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REMARQUES

SUR L'ÉGLOGUE DEUXIÈME

QUELQUES Commentateurs ont pensé que Virgile s'était représenté dans cette églogue sous le nom de Corydon, et qu'Alexis était un esclave de Mécène que le poète voulait instruire dans l'art d'Apollon et des muses. Nous croyons que l'auteur des Eglogues n'a eu d'autre intention que celle d'imiter une des plus belles idylles de Théocrite, intitulée le Cyclope. Dans l'idylle grecque, Polyphème exprime ŝa passion pour la nymphe Galatée.

PAGE 104, VERS 3.

Tantùm inter densas, umbrosa cacumina, fagos
Assiduè veniebat: ibi hæc incondita solus

Montibus et silvis studio jactabat inani :

Ce tableau est d'une grande vérité; le berger cherche les lieux solitaires, car les sentiments tendres se plaisent et se fortifient dans la solitude. Segrais, en imitant ce passage de Virgile, en a caractérisé l'esprit et la beauté :

Ce berger, accablé de son mortel ennui,
Ne se plaisait qu'aux lieux aussi tristes que lui;

Errant à la merci de ses inquiétudes,

Sa douleur l'entraînait aux noires solitudes,

Et, des tendres accents de sa mourante voix,
Il faisait retentir les rochers et les bois.

Boileau trouvait dans ces vers de Segrais le ton qui convient au genre pastoral: il nous semble que le poète français n'est pas resté beaucoup au-dessous de son modèle; Virgile conserve cependant sur son imitateur l'avantage de la concision, avantage que lui donne la langue dans laquelle il écrit. La langue latine est d'ailleurs plus propre à exprimer la passion, par la libre construction de ses phrases, et par la facilité qu'elle laisse au poète d'arranger les mots à son gré.

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Dans l'idylle grecque, Théocrite exprime ainsi l'amour de Polyphème : « Souvent les brebis quittèrent les gras pâ» turages et revinrent seules à la bergerie, tandis

que, uni» quement occupé des attraits de Galatée, il languissait » étendu sur le rivage de la mer. Enfin il trouva un soula»gement à sa peine; assis sur la cime d'un rocher, les » yeux tournés vers la mer, il exhalait son amour dans des

>> chansons plaintives. »

Ce début de Théocrite ne le cède point à celui de Virgile : les vers latins n'ont rien de plus gracieux et de plus délicat que cette idée du poète grec, souvent les brebis revinrent seules à la bergerie : ces mots, les yeux tournés vers la mer (vers le lieu où était Galatée), offrent une image pleine de mélancolie et de douceur.

Corydon adresse ses plaintes aux forêts et aux montagnes; ce langage est naturel à l'amour, et surtout à l'amour des bergers; les poètes en ont quelquefois abusé, même chez les anciens. Ces sortes de plaintes, adressées aux choses inanimées, s'étaient introduites jusques dans les comédies, et c'est là surtout qu'elles étaient déplacées. Plaute, dans sa comédie du Marchand, fait dire à un de ses personnages: « Je ne ferai point comme les amants dans la plupart » des comédies, qui racontent leurs douleurs au jour et à la » nuit, au soleil et à la lune. » Nous pourrions citer plusieurs drames modernes, dont les auteurs sont tombés dans le même ridicule, mais nous nous hâtons de revenir à Virgile.

PAGE 104, VERS 8.

Nunc etiam pecudes umbras et frigora captant;
Nunc virides etiam occultant spineta lacertos;
Thestylis et rapido fessis messoribus æstu
Allia serpyllumque herbas contundit olentes :
At mecum raucis, tua dum vestigia lustro,
Sole sub ardenti resonant arbusta cicadis.

Ce petit tableau est achevé. L'idée de placer la scène au milieu des ardeurs de l'été est heureuse. Les troupeaux respirent l'ombre et la fraîcheur; le lézard est caché sous les feuilles; les moissonneurs vont se mettre à table, tout est calme ; le berger seul, exposé à l'ardeur du soleil, cherche l'objet de son amour; il chante seul avec les cigales à la voix

enrouée. L'art des amants est toujours de se faire plus malheureux qu'ils ne le sont; ils veulent toucher par le spectacle de leurs maux : il est impossible que la situation de Corydon n'inspire quelque pitié.

Ces vers, comme ceux que nous avons cités plus haut, ne sont pas moins remarquables par les beautés de style que par la vérité des sentiments.

Les mots umbras et frigora semblent multiplier l'ombre et la fraîcheur. Rapido fessis æstu, rend bien l'activité des rayons du soleil, qni tombent à-plomb sur les moissonneurs; rapido est heureusement opposé à fessis. Les deux derniers vers sont de la plus grande beauté : l'un, d'une prononciation difficile, exprime bien la situation pénible de Corydon; l'harmonie du dernier rappelle le chant des cigales.

PAGE 106, VERS 2.

O formose puer, nimiùm ne crede colori :
Alba ligustra cadunt, vaccinia nigra leguntur.

Cette image est riante; c'est dans les champs que cette comparaison a dû être employée pour la première fois, et elle appartenait au style pastoral. Les poètes citadins l'ont employée à leur tour; mais ils l'ont trop prodiguée. Ovide lui-même ne l'a pas dédaignée.

Nec violæ semper, nec hiantia lilia florent,
Et riget amissâ spina relicta rosa:

Tout le monde connaît ce joli distique d'Ausonne:

Collige virgo rosas, dùm flos novus et nova pubes,
Et memor esto ævum sic properare tuum.

Aujourd'hui toutes ces images sont un peu usées, et cependant elles ne nous paraissent point communes lorsqu'on les trouve dans Virgile. Les beautés du poète latin, s'il nous est permis de faire une comparaison que nous avouons n'être pas neuve, sont comme les fleurs des champs et des jardins elles renaissent tous les ans ; nous les voyons tous les jours, elles sont toujours nouvelles à nos yeux.

:

Polyphème se sert d'une comparaison qui n'a point la grâce et la simplicité de celles de Corydon. Il dit à Galatée : « Vous êtes plus blanche que le lait, plus tendre qu'un » agneau, plus légère qu'une génisse, mais 'plus âpre que » le raisin vert. » Ce dernier trait a quelque chose de burlesque.

4) PAGE 106, VERS 4.

Despectus tibi sum, nec qui sim quæris, Alexi;
Quàm dives pecoris nivei, quàm lactis abundans.

Rien n'est plus propre à exprimer l'indifférence d'Alexis, que ces mots : Nec qui sim quæris, « tu ne t'in» formes pas même qui je suis. » Cette expression de dépit motive heureusement l'énumération que Corydon fait ici de

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