi et de Senoussi qui m'avaient accompagné en France et qui avaient pu se rendre compte de visu de la puissance militaire et économique de notre pays.

Bretonnet était à peine en route que les nouvelles les plus alarmantes nous parvenaient du haut Chari. Les villes de Koussouri, Goulfeï, Chaouï étaient razzićes par Rabah, qui leur imposait un tribut énorme, pour ne pas s'être opposées au passage du vapeur en 1898. Le sultan Gaourang, menacé dans ses états, brûlait sa capitale et se repliait sur Kouno, à 500 kilomètres en arrière. C'est là que notre résident, M. Prins le rejoignait en avril 1898. M. de Béhagle et son adjoint, M. Mercuri,

ne tardaient pas à l'y retrouver. Au reçu de ces nouvelles le gouvernement donnait l'ordre au capitaine Julien, qui avait été chargé de ravitailler Marchand et dont la mission, par suite de la convention franco-anglaise de 1898, se trouvait sans objet, de se mettre à la disposition de Bretonnet.

Les ordres transmis à ce dernier étaient les suivants : « Se porter à la rencontre de Gaourang avec les 150 hommes de la compagnie Jullien et le personnel milicien sénégalais disponible et attendre, dans les environs du 10° de Lat. N., l'arrivée de renforts et les instructions rédigées de concert avec M. Gentil ».

Pendant ce temps le ministre des Colonies, M. Guillain, me confiait l'exécution d'un programme plus vaste et plus complet. J'étais autorisé à recruter 200 hommes au Sénégal. On mettait à ma disposition un personnel civil et militaire comprenant les capitaines Robillot, de Cointet, de Lamothe, le lieutenant Kieffer, les maréchaux de logis Levassor et Baugnies, le sergent Cathala, MM. Bruel, Pinel, et divers agents. Je recevais le titre de Commissaire du gouvernement au Chari, et voici quelles étaient mes attributions:

...

Vous serez, dès que vous aurez atteint le poste de Krébedjé, dépositaire de tous les pouvoirs. Vous pourrez, par voie d'ordres, de décisions, ou, d'arrêtés, prendre telles résolutions que la situation vous paraîtra comporter. Vous pourrez, sauf ratification, conclure des traités avec les chefs indigènes. Vous pourrez, enfin, disposer de tout le personnel civil ou militaire envoyé sur les lieux, soit qu'il ait été placé directement sous votre autorité, soit que, comme MM. Bretonnet, il vous y ait précédé muni d'instructions particulières qu'il vous appartiendra de concilier avec les circonstances actuelles, soit que, comme MM. Voulet et Chanoine, il pénètre, après avoir été chargé d'une mission spéciale, dans le bassin du Chari.

« Vous devrez également, sur la partie des rives du Tchad que nous reconnaît l'arrangement franco-anglais du 14 juin 1898 et son annexe du 21 mars 1899, dans le Kanem notamment, conclure des traités, de façon à ce que l'ensemble des territoires visés par les conventions précitées puisse être reconnu, et, que, marquant aussi notre prise de possession, nous n'ayions plus aucune compétition à redouter de la part d'une puissance étrangère.

«Mais si des éventualités qu'il est impossible de prévoir viennent à se produire, je ne doute pas que, spontanément, vous ne sachiez être toujours à la hauteur des difficultés. Le gouvernement a toute confiance dans les qualités de prudence et d'énergie dont vous avez donné la mesure; il sait que, quoi qu'il arrive, vous ne faillirez pas à votre tâche. »

**

Avec des instructions aussi nettes et aussi précises, la besogne devenait simple et je pus quitter la France, le 25 février 1899, muni du matériel nécessaire à notre expédition. Le 30 mars, je rejoignais à Brazzaville le capitaine Robillot, qui m'y avait précédé depuis un mois.

Je séjournai à Brazzaville jusqu'au mois de mai. Le 22, j'atteignais Zinga, et,

dans les premiers jours de juin, la mission de la Sainte-Famille, où je ralliais le capitaine Jullien, qui avait reçu de Bretonnet l'ordre de tenir garnison à Krébedjé. Bretonnet avait lui-même quitté la station du Gribingui dans le courant du mois de mai, car des événements très graves s'étaient produits dans la région.

M. Prins, qui était resté comme résident au Baguirmi pendant une année, avait été remplacé dans ses fonctions par le lieutenant Durand-Autier; il rentrait en France et me rapporta les faits suivants :

Les Sénégalais qui étaient au Baguirmi s'étaient relâchés comme discipline. M. de Béhagle n'avait pu s'entendre avec le sultan Gaourang, et, après avoir eu l'idée de pousser une pointe au Ouadaï, avait renoncé à son projet; de concert avec Prins, il s'était décidé à faire une reconnaissance jusqu'au Tchad et, si la chose était possible, à entrer en rapports avec Rabah.

Je n'apprécierai pas ici l'opportunité de ce dessein. Je constate des faits et je passe. Qu'il me suffise de dire qu'entre temps M. de Béhagle avait reçu une certaine investiture officielle locale, l'autorisant en quelque sorte à collaborer à notre politique, ce qui le distrayait forcément de son rôle commercial.

