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était alors déjà florissante, et avait su se créer une place importante parmi les pays de production des blés américains.

L'étendue de la colonie est exactement de 31 384 hectares; en 1891, 3844 étaient cultivés et produisaient 6 494 tonnes de blé', 77 tonnes d'orge et 2 825 tonnes de luzerne. En 1894, la superficie des terres cultivées était de 5502 hectares, et la production s'était élevée dans les mêmes proportions; d'autres produits venaient s'adjoindre aux premiers, tel que le maïs, le houblon, le colza. A cette dernière date, le chiffre d'importation dans la vallée du Chubut était de 1 029 045 francs et les exportations atteignaient une valeur de 1 141750 francs, se répartissant en blés, graines de luzerne, orge, bêtes à cornes, plumes d'autruche, couvertures de guanacos, etc.

Depuis, la colonie a prospéré et, tous les chiffres cités plus haut ont été dépassés. Les premiers émigrants étaient, cependant, arrivés dans le pays dans les conditions les plus désavantageuses; ils avaient dû s'installer là même où ils avaient débarqué, sur les côtes de l'Atlantique, dans la partic la plus ingrate de la Patagonie; ils n'avaient eu ni le temps ni les moyens de choisir un terrain plus propice; si, à force de travail et de persévérance, ils ont vaincu, ils le doivent, non seulement à eux-mêmes, mais aussi à la supériorité des terrains de l'extrême sud du continent austral.

Une puissante compagnie, munie de capitaux, serait sùre d'obtenir de fructueux résultats dans ce territoire privilégié, particulièrement dans cette province du Chubut où sont réunis tous les facteurs essentiels à la prospérité d'une colonie : la salubrité, la facilité des voies de communications, l'abondance des richesses minérales et végétales; il ne semble donc pas imprudent de prédire à la Patagonie un brillant avenir. Cette contrée, encore vierge dans sa plus grande étendue, sera, d'ici peu, ouverte à l'immigration européenne, et son territoire peuplé de préférence par les races de l'Europe centrale, mieux préparées à cette tâche par les conditions de leur sol et de leur climat. L'Européen transplanté là-bas n'aura pas à changer ses habitudes, mais il jouira d'une vie plus large et plus facile; il n'aura pas devant ses yeux le spectre constant de la maladie que, trop souvent, on rencontre ailleurs. De tout cela, les habitants du Chubut ont maintenant fait la preuve; il ne reste plus qu'à les imiter.

C HENRY DE LA VAULX.

1. Détail à noter, et qui prouve la supériorité des terres de la vallée du Chubut, la production de blé à l'hectare dépasse deux tonnes en moyenne.

Le problème du Tanganyika

Depuis un demi-siècle, le lac Tanganyika a vivement attiré l'attention des naturalistes. Dès 1857, en effet, un mémoire publié dans les Proceedings of the Zoological Society, faisait connaître les coquilles ramassées par Speke sur les bords de ce lac et signalait, comme une curieuse anomalie, leur ressemblance étonnante avec des espèces marines. Les récoltes ultérieures vinrent confirmer ces premières données. Des poissons, des crustacés, des plantes à affinités marines y furent signalés; l'explorateur allemand Boehm y découvrit même des méduses qui, comme on le sait, sont strictement cantonnées dans les eaux de la mer. Une première expédition permit à M. Moore d'augmenter la liste des espèces marines du Tanganyika et il put s'assurer que cette faune si spéciale n'existait ni dans le lac Nyassa ni dans les autres lacs voisins. L'étude anatomique de ses récoltes lui montra que ces êtres spéciaux, vivant dans le lac à côté d'une faune d'eau douce normale, présentaient les caractères d'une organisation très primitive et pouvaient être considérés comme les précurseurs de certaines formes marines actuelles. Cette « faune halolimnique » de M. Moore aurait été, d'après ce savant, isolée avec un bras de mer, à une époque ancienne, et se serait adaptée à une salure décroissante des eaux, sans subir de modifications sensibles, puisqu'il est impossible de distinguer certains mollusques du Tanganyika d'espèces fossiles des dépôts marins du Jurassique; en d'autres termes, elle représentait une faune marine de l'ère secondaire en pleine vitalité dans des eaux douces, au centre de l'Afrique.

