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Par une température de 36° à l'ombre, nous faisons notre entrée, le lendemain soir, à Suberbieville dont je dois déterminer la longitude.

J'installe le théodolite sur son trépied, près du mât de pavillon du poste, et prends l'heure avec le chronomètre, au moyen d'une vingtaine de hauteurs du soleil. Mon collègue de Tananarive, le frère Soula, déjà prévenu de mon arrivée, en avait fait autant. Pendant cinq minutes, nous nous envoyons réciproquement des échanges d'heures par des signaux télégraphiques sur la son

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KIANGARA (VILLAGE SAKALAVE). SUR LE CHEMIN DE MAJUNGA A TANANARIVE. Reproduction d'une photographie du R. P. Colin.

nerie du poste. La différence de temps entre les deux stations, par rapport à Tananarive-ville, point d'origine, donne la longitude de Suberbieville. Tous calculs faits, elle égale 25751',3, ou 44°27'49" à l'est de Paris.

Un orage vient bien à propos rafraîchir l'atmosphère, mais m'empêche, la nuit, d'observer la latitude. Le lendemain matin, nous profitons du départ de la chaloupe à vapeur, l'Ondine, qui, par une chance assez rare, va jusqu'à Majunga.

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Arrêt à Marololo. Je descends à terre afin d'aller visiter la tombe de mon ancien confrère, le Père Denjoy, aumônier du corps expéditionnaire. Le cimetière, s'il vous plait? demandai-je au brigadier d'artillerie, chef du poste. Je vais vous y conduire. Quatre ou cinq cents mètres en dehors des dernières maisons du village, il s'arrête, me montre du doigt une mare d'où émergent quelques branches de manguiers : « Voilà, me dit-il. » Et, agenouillé sur le chemin, en face de cette eau saumâtre qu'on dit être un cimetière, je

prie, avec la plus vive émotion, pour tant de braves qui dorment là de leur dernier sommeil 1!

Le lendemain, 12 février, nous étions à Majunga.

En attendant le bateau de guerre qui doit me transporter sur la côte ouest de Madagascar, je remplis volontiers les fonctions d'aumônier militaire et de curé. Visiter les malades dans les hôpitaux, s'occuper des écoles, catéchiser les enfants, conférer les sacrements, conduire à leur dernière demeure soldats et colons, telles sont, pendant un mois, mes occupations.

Durant mes loisirs, je détermine la longitude de Majunga, comme à Suberbieville, au moyen d'échanges réciproques sur le chronomètre, par des signaux télégraphiques sur la sonnerie. Cette fois, j'avais obtenu l'angle horaire, au moyen de hauteurs correspondantes du soleil, prises le matin et le soir. Ce mode d'opérer, très exact, peut s'appliquer d'autant plus facilement sur la côte occidentale de Madagascar, que le ciel reste, souvent, sans nuages toute la journée. Nous trouvâmes entre les deux stations une différence de temps égale à 454 64, ce qui mettrait Majunga par 255464, ou 43°56′36′′ de Longitude Est de Paris.

Pour mon malheur, les constructeurs ont ici la funeste habitude de couvrir les maisons en tôle ondulée. Il faut se résoudre, on en devine sans peine le motif, à exécuter les expériences magnétiques hors la ville. Je choisis ma station près de l'ancien fort en ruines des Hova, non loin du phare actuel, et obtins les trois résultats suivants :

Déclinaison NW..
Inclinaison .

Composante horizontale (unités C. G. S.)

10 0'48" 50°36′52′′

0,19391

Des gens bien informés m'apprennent que, sur le littoral sakalave, l'on ne trouve ni chaux ni briques pour construire un pilier méridien; je fais donc l'emplette de deux sacs de chaux du Teil et de 200 briques.

Enfin, le 7 mars, arrive l'ordre d'embarquement à bord de l'aviso, le Pourvoyeur. Les voitures Lefebvre de l'artillerie, conduites par des Sénégalais, transportent mes bagages jusqu'au wharf; les matelots du navire de guerre se chargent de les amener jusqu'au bateau.

A deux heures du soir, nous levons l'ancre et naviguons vers les ports de la côte ouest, après avoir rendu les saluts réglementaires aux navires en rade et à la direction du port.

1. Six mois plus tard, à l'époque où l'eau du cimetière fut entièrement évaporée, la tombe du Père Denjoy fut reconnue; on planta une croix de bois portant l'inscription suivante : Ci-git le Père Denjoy, aumônier du corps expéditionnaire, mort pour Dieu et pour la Patrie!

