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DE M. DE LAMARTINE.

Mais enfin, reprit-elle, trouvez-vous donc le monde social, politique et religieux, bien ordonné? et ne sentez-vous pas ce que tout le monde sent, le besoin, la nécessité d'un Révélateur, d'un Rédempteur, du Messie que nous attendons, et que nous voyons déjà dans nos désirs? »- -Oh! pour cela, lui dis-je, c'est une autre question. Nul plus que moi ne souffre et ne gémit du gémissement universel de la nature, des hommes et des sociétés. Nul ne confesse plus haut les énormes abus sociaux, politiques et religieux. Nul ne désire et n'espère davantage un réparateur à ces maux intolérables de l'humanité. Nul n'est plus convaincu que ce réparateur ne peut être que divin! Si vous appelez cela attendre un Messie, je l'attends comme vous, et plus que vous je soupire après sa prochaine apparition.... Je crois que Dieu se montre toujours au moment précis où tout ce qui est humain lui-même... est insuffisant, où l'homme confesse qu'il ne peut rien par Le monde en est là. Je crois donc à un Messie voisin de notre époque ; mais dans ce Messie, je ne vois point le Christ, qui n'a rien de plus à nous donner en sagesse, en vertu et en vérité; je vois celui que le Christ a annoncé devoir venir après lui. Cet esprit saint toujours agissant, toujours assistant l'homme, toujours lui révélant 2, selon le tems et les besoins, ce qu'il doit faire et savoir..... Que cet esprit divin s'incarne dans un homme ou dans une doctrine, dans un fait ou dans une idée, peu importe, c'est toujours lui; homme ou doctrine, fait ou idée, je crois en lui, j'espère en lui, et je l'attends, et plus que vous, Milady, je l'invoque! Vous voyez donc que nous pouvons nous entendre, et que nos étoiles ne sont pas si divergentes que cette conversation a pu vous le faire penser.

historiens sceptiques de notre époque, et les St-Simoniens même, ont rendu plus de justice à l'influence passée du Christianisme sur la civilisation. C'est lui qui a fait tout ce que nous sommes, et même cetle raison dont M. de Lamartine se glorifie tant. Mais tout cela est inconnu au poète.

1 On sait le cas qu'il faut faire de cette citation de lady Stanhope. Réflexion affligeante ! Ainsi M. de Lamartine croit à un Messie à venir, sur la foi d'un texte faux, cité par une femme qui professe ouvertement l'astrologie! et c'est sur cette autorité qu'il abandonne l'interprétation des Saints Pères et de l'Eglise !!

2 Nulle part on ne trouve dans l'Evangile la preuve ou la promesse que l'Esprit-Saint assistera toujours l'homme, et lui révélerà ce qu'il doit faire. Cette promesse n'a été faite qu'à l'Église, par ces paroles : Voilà que je suis avec vous, tous les jours, jusqu'à la consommation des siècles (Saint Matthieu, xxvIII, 20). Cette assistance et cette révélation de Dieu, accordées à l'homme isolé, et d'une manière intérieure, sont un des dogmes du Protestantisme et de l'Illuminisme.

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N° 60. 1835. — 2o édition 1849.

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Elle sourit; ses yeux, quelquefois voilés d'un peu d'humeur quand je lui confessais mon rationalisme chrétien, s'éclairèrent d'une tendresse de regard et d'une lumière presque surnaturelle.

>> - Croyez ce que vous voudrez, me dit-elle, vous n'en êtes pas moins un de ces hommes que j'attendais, que la providence m'envoie, et qui ont une grande part à accomplir dans l'œuvre qui se prépare. Bientôt vous retournerez en Europe; l'Europe est finie; la France seule a une grande mission à accomplir encore; vous y participerez; je ne sais pas encore comment, mais je puis vous le dire ce soir, si vous le désirez, quand j'aurai consulté vos étoiles... Je ne sais pas encore le nom de toutes; j'en vois plus de trois maintenant; j'en distingue quatre, peutêtre cinq, et, qui sait? plus encore. L'une d'elles est certainement Mercure, qui donne la clarté et la couleur à l'intelligence et à la parole; vous devez être poète, cela se lit dans vos yeux et dans la partie supérieure de votre figure; plus bas, vous êtes sous l'empire d'astres tout différens, presque opposés; il y a une influence d'énergie et d'action; il y a du Soleil aussi, dit-elle tout-à-coup, dans la pose de votre tête, et dans la manière dont vous la rejelez sur votre épaule gauche... Remerciez Dieu : il y a peu d'hommes qui soient nés sous plus d'une étoile ; peu dont l'étoile soit heureuse; moins encore dont l'étoile, même favorable, ne soit contre-balancée par l'influence maligne d'une étoile opposée. Vous, au contraire, vous en avez plusieurs, et toutes sont en harmonie pour vous servir, et toutes s'entr'aident en votre faveur 4. D

