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Entre l'Océan et le Rio Guama

On a beaucoup parcouru le bassin de l'Amazone depuis une trentaine d'années, mais on n'a guère fait que le parcourir. Les rapports de la végétation avec les particularités du sol, l'action de l'homme sur la nature ont échappé à presque tous les voyageurs, préoccupés surtout de faire connaître le plus promptement possible les grandes lignes de la géographie physique. Maintenant qu'elles sont tracées et que l'on a publié des cartes générales d'une précision satisfaisante (Atlas de Stieler, Atlas de Fr. Schrader, feuilles 77 et 78), il est temps de remplir le cadre et d'arriver aux détails. MM. J. Huber et von Kraatz-Koschlau, sous-directeurs du Musée de Para, l'ont compris. Le premier, familiarisé avec les difficultés du climat et préparé par de nombreux voyages dans le bassin de l'Amazone jusqu'au cœur du Pérou, fait honneur au gouvernement qui lui a donné sa confiance; de fortes études poursuivies aux universités de Bâle, Montpellier et Genève l'ont accoutumé aux observations rigoureuses. Il sait qu'aucun détail ne doit être négligé en cours de route et que la base de bonnes synthèses est l'analyse rigoureuse. M. von Kraatz-Koschlau apportait à l'étude géologique de l'Amazonie un bon esprit d'observation et une expérience acquise sous la direction des maîtres de la Suisse et de l'Allemagne. La mort l'a malheureusement emporté brusquement à l'âge où toutes les espérances sont légitimes.

Dans l'étude qui va suivre et qui résume un important mémoire publié en collaboration par ces deux savants', nous donnerons à la géographie botanique la première place. Les observations sur la géologie du bassin de l'Amazone sont assez fragmentaires pour que nous puissions les résumer brièvement. Nous passerons aussi sous silence d'importantes observations des auteurs sur l'histoire et l'évolution de la vie végétale dans le bas Amazone. Les personnes qu'elles intéressent les trouveront dans le mémoire original. C'est une monographie géographique du territoire compris entre l'Amazone, à l'ouest, le Rio Gurupy, à l'est, la mer au nord et le Rio. Guama au sud. C'est lui que nous avons voulu faire connaître. Nous laissons, du reste, la parole aux auteurs pour exposer eux-mêmes les résultats de leurs recherches.

CHARLES FLAHAULT.

Le pays étudié se subdivise en une partie méridionale intérieure et une partie septentrionale nommée Salgado (pays salé) par les habitants à cause de l'influence

1. K. von Kraatz-Koschlau et J. Huber, Zwischen Ocean und Guama, in-4o, 34 p., 10 pl. phototyp., carte au 1/920 000°. (Memorias do Museu Paraense de hist. nat. e ethnographia, II.) Pará, Brazil, 1900.

qu'y exercent les eaux marines poussées par les marées jusque bien avant dans les fleuves, en été surtout. Plusieurs voies sont ouvertes au voyageur : la route de mer, la voie du Guama desservie par de petits vapeurs, le chemin de fer qui pénètre jusqu'à Catanhal, à 80 kilomètres environ à l'est de Pará. La route de mer présente divers avantages; elle a, surtout, celui de donner une vue synthétique du littoral et de se prêter à une étude méthodique à partir des rivages vers l'intérieur. C'est celle que nous choisissons.

La zone littorale diffère beaucoup de l'intérieur du pays. Vue de la mer, elle арраraît, d'abord, sous forme d'un étroit cordon de dunes blanches parfois interrompu. Partout où elles manquent et en arrière d'elles, de grandes étendues de vases grises parcourues par un dédale d'embouchures, de canaux plus ou moins importants supportent la forêt envahie journellement par la marée, les PALÉTUVIERS. Les indigènes donnent à cette forêt submersible les noms de Mangal ou de Ciriubal, suivant l'espèce qui y domine. Sa limite intérieure est la limite de la terre ferme, et, fournit, quant à présent, la donnée topographique la plus positive pour fixer les lignes du rivage dans la basse Amazonie. Les palétuviers s'étendent le long de tous les estuaires, en confondent le cours inférieur en un vaste système de pattes d'oie et pénétrent bien avant le long des fleuves, suivant la distance à laquelle pénètrent les marées et la masse d'eau douce qui les repousse et en neutralise l'action. D'une manière générale, le Ciriubal, où domine l'Avicennia nitida, s'étend plus vers l'amont que le Mangal formé surtout de Rhizophora.