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M. le lieutenant de vaisseau Philippe, commandant le Pourvoyeur, me présente à ses officiers. Une fois de plus, je goûte le plaisir de savourer la courtoisie française.

Les instructions adressées au commandant, portaient que le Pourvoyeur, outre les escales aux cinq postes que je devais relever, gagnerait, ensuite, Tuléar, sans perdre trop de temps en route. Nos troupes avaient engagé, dans ces régions, d'importantes opérations contre les Bares, et, l'unique paquebot des Messageries maritimes, qui dessert Tuléar une fois par mois, ne suffisait pas à assurer le service du ravitaillement et des dépêches.

Je modifie donc le plan des travaux astronomiques. Au lieu de monter la lunette méridienne en chaque station, et, d'obtenir la longitude par la méthode des culminations lunaires, ainsi que le comportait le programme primitif, nous emploierons le procédé rapide de la longitude chronométrique. Les postes sont voisins les uns des autres; il suffira de déterminer l'heure avec le théodolite. A Maintirano et à Morondava, dernière station à laquelle nous reporterons toutes ces différences d'heures, je me servirai de la lunette méridienne, afin de déduire l'état absolu du chronomètre. Comme contrôle approximatif de la longitude, nous prendrons des hauteurs de la lune et d'une étoile voisine (méthode préconisée par M. Caspari), ou bien des hauteurs absolues de la lune. Le procédé classique des hauteurs circumméridiennes du soleil ou d'une étoile fournira la latitude, et, à titre de vérification, celle que l'on déduit par le calcul, des hauteurs correspondantes du soleil.

Il n'existe pas, sur la côte ouest de Madagascar, de lignes télégraphiques; inutile, par conséquent, de songer à l'emploi de la longitude par la méthode jusqu'ici appliquée.

L'officier des montres, M. de Masson d'Autume, veut bien me prêter obligeamment son concours; il se charge de noter les top sur le chronomètre et, d'inscrire, sur le carnet, les lectures faites aux cercles vertical et azimutal du théodolite. Quand on a l'heureuse fortune de rencontrer un si précieux auxiliaire, la besogne avance d'une manière sûre et rapide.

Le 9 mars, au matin, la vigie signale un poste surmonté d'un pavillon. L'officier de quart braque sa jumelle et reconnaît, dans le voisinage, Tomboharana. On se dirige vers ce point avec précaution, à cause du peu de profondeur des eaux. Deux matelots, placés, l'un dans la baleinière de tribord, l'autre dans celle de bâbord, jettent la sonde; de toute la force de leurs poumons, ils chantent sur une note traînante: bàbord 12, bâbord!... tribord 11, tribord! Par 8 mètres de fond, à marée basse, on jette l'ancre.

Il est près de sept heures, lorsque, muni de mes instruments magnétiques, du trépied et d'un chronomètre, je descends dans la baleinière, avec l'officier et un quartier-maître qui apporte quelques vivres. Cinq matelots noirs et un marin français rament vigoureusement; ils nous conduisent, en trois quarts d'heure, jusqu'aux brisants. On avise l'endroit où les vagues sont les moins hautes. Deux fois, nous tentons de passer; deux fois, nous sommes accueillis par une douche et une secousse formidables. Décidément, il faut battre en retraite, se mettre à la recherche d'une passe moins dangereuse.

Près du rivage errait un pêcheur sakalave, monté sur une pirogue à balancier. Les matelots noirs le hêlent; il se décide à venir. Mais, au passage des brisants, la pirogue chavire; notre homme se débat quelques instants dans l'eau, saisit d'une main son embarcation, et, nage de l'autre. La zone dangereuse franchie sans autre incident, il secoue vivement la pirogue par l'une de ses extrémités et finit de la renflouer. Après quoi, grimpant dans sa baignoire avec une agilité de singe, en trois coups de pagaie, il nous accoste. On lui jette une vieille boîte de conserves; en quelques minutes l'esquif est à peu près sec. Notre pilote eut vite fait de trouver la passe et de la franchir. Pour débarquer, nous montons sur le dos des matelots noirs, qui nous déposent sur la plage. Instruments, chronomètres, provisions même nous y suivent. Le pain avait passé à l'état d'éponge.