Mais ces résultats si intéressants étaient encore bien incomplets. La faune halolimnique existait-elle dans les autres grands lacs de l'intérieur de l'Afrique? Par suite de quelles circonstances avait-elle été isolée et comment avait-elle persisté? Une étude détaillée de la géologie de ces régions pouvait seule éclairer ces problèmes. Aussi une nouvelle expédition fut-elle organisée pour continuer les investigations sur la faune, la flore, la géographie et la géologie du Tanganyika et pour étudier, avec le même objectif, la région située entre ce lac et l'Albert-Nyanza. C'est le résumé des observations faites au cours de ce second voyage que M. Moore expose dans le Geographical Journal1.

Le Tanganyika occupe une vallée d'effondrement sur laquelle M. Suess a depuis longtemps déjà attiré l'attention et qui se poursuit, du nord au sud, sur plusieurs milliers de kilomètres. Dans cette gigantesque crevasse qui continue la vallée du

4. J. E. S. Moore, Tanganyika and the countries north of it, in The Geographical Journal, vol. XVII, n° 1, January 1901, p. 1-35, 1 carte.

LA GÉOGRAPHIE. III.

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Nil, se trouvent les lacs Albert-Nyanza, Ruisamba, Albert-Edouard, Kivou, et, enfin, le Tanganyika. Ce fossé, limité par des parois très escarpées, hautes d'un millier de mètres, est séparé par le plateau du lac Victoria, d'un sillon semblable qui, du Nyassa, se poursuit par le lac Rodolphe et l'Abyssinie jusque dans la vallée du Jourdain. Ces deux vallées parallèles paraissent complètement indépendantes. Le lac Léopold ou Rikoua, situé entre Nyassa et Tanganyika, est encore séparé de ce dernier par de hautes chaînes granitiques de 60 kilomètres de largeur, en outre le sillon occidental se termine au sud du Tanganyika par une série d'échelons qui amènent graduellement le fond de la vallée au niveau du plateau.

Bien que le fond plat du fossé du Tanganyika présente, au nord et au sud du lac Kivou, deux sortes de barrages sur lesquels nous aurons à revenir, ses parois se poursuivent jusqu'au lac Albert-Nyanza. Vers l'extrémité nord du lac AlbertEdouard, le fossé s'élargit par la déviation, vers l'est, de la muraille orientale, et du fond de la plaine surgit alors un massif mal connu jusqu'ici les montagnes de la Lune ou chaîne de Rououenzori. Cette chaîne, qui avait été décrite comme une seule montagne, se poursuit sur 120 ou 130 kilomètres, jusque vers le lac Albert. Elle est formée par une série parallèle d'arêtes, d'orientation générale sud-ouestnord-est, que l'on peut grouper en trois masses plus ou moins séparées. Le massif débute, au sud, par une succession de fortes pentes qui se poursuivent jusqu'au mont Moebius et aux arêtes couvertes de neiges qui s'y rattachent. Ce premier massif se termine vers le nord par une série de précipices effrayants. La masse centrale, la plus haute, s'élève de même, à partir du sud, jusqu'au mont Ingomouimbi et à trois autres pics également couverts de neige et enveloppés de glaciers. Cette chaîne centrale est limitée par les immenses escarpements de l'Ingomouimbi. La partie septentrionale commence au grand glacier qui donne naissance à la rivière Mobouko; elle a plusieurs sommets très élevés, le mont de la Selle, le Kraepelin (4146 m.), et, le mont Kanyangugouc, et, finit aussi par des parois presque verticales. Les pentes de tout ce massif sont partout très fortes; sur le versant oriental notamment, elles atteindraient une moyenne de 40°.