La vase des palétuviers est très riche en matières organiques, apportées à la mer par les nombreux cours d'eau et refoulées vers la côte par les marées. Des oiseaux et des animaux aquatiques, des crabes surtout, habitent seuls ces forêts inondées chaque jour. Leur voisinage, très malsain, est à peu près inhabitable pour l'homme.

La terre sableuse, la terre ferme des Brésiliens, commence où finissent les palétuviers. C'est un sol de formation récente, encore en pleine évolution. La base en est formée de dépôts crétaciques, mais il semble que le développement de la vie animale et végétale n'ait pas été interrompu depuis l'époque secondaire.

En quelques points seulement, des couches de craie affleurent, à l'ouest du Rio das Pirabas; la faune fossile en a été étudiée pour la première fois par Ch. A. White en 1887. Les recherches de M. von Kraatz-Koschlau l'ont beaucoup enrichie; elles permettent d'y reconnaître un faciès littoral. Les dépôts récents que supporte la craie atteignent moins de 6 mètres d'épaisseur; ils se composent d'argile blanche ou jaune, de grès rouge-brun ou jaune (Grès de Pará), recouvert de 3 mètres environ de sable argileux et d'humus.

Le Grès de Pará et le sable argileux qui le recouvre paraissent jouer le rôle essentiel dans le modelé du sol. C'est presque partout le sable qui affleure; mais il suffit de creuser le sol à 1-3 mètres pour rencontrer le Grès. Les différences de niveau sont très faibles d'ailleurs; elles dépassent rarement 10 mètres; les ondulations du sol n'atteignent probablement nulle part 50 mètres. Les dépressions sont occupées par de petits ruisseaux permanents ou bien elles recueillent, au moins, les 'eaux et les écoulent pendant la saison des pluies

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La «Terre ferme » ainsi modelée est couverte en majeure partie par la forêt vierge (Matta virgem); elle s'étend jusqu'aux portes de la ville de Pará, occupant en maître les quartiers portés déjà sur le plan de la ville et les rues en projet. Il ne faudrait pas, cependant, juger la forêt du Pará, d'après cette forêt vierge de banlieue. Pour la bien connaître, il faut pénétrer au cœur du pays, par les anciennes routes commerciales ou par les sentiers de chasseurs. On se rend compte alors que la forêt vierge n'est pas uniforme; qu'elle répond à plusieurs types, reliés par des formes ntermédiaires. Ce sont :

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Mangal (FORET DE PALÉTUVIERS OU DOMINE LE Rhizophora Mangle; AU PREMIER PLAN,
RACINES SUBMERGÉES DE Rhizophora ET UN Crinum).

1° La forêt des plaines sèches, éloignées des cours d'eau;

1° La forêt marécageuse, l'Igapo des indigènes;

3 La forêt de bordure des rivières, qui couvre les berges et les terrasses voisines. La FORÊT DES PLAINES SÈCHES est celle que n'interrompt aucune dépression, aucun cours d'eau, aucune élévation; elle couvre, d'ordinaire, le pays plat compris entre deux bassins. Elle est nettement caractérisée comme association végétale indépendante. La masse générale des arbres s'élève jusqu'à 25-30 mètres de hauteur; quelques géants dépassent seuls ce niveau. Ce sont surtout un Tecoma, un Vochysia, un Enterolobium et le Lecythis ollaria, qui atteignent parfois 60 mètres. Ce sont les arbres les plus hauts de l'Amazonie. D'ailleurs, on ne rencontre pas dans cette forêt autant de grands arbres qu'on l'a dit parfois. C'est à peine si l'on observe tous les cent mètres un arbre dépassant le diamètre de 0 m. 50; mais des fûts très grêles n'en portent pas moins leur cime au niveau du couvert général.

LA GÉOGRAPHIE. III.

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Les arbres les plus abondants appartiennent aux Légumineuses, aux Artocarpées, aux Lécythidées et aux Sapotacées. En décembre, les Lécythidées emplissent l'air du parfum de leurs belles fleurs jaunes et roses. Parmi les arbres de deuxième grandeur, il faut mentionner diverses espèces d'Apeiba, de Theobroma, des Cecropia à grandes feuilles, des Sloanea, etc. Nous n'y avons pas rencontré de grands palmiers, mais seulement de jeunes Bacábas (Enocarpus distichus) et Paxiúbas (Iriartea exorrhiza). L'Astrocaryum mumbaca et quelques petites espèces de Geonoma sont plus fréquents, mais ils n'intéressent pas la physionomie de la forêt.

