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conséquences qu'il en tire n'ont pas obtenu l'approbation des connaisseurs.

Tout, du reste, était préparé ou se préparait pour cette œuvre immortelle dont la rédaction, la publication répétée, le perfectionnement sans relâche remplirent la meilleure part de la vie mortelle de notre confrère. En 1833, commença à paraître la première édition de la Grammaire comparée, dont les six livraisons se succédèrent jusqu'en 1852. Tous les juges compétents y applaudirent en Europe et dans l'Inde, Eugène Burnouf avant tout autre, au Journal des Savants. Une traduction anglaise de M. Eastwick, trois fois reproduite, commença à paraître sous les auspices du savant Wilson, bien avant que l'ouvrage eût atteint son terme. Nous avons attendu la nôtre cinq années encore après la seconde édition de l'original, publiée de 1835 à 1864, en trois volumes in-8°, avec des additions considérables où l'auteur avait mis à profit tous les résultats nouveaux acquis à la science dans l'intervalle des deux éditions. Mais cette longue attente est bien compensée par la haute valeur de la traduction française. Non-seulement elle est la plus complète, mais le traducteur est entré plus profondément que personne n'eût pu le faire à sa place dans la pensée de son ancien maître; il a reçu jusqu'au dernier jour ses précieuses communications, et il continue de développer sa doctrine au-devant de chaque volume, dans des introductions où l'admiration respectueuse du disciple n'ôte rien à la liberté de son jugement.

Nous ne saurions donner ici de ce grand ouvrage, apprécié par M. Bréal avec une compétence spéciale qui nous manque, qu'un simple aperçu. Nous sommes sûrs toutefois de ne point nous égarer en demandant avant tout à l'auteur lui-même d'éclairer notre marche dans cette rapide esquisse de son livre, comme l'a fait M. Benfey, l'un de ses plus illustres émules, dans l'analyse étendue qu'il vient d'en publier. C'est une des parties les plus considérables de sa récente Histoire de la science du langage et de la philologie orientale en Allemagne, depuis le commencement de ce siècle. Nous en avons profité ici et ailleurs.

La simplicité des principes, la rigueur des déductions, l'indépendance absolue de toute autorité, si ce n'est celle de la raison appliquée à l'observation des faits la plus complète, tels sont les caractères généraux de la Grammaire comparée, et de la méthode dout Bopp est le véritable créateur, dans cette belle et neuve étude devenue, par lui surtout, la science du langage. Lui-même en pleine conscience de la vertu de sa méthode, il a ramené à trois points fondamentaux les développements de son ouvrage, et l'intinie variété, le chaos apparent des faits et des détails où elle doit porter l'ordre et la lumière.

Il veut d'abord décrire, comme il le dit expressément, l'organisme, la structure intime des langues qu'il entreprend de rapprocher, pour en découvrir, s'il se peut, la commune origine, indépendamment de tout rapport extérieur et accidentel des sons et des mots. De cette description, de cette comparaison générale qui, plus d'une fois déjà, laissent entrevoir les traits de famille de ces langues, il résulte, en les examinant de plus près, que nombre de formes grammaticales, c'està-dire organiques, diverses en apparence, quant aux sons, portent en elles-mêmes des caractères tellement analogues qu'ils font soupçonner leur identité première. Pour la constater scientifiquement,

il faut alors rechercher les lois dites par Bopp physiques et mécaniques, sous l'empire desquelles ces formes analogues, supposées originairement identiques et pourtant si différentes d'aspect, se sont tellement métamorphosées dans les langues diverses, qu'il semble d'abord impossible d'admettre cette identité. Mais sitôt que ces lois qui régissent les sons, et qu'on nomme pour cette raison phoniques, ont été découvertes, les organismes, si différents au premier coup d'eil, des langues sœurs, se résolvent en un seul et même organisme qui se réfléchit, pour ainsi dire, sous des angles divers dans chacune d'elles au gré des lois phoniques qui y ont prévalu.

Qui ne voit que les deux premières données du problème posé par Bopp rentrent l'une dans l'autre, et que les lois qui ramènent à l'unité de l'organisme primitif la variété des organismes secondaires, une fois reconnues, l'origine commune des langues comparées entre elles est par cela même constatée? Mais Bopp va plus loin: il veut saisir, pour ainsi dire, sur le vif, la naissance des formes destinées à exprimer les rapports grammaticaux, formes devenues si diverses, à première vue du moins, dans les langues congénères. Pour trouver le secret de leur origine, il entreprend de déterminer leur signification première.

