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combien la hardiesse des pensées et des images peut s'allier heureusement avec la correction et la pureté du style; Virgile, et après lui Racine, sont les poètes les plus corrects et les plus purs, et cependant ils emploient partout les figures les plus hardies.

La hardiesse des figures consiste ici à personnifier des. êtres inaminés, comme le pin, la terre, la vigne, la laine, et jusqu'à l'herbe des champs, en leur donnant quelque chose des qualités, des affections et des habitudes de l'homme.

Le pin qui entre dans la construction du vaisseau, est pris pour le vaisseau lui-même; l'épithète nautica semble associer un arbre à la science et au sort des navigateurs; le mot patietur, qui exprime la douleur, prête un sentiment à la terre et à la vigne; discet mentiri, en parlant de la laine des troupeaux, n'est pas une expression moins animée; dans cette phrase, sponte sua sandix vestiet, l'herbe des champs.. prend une vie et une volonté ; le poète raconte des choses. miraculeuses; l'enthousiasme lui tient lieu de preuves; il, semble donner une voix aux êtres inanimés pour attester ce qu'il annonce.

La poésie a cet avantage sur la prose; elle peut dire les choses les plus surprenantes, sans être accusée d'imposture; la prose raconte, et la poésie peint; dans la prose on a entendu; dans la poésie, et surtout dans celle de Virgile, on a vu : comment ne croirait-on pas ?

Virgile, comme on vient de le voir dans cette églogue, prend un ton très élevé, mais sa muse n'emploie que des

images champêtres; elle est toujours la bergère dont parle Boileau, qui, pour un jour de fête,

Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornements.

Le poète tire ainsi le parti le plus heureux de son sujet, et tout, jusqu'à cette simplicité qu'on exige dans les mœurs des bergeries, donne de la vraisemblance au merveilleux des fictions. La muse pastorale, par cela même que son caractère est simple et naïf, doit être plus portée à croire des choses surnaturelles, et, si elle ne parvient pas toujours à les faire croire aux autres, elle a du moins l'air d'en être persuadée elle-même.

PAGE 158, VERS 15.

Aggredere ô magnos, aderit jam tempus, honores,
Cara deûm soboles, magnum Jovis incrementum!
Adspice convexo nutantem pondere mundum,
Terrasque, tractusque maris, cœlumque profundum;
Adspice, venturo lætentur ut omnia sæclo.

Qui n'admire la majesté de ces vers! Ces mots, magnum Jovis incrementum, réveillent toutes les idées de la force et de la puissance: incrementum, placé à la fin du vers, s'éloigne des règles ordinaires de la versification latine; Virgile n'a pu l'employer que dans le dessein de produire

un grand effet. Le monde se balance dans ce vers, adspice convexo nutantem pondere mundum; la poésie épique ne peut s'élever plus haut. Il semble, dit M. Génisset, entendre dans ce vers comme un coup de tonnerre qui retentit dans l'étendue. Les vers suivants, pour suivre cette comparaison, sont comme le bruit de la foudre répété par les échos; toute la nature est associée à la gloire du siècle qui va naître ; l'esprit humain n'a jamais dit de plus grandes choses, et jamais la poésie n'employa de plus grandes images.

C'est ici qu'il faut remarquer les nuances progressives qui se trouvent dans ces tableaux de Virgile. L'enfant est au berceau, la terre produit des fleurs, toutes les images du poète sont gracieuses et riantes. Lorsque Marcellus arrive à l'adolescence, il s'opère des miracles plus grands et plus utiles; le raisin est suspendu aux buissons incultes, et le miel s'échappe de l'écorce endurcie du chêne. Lorsque le jeune héros est parvenu au milieu de sa carrière, le bœuf n'est plus attelé au joug; le matelot ne s'expose plus à la mer; la terre produit en tous lieux les choses que les hommes n'acquièrent que par le travail et les échanges du commerce. C'est alors que le poète prend un ton plus sublime; toute la nature partage son délire et sa joie : cette progression est heureusement tracée, et caractérise bien les trois premiers âges de la vie d'un héros ou d'un dieu.

Pope a fait une églogue sur la venue du Messie; il est souvent au-dessous de Virgile, mais il s'élève au-dessus du poète latin, toutes les fois qu'il imite ou qu'il traduit les prophètes. Nous citerons la paraphrase qu'il a faite de quel

ques passages d'Isaïe: « Jérusalem, lève ta tête altière ! vois >> tes vastes parvis peuplés des fils et des filles qui doivent » te naître encore, et qui soupirent après ce jour heureux; » vois les nations étrangères de l'alliance s'avancer vers tes » portes, marcher à ta lumière, et fléchir le genou dans ton temple; vois tes brillants autels couverts de l'encens de » Séba, et entourés de rois prosternés! c'est pour toi que » les forêts de l'Idumée exhalent leur parfum, et que l'or » brille dans les montagnes d'Ophir; vois la route étince» lante des cieux, qui s'ouvre pour l'inonder d'un océan de » lumière. Le soleil levant ne dorera plus pour toi l'aube

du matin, ni ne prêtera plus à la lune sa splendeur ar» gentée; il se dissoudra dans des rayons plus vifs que les » siens, et celui qui est la lumière même sera à jamais ton >> soleil : les eaux de la mer tariront, les cieux se dissipe>> ront en fumée, et les montagnes se fondront par la cha» leur; mais les promesses du Messie, sa puissance salu» taire, et son trône auguste durent à jamais. »

Le même fonds d'idées a été employé par Isaïe et par Virgile; le poète est remplie du soin de charmer ses lecteurs, et il y réussit : le prophète ne s'occupe que des grandes vérités qu'il annonce, il s'élève beaucoup plus haut, et il remplit les esprits d'un saint étonnement. Virgile a fait tout ce que pouvait faire le génie humain; Isaïe va plus loin, et si l'un est le favori des muses et des grâces, il est aisé de l'autre est l'interprète d'un dieu.

voir que

8) PAGE 160, VERS 2.

O mihi tam longæ maneat pars ultima vitæ,
Spiritus et, quantùm sat erit tua dicere facta!

Non me carminibus vincet nec Thracius Orpheus,
Nec Linus: huic mater quamvis, atque huic pater, adsit;
Orphei, Calliopea: Lino, formosus Apollo.

Le poète s'était élevé aux images les plus sublimes; il prend un son plus simple en parlant de lui; il n'aspire qu'à chanter un jour le bonheur qu'il a annoncé à la terre, et il demande aux dieux de vivre assez long-temps pour en être témoin. Ces vœux d'un poète sont modestes et touchants; mais cette aimable simplicité, cette modestie qui n'appartient qu'à la muse pastorale, n'exclut point l'enthousiasme qui se montre dans les vers suivants, où la muse de Virgile ne craint pas de défier Linus, Orphée et Pan lui-même. Madame Deshoulières a faiblement imité ce passage:

« Mais quand Louis-le-Grand anime mes chansons,
» Je le disputerais même aux dieux du Parnasse. »

On a pensé que Virgile faisait allusion, dans ce passage, au poëme de l'Eneide; cette opinion a elle-même quelque chose de poétique, et nous ne chercherons point à la combattre. Virgile ne prévoyait pas qu'il aurait à pleurer la mort du jeune Marcellus. Les vers du sixième livre de l'Eneide, où se trouve la fameuse apostrophe tu Marcellus eris, ar

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