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promu dangereusement au rôle de cerveau et de conscience unique; et au résultat de cet effort considérable, d'abord une série d'injustices particulières et irritantes, et en outre le découragement des inventions, l'assoupissement de la société, sa ruine probable. Quant aux essais de conciliation de cette justice idéale avec la liberté individuelle, ils nous ont paru s'écrouler nécessairement; cette justice nouvelle cède, si la production est libre. Le socialisme est une doctrine de rénovation générale de la société, fondée sur un principe de justice a priori, qui se dissimule dans sa définition de la valeur; il n'est aucunement, comme Marx et les socialistes s'efforcent de le prouver, une sorte de nécessité historique, déduite de l'étude des conditions économiques.

L'analyse brillante de l'existence et de la formation des revenus sans travail dans la société moderne, ne pouvait être faite que grâce au principe nouveau de la valeur-travail; elle ne le prouve nullement, elle en découle. Marx tout entier tient dans une formule, et tous ses livres dans un syllogisme.

Faisons une réserve finale. Marx et la majorité des socialistes, ralliés à une philosophie matérialiste de l'histoire, considèrent les idées comme des facteurs dérivés, secondaires, de l'évolution sociale; elles ne sont elles-mêmes, en effet, que des conséquences des faits. Ils ne sauraient donc admettre qu'une doctrine de justice puisse déterminer une évolution. Le germe

réalise; l'ordre des possibles est conditionné par l'ordre des réalités, et par suite, les inventions futures dépendent en partie des inventions présentes; mais le fait même de l'invention, c'est-à-dire le passage de sa possibilité à son existence, reste toujours le secret de l'esprit individuel. (Voir Tarde, Logique sociale, 3e édit. p. 159, 172 et s.) - Quant à la rémunération mystérieuse du directeur d'atelier, faisons remarquer que toute rémunération, si l'on veut, est mystérieuse, car elle est le résultat d'un jugement de valeur, qui, par certains côtés, est arbitraire. Si j'estime que l'utilité est la base de la rémunération, celle du directeur d'atelier n'est pas mystérieuse du tout. Dans le cas contraire, si j'estime que la base de la rémunération est le travail, il est évident que les profits de l'entrepreneur et du directeur sont inexpliqués. Il s'agit donc de savoir simplement quel est le point de départ adopté, la conception de justice choisie; le reste en découle nécessairement. La seule chose vraiment mystérieuse, c'est-à-dire individuelle, c'est ce choix que fait l'esprit entre toutes les conceptions de justice possibles.

des évolutions n'est pas dans l'esprit; il est dans la réalité des choses, dans les antithèses des faits qui cherchent à se résoudre d'elles-mêmes. Pour nous, au contraire, qui donnons le pas à l'idéologie sur les faits matériels, et qui croyons que le monde. est mû avant tout par les idées, nous pouvons reconnaître, comme facteur d'évolution, le fait hypothétique d'une adhésion unanime des esprits à cette nouvelle conception de justice, d'où la doctrine socialiste tout entière découle. Si celle-ci, en effet, se généralise, elle entraînera avec elle la vérité et la possibilité partielles du socialisme. La question principale dont dépend son avènement, ce n'est pas celle de l'accumulation des capitaux entre les mains de quelques potentats, c'est celle de la conquête des esprits et des cœurs par sa formule nouvelle de la justice. Une telle conquête n'empêcherait cependant pas les individus de souffrir des conséquences désastreuses que comporterait le nouveau régime au point de vue de la liberté, s'il était réalisé tel qu'il est conçu aujourd'hui; et, par suite, il nous semble qu'une inévitable réaction se produirait, un refus des esprits habitués à une longue pratique de l'individualisme.

VII

Le troisième volume du CAPITAL de Marx et la loi

de la valeur-travail.

Une dernière preuve peut être apportée du caractère artificiel de la doctrine qui sert de fondement au socialisme : c'est l'incertitude présente des socialistes eux-mêmes sur le sens véritable de la thèse marxiste de la valeur-travail. Le point de départ de cette incertitude, ce fut l'apparition du troisième volume du Capital de Marx (publié par Engels en 1894), qui suscita de nombreuses déceptions. En effet, la loi de la valeur, exposée dans le premier livre, au début mème du Capital, au lieu d'ètre renforcée dans cette dernière partie de l'ouvrage, y perdait toute signification précise. Marx donnait de cette loi, ou plutôt de sa

portée pratique, une nouvelle formule en contradiction manifeste avec l'ancienne (1). Il reconnaissait que les marchandises ne sont jamais, dans la société capitaliste moderne, vendues à leur valeur vraie, qui est celle du travail contenu en elles, — et cela à cause d'une nouvelle loi dont l'établissement et l'explication ont coûté au grand logicien socialiste beaucoup de labeur : la loi du taux de profit moyen.