Ceci établi, MM. Prins et de Béhagle quittèrent Kouno, dans les premiers jours de février, dans une baleinière en acier et redescendirent le Chari. Arrivé à Klessem, M. de Béhagle débarqua et Prins partit en reconnaissance. Arrivé à Fadjié, Prins rencontra un parti de cavaliers qui firent feu sur lui; il les repoussa aussitôt sans avoir éprouvé de pertes. Cette réception peu agréable le détermina immédiatement à revenir en arrière et à exposer la situation à M. de Béhagle. Ce dernier se serait décidé à rebrousser chemin avec Prins, si malheureusement le gouverneur de Koussouri, Othman Cheiko, n'avait pas envoyé à ce dernier une lettre d'excuses au sujet de ce qui venait de se passer. Il affirmait qu'il y avait eu méprise, et, que dorénavant les Français pourraient circuler en toute sécurité sur le fleuve.

Ces assurances ne convainquirent pas Prins, mais suffirent à M. de Béhagle dont l'esprit d'aventure et l'enthousiasme pouvaient se donner libre cours. Ils se séparèrent donc, l'un pour rejoindre son poste, l'autre, hélas! pour ne plus revenir.

Prins revint donc à Kouno, où le lieutenant Durand-Autier le remplaçait; après trois ans et demi d'absence, il pouvait, enfin, reprendre la route du retour. Prins ne se rencontra pas avec M. Bretonnet qui, faute de moyens de transport, avait pris la route de terre, en passant chez Senoussi. Cet officier était accompagné du lieutenant Braun, du maréchal des logis Martin, et, de l'interprète Hassen. Après avoir séjourné quelque temps à N'Dellé, il longea le fleuve, puis, ayant rencontré une flottille de pirogues et de baleinières en acier, qui remontait à destination du Gribingui, il s'en servit pour continuer sa route et arriva à Kouno à peu près en même temps que j'atteignais Krébedjé. La flottille qui lui avait servi remontait jusqu'au Gribingui et un premier convoi comprenant des munitions d'infanterie et trois pièces de 4 descendait sous le commandement du chef de poste Pouret. Quelques jours après, j'arrivai dans la région et M. Prins me mettait au courant de la situation.

Ayant arrêté toutes les dispositions pour que l'énorme matériel que nous ame

nions pût être transporté, je pris avec moi la compagnie Jullien et me transportai, en toute hâte, à Gribingui, où j'arrivai le 29 juin 1899.

Dans ce poste était mouillé le vapeur Léon Blot dans un état de délabrement complet; aucune embarcation ne s'y trouvait. Sans tarder, le dévoué collaborateur que j'avais déjà eu dans ma première mission, M. de Mostuéjouls, se met à l'œuvre pour réparer le vapeur et pour monter un grand chaland de douze mètres que j'avais apporté de France. Le chaland était lancé le 25 juillet. Deux jours auparavant j'avais reçu par pirogues une lettre de M. Bretonnet datée du 6 juillet, dont je donnerai quelques extraits.

Après une demande du matériel qui lui était nécessaire, il exposait la situation politique telle qu'elle lui apparaissait. Il annonçait que son arrivée avait rendu l'assurance à Gaourang et à son entourage, et, ajoutait :

« J'ai confié au lieutenant Durand-Autier la délicate mission d'aller aux avantspostes de Rabah porter une lettre dans laquelle j'annonce mon arrivée à Rabah et lui déclare que nous n'avons aucune intention hostile contre ses états. Je lui dis me refuser à croire le bruit qui m'est rapporté et d'après lequel il retiendrait prisonnier M. de Béhagle venu à lui avec des paroles de paix et confiant dans les assurances de sécurité qui lui avaient été données. Le lieutenant Durand-Autier parti, avec la baleinière et quinze miliciens, a ordre d'attendre la réponse de Rabah, et M. de Béhagle à Mainheffa.

«Le 4 juillet au soir, je recevais de lui une lettre m'annonçant la nouvelle reçue également par le sultan, d'une panique considérable sur tout le fleuve, provoquée par une nouvelle razzia des gens de Rabah. Le bruit de la mort de M. de Béhagle fut même rapporté, mais j'espère qu'il en est encore de ce bruit comme de celui qui, grossissant cette razzia de vivres, annonçait que Rabah en personne marchait sur Kouno pour venir s'emparer des armes et munitions, avant l'arrivée du vapeur. M. Durand-Autier, arrêté un moment, a dù reprendre sa route vers le nord. >> En ce qui concerne Rabah, Bretonnet écrivait : « Une disette extrême règne au Bornou, où il n'a pas plu l'an dernier, de sorte qu'il n'y a pas eu de récolte. Telle serait la cause des razzias actuelles sur la rive droite, dans le seul but de se procurer des vivres. >>

La ligne de conduite que se traçait Bretonnet était la suivante : je le cite toujours: « Je m'étais inquiété, dès mon arrivée et vu les basses eaux, de faire rassembler aussitôt par le sultan les pirogues voulues pour aller au Gribingui chercher la compagnie Jullien, qui doit y être arrivée maintenant, et le ravitaillement... malheureusement l'alerte qui vient d'avoir lieu, jointe au manque d'autorité du sultan, l'a empêché de me fournir les 100 pirogues qu'il m'avait promises; il importe, néanmoins, de sortir le plus tôt possible de cette situation intenable et d'aller occuper Massenia toujours tenu par Alifa Moïto. Nous ferons de notre mieux pour aviser au manque de moyens de transports. J'envoie ordre à la compagnie Jullien de rallier Kouno... >>

Au reçu de cette lettre, j'envoyai M. Pinel à Krébedjé avec ordre de ramener 200 charges de première utilité demandées par Bretonnet, et d'être de retour pour le départ du Blot, qui devait être prêt le 6 août.

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