Puis la confiance s'établissant de plus en plus, voici une bien autre confidence que la célèbre astrologue fait à notre poète :

» Puisque la destinée, me dit-elle à la fin, vous a envoyé ici, et qu'une sympathie si étonnante entre nos astres, me permet de vous confier ce que je cacherais à tant de profanes, venez, je veux vous faire voir de vos yeux un prodige de la nature, dont la destination n'est connue que de moi et de mes adeptes; les prophéties de l'Orient l'avaient annoncé depuis bien des siècles, et vous allez juger vousmême si ces prophéties sont accomplies.

» Elle ouvrit une porte du jardin, qui donnait sur une petite cour intérieure, où j'aperçus deux magnifiques jumens arabes de première race, et d'une rare perfection de formes. Approchez, me dit-elle,

et regardez cette jument baie; voyez si la nature n'a pas accompli en elle tout ce qui est écrit sur la jument qui doit porter le Messie : « elle » naîtra toute sellée.» Je vis en effet sur ce bel animal un jeu de la nature assez rare pour servir l'illusion d'une crédulité vulgaire chez

1 Tome 1, p. 256 et suiv.

des peuples à demi barbares; la jument avait au défaut des épaules une cavité si large et si profonde, et imitant si bien la forme d'une selle turque, qu'on pouvait dire avec vérité qu'elle était née toute sellée, et, aux étriers près, on pouvait en effet la monter sans éprouver le besoin d'une selle artificielle... Une autre jument blanche partage avec la jument du Messie, le respect et les soins de lady Stanhope; nul ne l'a montée, non plus que l'autre. Lady Esther ne me dit pas, mais me laissa entendre que, quoique la destinée de la jument blanche fût moins sainte, elle en avait une cependant mystérieuse et importante aussi ; et je crus comprendre que lady Stanhope la réservait pour la monter elle-même, le jour où elle ferait son entrée, à côté dù Messie, dans la Jérusalem reconquise". »

Nous n'aurions pas cité cette dernière partie du récit de lady Stanhope, si M. de Lamartine, en portant un jugement sur cette femme, et après cette foule d'absurdités, n'avait dit avec beaucoup de courage: Non, cette femme n'est pas folle. Libre à lui de le croire, si l'instinct de sa raison le lui dit ainsi; mais nous qui avons un autre guide, nous qui ne pouvons nous empêcher de déplorer que M. de Lamartine ait cru utile de nous faire ces confidences, nous n'oserions pas même dire qu'elles n'aient pás fait une profonde impression sur son esprit. Il nous semble, en effet, retrouver quelques-unes de ces pensées sur le Christianisme présent et sur le Christianisme à venir, dans les considérations qu'il émet à propos du St-Simonisme : suivant lui, le St-Simonisme consistait en l'application du Christianisme à la société politique. S'il avait eu un chef, un maître, un régulateur, un but, un esprit, il aurait eu invinciblement la victoire. Puis, prenant le rôle de prophète, il continue:

» Cela sera repris en sous-œuvre avant les grandes révolutions; on voit des signes sur la terre et dans le ciel; les St-Simoniens ont été un de ces signes; ils se dissoudront comme corps, et se feront plus tard, comme individus, des chefs et des soldats de l'armée nouvelle 3.» Après ces citations, on doit connaître clairement la pensée de M. de Lamartine sur la religion nouvelle; il la résume luimême en ces termes :

« La raison veut se reposer en religion;

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»-Dieu un et parfait pour dogme;

» La morale éternelle pour symbole ;
» — L'adoration et la charité pour culte'. »

C'est, nous le répétons encore, le déisme des livres et des penseurs philosophiques du 18 siècle: rien de plus, rien de moins que ce que nous y avons lu. Ces principes ont été cent fois réfutés. Cependant la question, étant reproduite par un écrivain du 19 siècle, et offerte à cette vieille jeunesse de notre époque, qui en sait plus que ses pères, en religion, mérite une réponse qui se trouve dans la plupart des jeunes esprits, et que nous allons essayer de résumer en peu de mots.