Il arrive, le plus souvent, que cette signification première des formes grammaticales, qui en explique l'origine, se révèle par leur simple confrontation, dans les langues sœurs, séparées les unes des autres depuis des milliers d'années, mais gardant entre elles, comme nous le disions tout à l'heure, des traits de famille reconnaissables. Que si la confrontation, en dégageant la forme la plus ancienne, par l'application des lois phoniques, ne découvre pas toujours le sens primordial et par lui l'origine de cette forme, elle met du moins sur la voie. Dans tous les cas, c'est là le point le plus élevé que Bopp, dans la circonspection de sa méthode, égale à sa hardiesse, se soit proposé d'atteindre. Et quoi de plus grand, en effet, que la connaissance des moyens par lesquels la mieux douée des races humaines est parvenue à créer son œuvre la plus parfaite, c'est-à-dire sa langue, par la puissance inconsciente et spontanée de la raison? Là est le triomphe de la science de Bopp, où concourent en réalité tous les éléments, tous les procédés de recherche, toutes les méthodes, naturelle, historique, comparative et philosophique; d'où il suit que la science des langues ne peut être classée dans la sphère exclusive d'aucune de ces méthodes; que, toute fondée qu'elle est sur l'observation, sur l'expérience, elle ne saurait, comme le veut un ingénieux professeur, l'un des premiers linguistes de ce temps, M. Max Müller, être rangée parmi les sciences physiques.

Pour revenir au livre de Bopp, ce livre si fortement conçu, déveveloppé avec tant de simplicité et de largeur, repose donc, au fond, sur la notion de l'origine des formes grammaticales, dans la famille des langues qui en sont le sujet, et c'est pour cela qu'il y attachait tant d'importance. La comparaison des formes diverses de ces langues, qu'il a soumises pendant près de cinquante ans à une si patiente et si profonde analyse, n'était à ses yeux que le moyen d'atteindre jusqu'aux formes primordiales, par la connaissance des lois phoniques, flambeau de cette comparaison. Le dernier résultat de ses longues méditations, pressenti par lui dès 1820, devait être la reconstruction de la langue mère dont toutes les autres, à commencer par le sanscrit, ne furent que les filles, de même que nos langues néo

latines sont celles du latin, non du provençal, l'une d'entre elles, ainsi que le soutint jadis notre confrère Raynouard. Là en est aujourd'hui la science que Bopp a fondée sur ses vraies bases, et qui a ouvert à l'activité de ses successeurs une si vaste carrière dans le domaine entier du langage humain.

Quoique Bopp ait donné pour but à son ouvrage la comparaison et l'explication des formes grammaticales dans les langues indo-européennes, il ne faudrait pas croire qu'il ait négligé, comme la plupart des grammairiens spéciaux, de traiter des racines, l'élément fondamental du langage. Elles étaient à ses yeux, comme elles sont dans le fait, la condition première de la formation des mots. Seulcment, lui qui, pour les flexions, pour certaines variations des voyelles, entendait tout expliquer par des lois naturelles et repoussait, comme nous l'avons vu, toute idée de mystère, il s'arrête, dit-il expressément, devant celui des racines. Il renonce à pénétrer la cause pour laquelle telle conception est marquée par tel son plutôt que par tel autre. C'est que cette question, impliquant celle de l'origine même du langage, dépassait l'horizon de ses recherches, et qu'il n'avait point de solution à en proposer. Il se borne donc à distinguer, dans les langues, objet de son étude, deux classes de racines, les racines verbales, nommées encore attributives, d'où proviennent les verbes et les noms, soit substantifs, soit adjectifs, et qui expriment une action ou une manière d'être; puis les racines pronominales ou indicatives, désignant les personnes, avec l'idée accessoire de situation dans l'espace, et desquelles dérivent, outre les pronoms, toutes les prépositions primitives, les conjonctions, les particules. C'est, dit très-bien M. Bréal, par la combinaison de six ou sept cents racines verbales avec un petit nombre de racines pronominales, que s'est formé ce mécanisme merveilleux qui frappe d'admiration celui qui l'examine pour la première fois, comme il confond d'étonnement celui qui en mesure la portée indéfinie après en avoir scruté les modestes commencements.