Le fond de vallée s'élève de 920 mètres au nord du Tanganyika jusqu'à environ 1600 mètres dans le barrage au sud du lac Kivou; ce barrage est formé par des chaînons parallèles et de même orientation générale sud-ouest-nord-est que la chaîne de Rououenzori. Le barrage nord du lac Kivou est dû au curieux massif volcanique des monts Virounga, formé de cônes éruptifs qui, par leurs dimensions, viennent se placer parmi les plus grands volcans actifs de l'ancien monde. Le Kirounguochagungo, par exemple, est un cône très régulier s'élevant jusqu'à 3450 mètres. Il porte à son sommet un cratère circulaire continu de 1600 mètres de diamètre, d'une profondeur très considérable et rempli de vapeurs et de fumée. Le Kiroungoundogo (3340 m.) est en pleine activité. Il semble que l'activité volcanique se soit déplacée de l'est vers l'ouest, car les volcans de la partie orientale sont tous éteints; l'un d'eux, couvert de neige, atteint au moins 4250 mètres. Les cratères de ces anciens volcans sont oblitérés par les produits secondaires des éruptions. Les cendres et les coulées de laves atteignent les rives septentrionales du lac Kivou et, d'autre part, le bord méridional du lac Albert-Edouard.

L'hydrographie de la région était déjà connue d'une façon satisfaisante. Le Nyassa, qui s'abaisse graduellement vers le nord, a une profondeur moyenne de 60 à 75 mètres, la zone de profondeur maxima, de faible étendue au sud de la baie de Nkata, est à 146 mètres. Le Tanganyika s'étend un peu plus à l'est, dans sa partie nord-orientale, qu'on ne l'avait supposé; son niveau est à 780 mètres. Il se déverse, vers l'ouest, dans le Congo par le Loukouga. Le Kivou est à une altitude de 1470 mètres. Il s'écoule par le Roussisi qui a entaillé des gorges très profondes pour atteindre le Tanganyika. Le lac Albert-Edouard, à 940 mètres, contourne le versant sud des monts Rououenzori et y forme le lac Rouisamba. Il reçoit au sud le Ruohuru, qui vient du district volcanique et se déverse par le Semliki, à l'ouest du Rououenzori, dans le lac Albert qui communique directement avec le Nil. La ligne de partage des eaux entre les versants méditerranéen et atlantique est donc établie dans le massif éruptif du Virounga, en travers de la grande vallée, séparant les lacs Albert et Albert-Edouard, appartenant au réseau méditerranéen, des lacs Kivou et Tanganyika qui s'écoulent dans l'Atlantique.

La faune halolimnique du Tanganyika, pensait-on, se retrouverait dans le Kivou. Or des études minutieuses ont montré que la faune marine ne se trouve que dans le Tanganyika. Le Kivou, de même que les lacs Albert-Edouard et Albert, renferme une faune normale qui est celle du Nil. Le Nyassa ne possède aussi qu'une faune d'eau douce.

L'étude géologique de la région permet seule d'expliquer ces anomalies. L'ossature est formée par le granite, sauf dans la chaîne de Rououenzori, où apparaissent des schistes. Ce substratum est recouvert par une masse énorme de dépôts détritiques de grès, de conglomérats et de quartzites rougeâtres. Cette formation se poursuit très loin à l'ouest, elle se retrouve sur les bords du Nyassa et borde le bassin du Congo. Son âge n'a pu être fixé, par suite de l'absence de fossiles. Cette masse, d'origine ancienne, est recouverte, en différents points (entre les lacs Nyassa et Tanganyika, à Masoua et à Oujiji sur ce dernier lac), en stratification discordante, par des grès plus tendres, d'origine lacustre. Après la formation de ces derniers dépôts, il s'est produit une série d'effondrements linéaires, sans doute accompagnés d'exhaussement des parties intermédiaires, effondrements qui ont créé le grand fossé du Tanganyika. Ce fossé a été aussitôt occupé par des lacs dont l'histoire nous est révélée par les dépôts d'alluvions qui tapissent le fond actuel de la vallée et s'élèvent même sur les pentes. La masse d'eau était autrefois beaucoup plus élevée qu'aujour d'hui. On peut, en effet, suivre les terrasses alluviales du lac Albert à l'AlbertEdouard et se convaincre ainsi que ces deux nappes d'eau étaient autrefois continues. On retrouve ces alluvions au sud du lac Albert-Edouard et elles vont disparaître sous la couverture volcanique du Virounga. Or ces alluvions renferment toutes des espèces identiques ou semblables à celles de la faune d'eau douce actuelle des lacs Kivou, Albert-Edouard et Albert. Le Kivou apparaît dès lors comme un lac de barrage isolé de son versant normal, celui du Nil, par une couverture de matières volcaniques. Cette vue est confirmée par l'absence d'alluvions sur la digue granitique située au sud du Kivou et par le stade de jeunesse de l'émissaire de ce lac. La digue granitique a donc servi pendant longtemps de ligne de partage entre la

