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Lorsque je fis signe à mes guides que désormais nous consentions à aller dans cette direction, ils montrèrent un vif enthousiasme, et, cette fois, par de fort bons chemins, ils nous reconduisirent à Ban-Kil. Nous cherchâmes, mais en vain, à nous écarter dans l'ouest, sachant l'est impraticable; nous nous heurtâmes de nouveau à des chemins fermés. Nous en avons conclu que ce village est l'un des derniers sur la limite de la forêt-clairière. Il y aurait done, au pied de la chaîne du Djambra, dans l'est, une vaste région de forêts complètement inhabitée, depuis Ban-Kil jusqu'au pays Stieng de Djirill.

Malheureusement, il ne nous était pas possible de correspondre avec les habitants autrement que par signes, aussi ne pùmes-nous avoir de détails corroborant cette opinion.

A notre arrivée à Ban-Kil, sur nos six Annamites il n'en restait que trois valides; la population se montrait de plus en plus opposée à notre marche au nord-est, et, elle semblait vouloir nous faire comprendre que notre échec précédent devait suffire à nous instruire. Il fallut donc nous laisser guider, quittes à changer de direction plus tard.

Le lendemain, en quelques heures, les porteurs nous avaient conduits à Poh-So-Ron, et là, s'enfuyaient abandonnant leurs charges dans la brousse.

Les miliciens attachés à leur surveillance firent feu, avant que. nous ayons pu donner contre-ordre et les gens de Poh-So-Ron prirent les armes. Nous étions, dès lors, en pays ennemi, sans moyen d'entente avec les habitants, sans qu'aucune explication pût être donnée sur nos désirs de pénétration pacifique. Nous avions remarqué par les cris en montagne que, depuis quelques jours la population se concentrait; l'attaque devenait imminente; je jugeai de mon devoir de songer désormais à la sécurité de ma petite troupe. J'ordonnai la retraite, bien à contre-cœur, car j'aurais voulu trouver le point de jonction de la chaîne du Djambra avec la chaîne annamitique, pour donner une étude complète du système orographique du pays.

Je retournais en arrière avec deux connaissances certaines celle de la position du Djambra et l'orientation de la chaîne de collines qui en fait le prolongement. Mais jusqu'où s'étend cette chaîne de collines? est-elle interrompue entre le Djambra et la chaîne annamitique? Y a-t-il passage sur Djirill au travers de cette chaîne? Voilà trois questions importantes qu'une marche en avant aurait résolues. Je souffris beaucoup à l'idée de laisser inachevée la tâche que je m'étais assignée, mais je devais ce sacrifice aux braves compagnons qui s'étaient adjoints à mon expédition et qui avaient montré jusque-là tant de dévouement et d'énergie.

La retraite fut, comme bien on pense, des plus pénibles. Il fallut nous garder avec grand soin; nous n'eûmes à subir qu'une seule tentative d'attaque, un soir, dans un village que ses habitants avaient abandonné à notre arrivée. La population nous fit charger par ses buffles, afin de mettre le désarroi dans

notre cantonnement et en profiter, sans doute, pour nous attaquer; heureusement nous étions sur le qui-vive et nous pùmes repousser à coups de fusil les animaux furieux. Toute la nuit, on put entendre, mêlés au « cop » d'un tigre attiré par les buffles blessés, les cris lointains des Moïs qui se massaient aux alentours. Par quelques marches en fausse direction, nous arrivâmes à dépister nos ennemis, et, ce ne fut pas sans une grande satisfaction que nous atteignimes les premiers villages Stiengs que nous savions en guerre avec les populations riveraines du Dak Glüm. On nous accueillit avec de bons rires, ravis de nous voir revenir avec trois prisonniers que nous avions emmenés de Ban-Kil, pour nous venger de la duplicité des populations, et, surtout, dans le but d'obtenir d'elles, arrivés à quelque poste, les renseignements topographiques complémentaires de notre expédition.

Malheureusement, ce moyen ne nous réussit guère et nos peines furent perdues. Personne, en Cochinchine, ne connaissait l'idiome de ces gens; de plus, le seul que nous pûmes envoyer à Tay-Ninh était un coolie de peu d'importance. Nous en avions délivré un qui souffrait de blessures au pied, ne voulant pas nous montrer inhumains vis-à-vis de gens ne connaissant pas l'Européen. Quant au second, un jeune chef actif et intelligent sur les renseignements duquel nous fondions quelques espérances, il parvint à s'échapper, à la hauteur du village de Rrüm, en volant le coupe-coupe d'un Cambodgien et blessant notre kay d'escorte avec une habileté remarquable.