En effet, la plus-value du travail fonde, nous le savons, le profit industriel, et elle fonde aussi le profit commercial, l'intérêt, la rente, tous les revenus sans travail, qui ne sauraient être tirés d'une autre source que du travail-surplus (2). Or, tous ces profits ont des taux variables, mais qui tendent à s'égaliser suivant la loi du taux de profit moyen et sous la poussée de la concurrence. Il arrive donc que les prix des marchandises, produits des capitaux industriels, commerciaux et agricoles, sont affectés différemment par l'existence de ce profit moyen, suivant que celles-ci mettent en œuvre plus ou moins de capital; par suite, les prix des marchandises s'écartent sensiblement et arbitrairement, semble-t-il, de leur valeur de travail. Cependant, ils s'en écartent, dit Marx, suivant une loi générale, de telle sorte que les variations de la valeur du travail et les variations de la plus-value s'annulent réciproquement pour l'ensemble des produits. En effet, pour telle ou telle marchandise particulière, la loi de la valeur idéale de Marx est contredite par les faits, chaque capitaliste, suivant l'importance des capitaux employés, vendant le produit plus haut ou plus bas que sa valeur idéale; mais ces excédents et ces déchets se compensent pour la classe entière des capitalistes; et le produit total de la plus-value est alors le même que si tous les prix étaient réellement proportionnels aux valeurs idéales des marchandises.

(1) Voyez, en sens contraire, Engels (Devenir social, novembre 1895). Il attaque violemment Loria, coupable d'avoir proclamé la banqueroute de la théorie marxiste.

(2) Voir Conrad Schmidt (Devenir social, 1895, p. 191), et Engels, PRÉFACE du tome III du Capital, pages 9 et 10.

Il y a là, croyons-nous, un sophisme colossal que nous allons dévoiler. Mais, par avance, remarquons que Marx change de batteries en effet, il nous affirme maintenant que la loi de la valeur-travail est inapte à expliquer les échanges particuliers, c'est-à-dire l'échange tout court; or, cela est formellement en contradiction avec ce qu'il nous disait de cette loi au début du Capital qu'elle était non seulement la loi réelle, mais encore la seule loi possible des échanges, le travail étant le seul élément commun qui puisse servir à mesurer les marchandises (1). Il y a là un changement manifeste de position, qui annule absolument la première moitié du Capital.

La loi ne concerne donc plus que l'ensemble des marchandises produites. « Si chaque produit en détail, dit Marx, n'est pas vendu à sa valeur vraie, en revanche le prix total de tous les produits se proportionne à la vraie valeur totale. » Nous appelons cette explication un subterfuge. Nous voyons très bien le trajet de la pensée de Marx: il part d'une loi exposée sans la moindre preuve sérieuse dès les premières pages de son œuvre; plus tard, devant l'étude développée qu'il entreprend du régime économique moderne, sa théorie ne se soutient plus. Il ne doute pourtant pas de celle-ci, à laquelle l'attache une certitude irraisonnée; il affirme seulement qu'impuissante à expliquer le détail des faits, elle gouverne néanmoins l'ensemble du processus économique. Il aboutit alors à un cercle vicieux. Voyons, en effet, ce que signifie le prix total des marchandises : c'est la valeur de l'ensemble des marchandises, par rapport à quoi? au stock de monnaie qui les achète. Or, la valeur de ce stock n'est connue que par la valeur des marchandises qu'il sert à acheter. Le prix total des marchandises n'est donc pas différent de leur valeur totale. Et cette valeur totale, à son tour, c'est la valeur de l'ensemble des marchandises, par rapport à quoi? à la société. Il s'agit donc, en fin de compte, de la valeur du stock entier des choses au regard de la société; ce n'est rien moins qu'un problème de valeur absolue. Marx nous dit que la valeur

(1) Capital, livre I, chapitre I.

absolue du stock, c'est le travail qu'il contient. Théorie métaphysique que nous connaissions déjà, mais que rien ne nous prouve. Nous gravitons toujours autour de cette exigence subjective de son esprit : la valeur ne peut être conçue que comme un rapport de travail.

Bernstein est venu dire alors : La loi de la valeur de Marx n'est qu'un procédé d'analyse, une méthode destinée à mettre en valeur l'existence de la plus-value (1). Ce procédé est très justifiable, mais ce n'est qu'un procédé (2). II ne concerne pas la valeur comme facteur déterminant des prix. Comme la théorie des atomes en physique par exemple, c'est une clé, destinée à montrer le mouvement de l'économie capitaliste; et, par suite, c'est une idéologie, comme il y en a tant d'autres chez Marx.

Le professeur Sombart (Breslau)' avait déclaré, dès 1894 (3), qu'avant de critiquer les conclusions de Marx, il faut comprendre sa pensée, et dégager les éléments essentiels des éléments accidentels. Or, on doit abandonner l'idée que la loi de la valeur veuille être une loi réelle des faits économiques. Dans le régime capitaliste, elle n'est pas un fait empirique; elle est seulement un fait de la pensée (eine gedankliche Tatsache). En effet, la valeur n'apparaît pas dans l'échange capitaliste. Cependant cette loi a une signification; il s'agit de préciser laquelle. Elle exprime la force productive du travail social. Elle est l'achèvement logique d'un système dans lequel cette force productive est la base de l'ordre économique, c'est-à-dire du système moderne. De plus en plus, en effet, le travail pénètre et gouverne les phénomènes économiques. La loi de la valeurtravail n'est que l'expression théorique de cette tendance. Si on veut la conserver comme vérité historique, on ne peut le faire

(1) Bernstein, Socialisme théorique et socialdemocratie pratique (trad. 1900), p. 64-76.

(2) Kautsky (Le Marxisme) répond à Bernstein: « Si c'est un simple procédé, il n'est pas justifiable.

(3) Werner Sombart, Archiv sociale gesetzgelung de Brann, VII, 4

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