Une fois sur cette voie, le grand comparateur ne put se défendre de rapprocher, en ce point capital, les racines verhales aryennes des racines sémitiques. Celles-ci, formées de trois consonnes, et dissyllabiques d'ordinaire, dès qu'on les prononce avec une voyelle, deviennent des mots avec des sens divers selon la diversité des voyelles introduites. Au contraire, dans les idiomes aryens les plus anciens et les mieux conservés, où toutes les racines sont monosyllabiques, et d'un nombre très-variable de lettres, elles constituent comme un noyau fermé, presque immuable, s'entourant de syllabes étrangères, dont le rôle est d'exprimer les idées accessoires que la racine ne saurait rendre par elle-même. Du reste, Bopp se borne à prendre acte de ce contraste entre les deux familles de langue, à leur âge le plus reculé. sans essayer de le résoudre, comme on l'a fait depuis par des hypothèses plus ou moins probables, qui tendraient à les ramener à une commune origine. Dans cette voie encore, à propos des racines et de la formation des mots, il se vit amené, en réfutant les idées de Fr. Schlegel et en modifiant celles de son frère, à émettre ses propres vues sur la classification générale des langues, quoiqu'il évitât d'ordinaire cet ordre de questions, laissant à d'autres, d'un savoir plus étendu, sinon plus solide que le sien, des problèmes trop ambitieux pour lui.

Bopp, par la rigueur autant que par la fécondité de sa méthode, par

ses livres non moins que par ses leçons, a fait école en Allemagne et dans toute l'Europe. Parmi ses nombreux disciples, les uns ont embrassé à sa suite, pour l'agrandir encore, le vaste domaine qu'il avait cultivé le premier; les autres en ont fouillé dans leurs dernières profondeurs les différentes provinces. Des applications neuves et hardies de la comparaison des langues, d'après les principes établis par lui, ont été faites à l'étymologie, devenue une science positive au lieu de cette divination fantastique qu'elle avait été si longtemps; à la mythologie, qui y a retrouvé le sens originel de ses fables, développées depuis par la poésie au gré du génie divers des peuples; enfin, à l'histoire primitive des ancêtres de notre race, alors qu'ils ne formaient encore qu'une même famille parlant une même langue, dispersée plus tard en nations nombreuses, dont la parenté est attestée avec certitude par les traits communs de leurs idiomes.

Ce sont là les fruits durables de cette vie constamment studieuse, qui commença à pencher vers son déclin peu de temps après la seconde publication de la grammaire comparée en 1861. Vous n'attendites pas, Messieurs, cette époque, pour appeler dans votre sein une gloire si pure et si modeste; dès 1857, vous aviez, à la mort du baron de Hammer-Purgstall, élu M. Bopp l'un de vos associés étrangers. Il ne fut pas moins flatté de cette distinction que de celles du même genre qui lui avaient été conférées dans d'autres pays, et de la faveur extraordinaire qu'il reçut du roi de Prusse Frédéric Guillaume IV; ce roi, ami de la science et des savants, en lui décernant l'ordre peu prodigué du Mérite, l'inscrivit de sa main sur le livre de l'ordre en caractères dévanâgaris. Une autre joie de sa vieillesse fut de voir son grand ouvrage si dignement traduit dans notre langue par son ancien disciple M. Bréal.

Mais l'honneur qu'il apprécia surtout et qui eut le pouvoir de ranimer un moment ses forces de plus en plus défaillantes, ce fut quand, le 16 mai 1866, le ministère de l'instruction publiqué à Berlin, les collègues et confrères de Bopp à l'Université, à l'Académie, ses élèves el ses admirateurs de toute contrée se réunirent pour célébrer, dans une de ces cérémonies touchantes que l'Allemagne a su conserver mieux que nous, le cinquantième anniversaire de la publication de son premier écrit, germe fécond de tous les autres. La guerre qui allait éclater ne permit pas de donner à cette solennité tout l'éclat qu'elle aurait dû avoir. Mais une députation se rendit chez Bopp, et il répondit en quelques mots aussi émus que bien inspirés aux félicitations qui lui furent adressées. De tous les points du monde où son nom avait pénétré, survinrent, suivant l'usage, des télégrammes, des brochures, des ouvrages dédiés au héros de la fête, à l'objet du Jubilé, et la France y eut sa part. On fit plus et mieux; une fondation fut instituée sous le nom de Fondation Bopp et en son honneur. Telle était la popularité de ce nom qu'en peu de temps les souscriptions s'élevèrent à une somme considérable. L'Inde y contribua pour beaucoup, et les Parses de Bombay se montrèrent surtout empressés. En Europe, la France prit rang immédiatement après l'Allemagne.