Il faut mentionner, comme tout à fait caractéristiques de la forêt sèche, les Varas; c'est un perchis formé d'arbres élancés, minces, hauts de 2 à 10 mètres, peu ramifiés et peu feuillés, appartenant à diverses familles (Anonacées, Sapindacées, Rutacées, etc.).

Le sol est assez nu; quelques Marantacées et, çà et là, l'Heliconia psittacorum représentent seuls le groupe des Monocotylédones à larges feuilles représenté ailleurs avec tant de prodigalité. Les Fougères manquent à peu près; le sol jonché de feuilles sèches n'est parsemé que de quelques Sélaginelles et de petites Rubiacées rampantes.

Les lianes aussi sont peu nombreuses; les moins rares sont des Sapindacées, des Bignoniacées, des Convolvulacées; quelques Philodendron enlacent les troncs de leurs racines, mais, à part un palmier-liane du genre Carludovica, à feuilles bilobées, et une Aracée, les plantes de cette sorte n'interviennent pas dans la physionomie de la forêt.

Les épiphytes y sont assez rares; les mousses font défaut. En fait de Fougères, nous n'avons observé qu'un Polypodium; les Broméliacées et les Orchidées se réfugient dans la cime des arbres; beaucoup de Clusia, fixés aux hautes ramures, se révèlent aux regards par leurs longues racines aériennes ou par les fleurs et [les fruits qu'ils répandent sur le sol.

Il s'agit bien encore ici de forêt tropicale; mais différents indices marquent le passage vers le type de la forêt des moussons, tel que l'a décrit M. W. Schimper. L'influence de la sécheresse de l'été se fait sentir, en effet. Dans le perchis, nous avons vu, à la fin de l'été, les feuilles de bien des arbres retomber fanées, celles de plusieurs épiphytes décolorées et enroulées par la sécheresse.

Les conditions sont plus favorables à la forêt vierge lorsque le sol est plus accidenté, et, que, par suite, le sol est plus humide par places. Dans ce cas, comme entre Alto Quatipuru et Tentugal, les gros fûts sont plus nombreux, les lianes plus abondantes et le sous-bois plus riche en Zingibéracées, Marantacées et Musacées à larges feuilles. Les grands palmiers sont plus abondants (Maximiliana regia, Enocarpus distichus); cependant l'ensemble n'en appartient pas moins au type de la forêt tropicale sèche.

Il n'en est plus de même au voisinage immédiat des cours d'eau et dans les endroits d'où les eaux s'écoulent lentement. L'humus ne se trouve en grande quantité que dans ces stations, grâce aux masses de feuilles et de ramilles qui y sont amenées pendant la saison des pluies et transformées peu à peu. Le sol humide fertilisé par l'humus porte la FORÊT MARÉCAGEUSE, l'Igapo. Si elle est peu développée,

comme c'est l'ordinaire au voisinage des rivières, une ou deux espèces abondamment représentées suffisent à la caractériser. Plus souvent de grands palmiers (Mauritia flexuosa, Euterpe oleracea) dominent les autres espèces, et, le sous-bois comprend de nombreuses espèces de Scitaminées à grandes feuilles. Les Igapos couvrent aussi les dépressions correspondant à d'anciens lits abandonnés par les rivières, où des eaux plus ou moins stagnantes séjournent pendant la saison des pluies.

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CARTE DU PAYS COMPRIS ENTRE L'OCÉAN ET LE RIO GUAMA, PAR MM. HUBER ET VON KRAATZ. (Memorias do Mus. Paraense de Hist. nat. c Ethnogr. II. Para, 1900.)

Les fleuves ne déposent pourtant pas partout ces masses de matières organiques. Leurs cours moyen et inférieur s'égarent capricieusement sur la plaine, étalant, tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, leurs eaux chargées de sable et de cailloux. qu'ils déposent en immenses grèves. Elles deviennent le substratum de Campos, associations végétales où l'arbre manque. Ce sont d'anciens lits abandonnés, séparés des cours d'eau qu'ils recevaient jadis par des levées ou bourrelets qui les mettent à l'abri des inondations. Les plantes aquatiques qui les peuplaient jadis ont péri dès le premier été, faisant place à de hautes herbes, pâture recherchée des herbivores qui contribuent à empêcher le développement d'arbres sur les Campos qu'ils parcourent. Les Campos sont donc des stations naturelles.

Au milieu des herbes qui les peuplent (Paspalum, Eragrostis reptans, Oryza

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