On raconte à Tay-Ninh de notre unique prisonnier, que l'administrateur l'ayant fait relâcher avec quelques présents, après avoir vainement essayé de l'interroger, il abandonna tout à la frontière et s'enfuit.

Les Moïs de cette région nous ont paru d'un caractère tout spécial; ils seront, ainsi qu'on a pu voir, d'un accès difficile par la persuasion. Ils n'ont pas, à proprement parler, de chefs, mais il y a parmi eux des familles influentes. Chaque individu est libre dans le village. Il n'est pas de corvées communes. Ces gens sont divisés par « maisons » et celles-ci sont rapprochées, sans être centralisécs administrativement. Seuls, les intérêts communs motivent ces agglomérations, mais chaque famille, chaque individu même est absolument indépendant des autres. C'est ce qui nous rendit le recrutement des coolies si difficile; en résumé, ces populations sont dans un état de civilisation plus primitif encore que les Davaks et les Sedangs, qui ont, en cas de difficultés d'ordre extérieur, le chef de guerre mobilisant sous ses ordres les maisons, parfois même plusieurs villages. Ce manque d'organisation explique pourquoi nous pùmes ainsi braver pendant un mois l'opposition systématique de toute une population à notre passage. C'est ce même état social qui rendra leur pénétration très difficile. Il faudra les enserrer dans des postes de milice et les organiser complètement pour en obtenir quelque

LA GEOGRAPHIE. III.

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travail. Un poste avancé à Ban-Kil tiendrait les maisons les plus riches, par conséquent les moins facilement nomades de la région.

Le commerce des Moïs nous a paru peu important; mais je croirais facilement qu'ils ont quelques rapports avec les Cambodgiens et les Stiengs à l'ouest, avec les populations du Donaï au sud. Ainsi que le prouve notre échec, du nord à l'est ils ne fréquentent point avec les tribus habitant les versants ouest de la chaîne annamitique. Je supposerais volontiers que les gens de Ban-Kil furent prévenus contre l'Européen par les habitants du haut Donaï, dont la mauvaise volonté eut raison de l'énergie du capitaine Génin, l'année dernière.

Nous n'avons pu malheureusement présenter qu'une étude incomplète de l'intéressante région que nous devions étudier. Néanmoins, notre itinéraire place le sommet du Djambra dans un triangle de trois kilomètres : il y a une légère erreur entre la direction observée par M. Blim et les visées du Djambra que nous avons obtenues. La déclinaison (1°,5 N.-E.) corrigée rapproche les deux observations. Il se pourrait que nos boussoles aient eu une variation accentuée par une forte déviation provenant d'imperfection de construction. En tous cas, notre marche donne à peu de chose près la distance de Tay-Ninh au Djambra, ainsi que l'aspect du terrain de ses environs. Elle détermine la position des sources du Dak Glüm et une partie inconnue du cours du Song-Bé.

La constatation de l'existence de la forêt-clairière et de la plaine peut être importante pour l'envoi des missions d'études et tracés des futures voies de communication. Enfin, nous espérons n'avoir pas perdu complètement notre temps, ni usé inutilement des forces, bien que nous ne puissions voir, sans un regret, s'étendre encore sur la carte d'Indo-Chine un blanc que nous avions été si près de combler plus complètement.

PIERRE DE BARTHÉLEMY.

Une

Mission française dans le nord du Costa Rica

Entre la Cordillère méridionale du Costa Rica et la chaine des volcans actifs, qui du Turialba court au nord-ouest, s'étend un plateau peuplé dont San José est le centre. Ailleurs, la population est très clairsemée; parfois, elle fait complètement défaut.

Sur le versant nord de la ligne volcanique naissent des tributaires du rio San Juan et du lac de Nicaragua (ou de Granada), dont les bassins sont mal définis. Une mission française vient de combler en partie cette lacune. M. Jules Second, qui vécut de longues années dans les Guyanes, avait l'intention de parcourir les plaines du San Carlos et du rio Frio pour y chercher des alluvions aurifères, quand M. Jore, Consul et Chargé d'affaires de France à San José, l'encouragea à étudier les ressources générales de ces provinces peu connues et lui fournit les moyens de remplir ce programme.