4. Considérations sur le Déisme et sur les faiseurs de religions nouvelles. La jeunesse chrétienne de notre époque — et nous pourrions dire de notre école, si nous avions la mauvaise prétention d'en former une se trouve dans une position assez embarrassante, et qui lui est faite autant par ceux qui ont la même foi, que par ceux qui ne l'ont pas. Parce que nous soutenons que les sciences reviennent à la religion et que les esprits se rapprochent de nous et de nos croyances; parce que nous espérons que des tems meilleurs se lèveront pour la société et pour l'Église, quelques esprits, droits d'ailleurs et estimables, mais timorés et craintifs outre mesure, et ignorant en général le véritable état de la science et des esprits, en prennent occasion de nous accuser de vouloir faire évanouir le Christianisme dans je ne sais quelle religion de raison et de mysticité vague, qui n'a ni règle pour l'esprit, ni morale fixe pour le cœur, et qui, surtout dans la pratique, s'affranchit complétement de l'Église et de son autorité. Ces accusations sont graves, et méritent réponse de la part de ceux à qui elles s'adressent. Que chacun s'examine et réponde pour son compte. Pour nous, nous avouons que des livres tels que celui de M. de Lamartine rendent ces reproches fondés, et des explications nécessaires. Nous espérons que l'on sera satisfait de celles que nous avons déjà données au commencement de cet article, et de celles que nous donnerons encore. Aussi avouons-nous la nécessité de nous prémunir contre ces esprits rêveurs et philosophiques, qui, s'apercevant que le Christianisme

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gagne, et que le flot du siècle va la, en profitent pour faire de l'esprit, des systèmes et des livres sur le Christianisme. Bien plus, nous prenant pour des enfans abandonnés qui ont besoin d'un maître, ils se sont mis à ramasser dans leur esprit quelquesunes de ces mille pensées qui germent en ce moment dans l'esprit de tout le monde, et les formulant dans un style plus ou moins agréable, ils nous les ont jetées à la tête, en se posant chefs sans que nous les ayons demandés, et en nous supposant leurs disciples, sans savoir si nous les approuvions. C'est entre ces deux écueils que nous avons à naviguer. Il s'agit pour nous, en ce moment, de calmer les appréhensions des uns, et de faire rentrer à leur place les insolentes prétentions des autres. Nos paroles ne seront pas douteuses, ni notre marche chancelante. Ainsi nous aborderons sans hésiter la question principale, celle que M. de Lamartine semble n'avoir pas vue, ou qu'il n'a pas voulu traiter, et qui est celle cependant qui fait le fond de la difficulté; nous voulons dire l'autorité de la Raison et celle de l'Église, le Déisme pur, c'est-à-dire sans l'Église, et le Christianisme pur, c'est-à-dire avec l'Église.

Nous posons nettement ces deux questions, car nous croyons qu'il est de toute nécessité de déblayer le terrain de ces hommes demi-chrétiens et demi-déistes, qui choisissent au hasard un lambeau de dogme d'un côté, un lambeau de morale de l'autre, selon l'auteur qu'ils ont lu et la dernière parole qu'ils ont entendue, et en composent ce qu'ils appellent une Religion. Or, nous le disons sans hésiter à la jeune génération pour savoir ce qu'elle fait, pour connaître toute la portée de ses actes en religion, elle doit d'abord faire acte d'homme, elle doit rejeter bien loin d'elle l'autorité de l'exemple de ces hommes qui font une religion, et veulent la lui imposer. Or, suivant nous, cette manière de s'effacer, de s'identifier aux autres, est lâche, honteuse, perfide. Elle nous cache notre position, sans en atténuer la culpabilité. Il faut absolument suivre notre raison, c'est-à-dire, nous faire à nous-mêmes notre religion, notre morale, notre Dieu, nous établir hardiment la mesure des choses, ou bien suivre l'enseignement de l'Église. Nous pouvons nous tromper sans doute en croyant à nous-mêmes; mais au moins

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