Méditerranée et l'Atlantique et on peut affirmer que le lac Kivou n'est rattaché que depuis peu au versant atlantique, car il n'a pas encore été contaminé par la faune halolimnique du Tanganyika.

Les alluvions anciennes du Tanganyika renferment toujours, au contraire, des espèces marines semblables ou identiques à celles qui constituent le fond de sa faune. Bien qu'il n'ait pu fixer l'âge des plus anciennes de ces alluvions, M. Moore croit qu'elles peuvent être pré-tertiaires. Quel que soit leur âge, on peut affirmer : 1° que la faune marine du Tanganyika est au moins aussi ancienne que ce lac, puisqu'elle se trouve dès le début de ses alluvions; 2° qu'elle n'est pas le résultat de l'évolution d'une ancienne faune d'eau douce, car dans ce cas on en trouverait quelques éléments dans les lacs voisins ou dans leurs alluvions; enfin, 3° que cette faune n'a pu arriver au Tanganyika, ni par la vallée de fracture à partir du nord, ni par la vallée du Nyassa, car nulle part dans les lacs déjà cités, ni dans les lacs Nyassa, Léopold, Victoria-Nyanza, Rodolphe, on n'a retrouvé de représentants vivants ou fossiles de la faune halolimnique.

M. Moore, se basant sur la présence dans le Congo de quelques formes (notamment de certaines éponges) semblables à celles du Tanganyika, pense que la faune marine est arrivée de l'ouest. Les alluvions anciennes du Tanganyika se poursuivent assez loin vers l'ouest, le long de la Loukouga. La séparation entre le Tanganyika et le bassin du Congo serait d'ailleurs assez récente et s'accentuerait de plus en plus, comme le montre la surélévation des dépôts de l'ancien fond du lac que l'émissaire doit creuser sans cesse pour maintenir son cours.

On peut, d'après ce qui précède, résumer de la manière suivante l'histoire de cette région. A une époque mal déterminée de l'ère secondaire, peut être vers la fin du Jurassique, alors que de grands lacs recouvraient le sol, des effondrements gigantesques accompagnés de surélévations se produisirent et créèrent une grande vallée encaissée qui, par le Nil, atteignait la partie méridionale du lac Kivou. Au sud de ce point, sur l'emplacement actuel du Tanganyika, existait une dépression communiquant avec la mer qui recouvrait alors le bassin du Congo. Les phénomènes orogéniques déterminèrent la formation d'un haut-fond entre le Congo et le Tanganyika, et ce barrage s'éleva de plus en plus jusqu'à séparer complètement ces deux bassins. Tandis que les êtres marins continuaient à vivre dans le Tanganyika, une faune d'eau douce normale se développait dans l'immense nappe qui s'étendait du Kivou vers le Nil. A une époque relativement récente, l'activité éruptive érigea un immense barrage qui isola le Kivou et l'obligea à se déverser vers le sud.

Bien qu'il reste encore des problèmes à élucider, notamment la communication. marine avec le bassin du Congo et l'âge de l'épisode des effondrements qui semblent se propager graduellement du nord au sud, le travail de M. Moore n'en présente pas moins un intérêt capital et vient, une fois de plus, confirmer la nécessité d'associer sans cesse les sciences naturelles aux méthodes de la géographie descriptive.

J. GIRAUD.

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