Tandis que les matelots rejoignent le bord, nous revenons sur nos pas, par la voie de terre. Le défilé est solennel. En tête, le guide sakalave porte religieusement la caisse de la boussole d'inclinaison et le panier de provisions; puis, vient le quartier-maître chargé du trépied et du compteur; nous formons l'arrière. Et Lafontaine eût admiré avec quelle bonne grâce, d'un pas cadencé et grave, nous allons, M. Masson d'Autume et moi, portant suspendue à mon parapluie par sa manette, la caisse du théodolite. Ce fardeau était, il est vrai, plus honorable que celui du meunier de la fable. Mais, sur le sable blanc brûlé par le soleil de midi, la marche était bien pénible.

Nous longeons la plage jusqu'à l'embouchure d'une petite rivière. Là, notre petite caravane se dirige vers l'est, dans un limon fangeux où l'on enfonce, où croissent des palétuviers rabougris. Nous atteignons le poste de Tomboharana, après trois quarts d'heure de marche. Le capitaine L..., de l'infanterie de marine, nous fait un chaleureux accueil. Les soldats sénégalais et leurs dames sénégalaises, la pipe à la bouche, regardent, ébahis, cette escouade de pékins qui, par un ciel de feu, s'avance chargée de tout son fourniment.

Il est trop tard pour déterminer, avec le soleil, la latitude du lieu. On prépare à la hâte un déjeuner auquel nous faisons le plus grand honneur; la course du matin a aiguisé l'appétit et la soif.

A trois heures, je prends une déclinaison magnétique avec le théodolite

Brunner, ensuite l'heure et l'azimut; la mesure de l'intensité magnétique suit ces opérations. Nous avons les résultats suivants :

Déclinaison NW ...

Composante horizontale (unités C. G. S.)

11°47'41"
0,22838

Je laisse l'instrument sur son trépied, le zéro fixé vers le même point de repère.

Le capitaine L... propose une visite à son nouveau blockhaus situé à 400 mètres. Nous acceptons avec empressement. Par un sentier tout primitif où les mottes de terre empilées les unes sur les autres font fonction de pavé, nous enfilons un chapelet de marécages, pour aboutir à une dune étroite où sont plantées sept ou huit misérables paillotes. C'est le village sakalave de Tomboharana.

Le poste se trouve à gauche, près de la rivière; il est inachevé. Aussi, les sentinelles sont-elles parfois attaquées à coups de sagaies ou de fusils. Le capitaine L..., vieux routier du Tonkin, a construit un blockhaus sui generis. Le mur est formé par une double cloison de troncs d'arbres reliés solidement avec des lianes. Entre les deux cloisons, on a jeté et tassé un conglomérat de corail, de sable et de limon. Derrière cette enceinte, les soldats pourront laisser siffler les balles.

Du haut du blockhaus, aussi loin que l'œil peut plonger, on ne voit que marais et palétuviers. Le pays est insalubre. Les Sénégalais pourtant s'y portent à merveille, vertu de race et aussi peut-être, du potager tout voisin où poussent, avec vigueur, radis, salades, voire même les durs haricots de l'Administration.

La nuit vient. Il faut songer à nos observations. Le capitaine L..., en cas d'attaque, double les sentinelles. La pensée de quelques coups de fusil fracassant mon théodolite congèle un peu mon ardeur scientifique. Bah! n'ai-je pas reçu, en 1896, de la main de ces bons Fahavalos, le baptême du feu? Et me voilà encore intact. Vive la chance! et à la garde de Dieu!

Vers neuf heures du soir, la lune se trouve suffisamment élevée au-dessus de l'horizon, pour que je n'aie pas à redouter les erreurs de réfraction. Jupiter avoisine notre satellite, circonstance très favorable qui permet d'obtenir l'angle horaire et la longitude. Régulus passe aux environs du méridien, à quelque temps de là; son observation fournit un premier résultat de latitude; a de la constellation la Croix du Sud donne le second. Nous nous trouvons donc par 2h 47 119 ou 41°47'46" de Longitude Est de Paris, méthode chronométrique; par 2479 ou 41°47′15", méthode moins exacte des hauteurs de la Lune et de Jupiter, et par 17°30'3" de Latitude Sud.

Un silence solennel nous environne, de temps à autre interrompu par des grognements que poussent les fidèles Sénégalais de garde. L'ennemi a eu l'heureuse inspiration de nous laisser la paix. Là-haut, par un ciel radieux, malgré les rayons de la lune, des milliers d'étoiles d'or scintillent au firmament.

LA GEOGRAPHIE. III.

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