Un peu plus d'une année après, notre illustre confrère, mortelle ment frappé d'une seconde attaque d'apoplexie, le 23 octobre 1867, fut enlevé à la science pour laquelle il avait tant fait, à son pays qu'il avait tant honoré. Telle était toutefois la médiocrité de sa situation, tel avait été son dédain des soins vulgaires de la vie, que la veuve qu'il a laissée fût restée presque sans ressources, si la précieuse

bibliothèque formée pendant longues années par Bopp n'était devenue un trésor pour les siens. Elle a été achetée, nous assure-t-on, pour une somme considérable, et transportée à Chicago, dans l'Etat d'Illinois, où elle est un témoignage de plus du lien qui n'a pas cessé d'unir les peuples frères de l'ancien et du nouveau monde.

M. Bopp a été remplacé par M. DE ROSSI, le 13 décembre 1867.

Les commencements de l'économie politique dans les écoles du moyen âge par M. CHARLES JOURDAIN. Fragment lu dans la séance publique annuelle du vendredi 19 novembre 1869.

A quelle époque et par quelles voies la science de l'économie politique a-t-elle pénétré au moyen âge dans les écoles d'Occident? Sous quelles influences et dans quelle mesure s'y est-elle développée? Quels résultats a-t-elle produits dès son apparition? 'our trailer à fond ce point peu connu de critique philosophique et d'histoire, il serait nécessaire de remonter jusqu'au règne de Charlemagne; de suivre de siècle en siècle, dans les écrits contemporains, la marche des idées morales; de saisir, au treizième siècle, le moment précis où la lecture des ouvrages d'Aristote commence à faire circuler d'exactes notions sur la monnaie, mêlées à de sévères jugements sur le commerce et à de subtiles théories contre l'usure; puis, le point de départ ainsi fixé, il resterait à étudier les premiers tâtounements, les transformations et le lent progrès de la science qui vient de se faire jour. Mais le champ d'une pareille recherche est trop vaste pour qu'il nous soit possible de le parcourir aujourd'hui tout entier. Négli. geant donc les plus ancienues origines de l'économie politique au moyen âge, nous nous transporterons tout d'abord à l'époque où elle est déjà introduite dans les écoles, et où quelques-unes des questions qu'elle embrasse tendent de plus en plus à devenir l'objet de discussions régulières qui ne sont pas sans intérêt pour l'historien. Dès la fin du treizième siècle, un fait alors inouï dans l'histoire de la monarchie française contribuait à élargir le cercle des études scolastiques; nous voulons parler de l'altération des monnaies, essayée, pour la première fois, par Philippe le Bel et pratiquée par les successeurs de ce prince à tant de reprises différentes et à des intervalles si rapprochés, qu'elle devint en quelque sorte pour le pays une maladie passée à l'état chronique, et que, de l'avis du roi Jean, « à grand peine estoit un homme, qui eu juste payement des mounoies de jour en jour se pût connoître. »

Ce triste et coupable moyen de subvenir à la détresse du fisc royal portait atteinte à des intérêts trop nombreux; il excitait dans tous les rangs de la société, noblesse, clergé, bourgeoisie, un mécontentement trop général, pour ne pas attirer de la manière la plus directe l'attention de l'Ecole sur les questions qui se rattachent à l'institution de la monnaie. Les problèmes de cet ordre n'avaient été qu'effleurés ; il devenait d'autant plus opportun de les traiter à fond, que le pouvoir royal préten lait faire considérer la mutation des monnaies comme un droit domanial, comme une manière de lever des impôts plus prompte, dit très-bien Secousse, plus facile et moins à charge au peuple que toutes les autres. Aussi la controverse déjà ouverte ne tarda-t-elle pas à prendre au quatorzième siècle des développements

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