De la correspondance et des carnets du voyageur, M. Jore a extrait les éléments d'un intéressant rapport que M. A. de Blignières, secrétaire d'ambassade, a eu l'obligeance de nous communiquer avec l'autorisation du ministère des Affaires étrangères. Au rapport est joint un croquis que nous reproduisons. Bien qu'il n'ait pas la valeur d'un levé de détails, il complète et rectifie dans une certaine mesure la carte publiée par M. Keith, lorsqu'il sollicita la concession du chemin de fer du rio Frio à l'Atlantique.

La mission a duré du 25 juillet 1898 au 6 juin 1899. De San José, la capitale, M. Second s'est rendu, par Alajuela, Sarchi, Naranjo, Sarcero, Buena Vista, la Vieja, au Muelle (embarcadère) de San Rafael, point où commence la navigation du San Carlos. Il en fit jusqu'au 24 septembre son centre d'opération, soit qu'il mît à profit les offres de M. Amerling pour descendre en petit vapeur à pétrole cet affluent de droite du San Juan et le fleuve lui-même, soit qu'il entreprit de remonter la rivière et de reconnaître le pays situé à l'ouest.

La descente du San Carlos jusqu'à son confluent s'effectue en une journée, mais il faut quatre jours pour le remonter à vide et souvent six avec un bateau chargé. Un courant violent, des rapides, et, des bancs de sable rendent

cette navigation pénible, souvent dangereuse. Quant au San Juan inférieur, il est large, profond, paisible, et, n'offre de difficultés qu'en temps de sécheresse. Il faut alors renoncer à la voie de Greytown et emprunter celle du Colorado. L'itinéraire de la mission, en amont de San Rafael, suit la rive gauche du San Carlos jusqu'à l'hacienda Chavez, prend, ensuite, la rive droite du rio Esperanza et remonte au nord. Un sentier, pratiqué en pleine forêt, conduisit M. Second au gué supérieur de Peñas Blancas. Il eut à traverser plusieurs rios, entre autres, le rio Fortuna, pour aboutir au cable de l'Arenal, qui remplit, en cet endroit, l'office d'un pont suspendu. Le retour au Muelle de San Rafael s'est opéré par le chemin de Nicaragua et le gué inférieur de Peñas Blancas.

A cette deuxième reconnaissance, qui demanda une douzaine de jours, a succédé une visite aux masses rocheuses de la Quejona, que le rapport de M. Jore se contente de citer.

L'un des principaux objets de la mission de M. Second comportait la recherche de la voie de communication la plus courte et la plus facile entre le rio San Carlos et le rio Frio. Banco de la China, point situé en aval de San Rafael, fut choisi comme tête de ligne. Il fallut ouvrir un chemin à l'ouestnord-ouest par une pluie continuelle, au milieu de la brousse ou à travers des forêts de bambous, tâche d'autant plus rude que l'explorateur, aidé seulement par deux hommes, opérait dans une région inhabitée, où force fut de chasser pour vivre. Cette besogne fut accomplie depuis Banco de la China jusqu'à la rencontre, entre le rio Reventaron et le rio Chambacu, d'un sentier frayé par les récolteurs de gomme ou huleros et conduisant vers la grande prairie de Saint-Georges.

Le 12 novembre, les voyageurs arrivaient au Campamento, résidence officielle du chef de la province de Rio Frio. Ils avaient franchi deux rios non portés sur la carte de Keith, l'Infierno, qui coule au nord-est, et l'Estero grande, qui coule au sud-sud-est; ils avaient, en outre, constaté la navigabilité du Pocosol au point où ils le passèrent, coupé plusieurs affluents de ce rio et du rio Purgatorio, qui, dans son cours inférieur, prend le nom de Sabogal, et, démélé le réseau de divers sentiers, seules voies de communication de ce pays délaissé. De las Lettras, où l'exploitation du bétail reparaît, la mission descendit en canot le Sabogal, remonta le rio Frio et aboutit à la résidence.

Le Campamento devint alors et resta jusqu'au mois de février 1899 le centre d'exploration de M. Second. Dans le but de prospecter les environs du cerro (montagne) Arenal, il remonta la Muerte, qu'il quitta à un campement indien appelé Congo pour marcher au sud. Après avoir franchi une série de hauteurs, orientées est-ouest et s'élevant de 350 à 700 mètres, il atteignit une crète, d'où la vue s'étend au nord sur la verte vallée du San Juan, tandis qu'à l'opposé s'accuse la ligne profonde de l'Arenal. Sur la rive droite de ce rio se profilent les formes arrondies du volcan Frio et du cerro Arenal. Les

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