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le triomphe d'un berger. Ce ne sont plus les nymphes mornes et silencieuses, ce sont les jeunes et folâtres dryades, dryada puellæ, qui se livrent à la joie; ce ne sont plus les troupeaux qui négligent les pâturages, ce sont les loups qui ont cessé de tendre des pièges aux brebis. Cette idée gracieuse peint très bien l'heureuse paix des campagnes ; cette paix a quelque chose de religieux et de sacré, et elle est l'ouvrage du bon Daphnis. On aime à voir terminer un pareil tableau par ces mots touchants: amat bonus otia Daphnis.

Ce qu'on doit le plus admirer ici, c'est le mélange heureux des idées les plus relevées et des idées les plus simples; l'éclat dont brille l'Olympe s'allie à l'aimable simplicité des bergeries; les dieux et les bergers se trouvent réunis dans le mème vers et dans la même image, sans que ni les uns ni les autres y paraissent déplacés. Le ton de cette poésie est à la fois plein d'élévation et de naïveté. Ces vers sont un des plus parfaits modèles du style pastoral.

Les montagnes et les forêts élèvent leur voix jusqu'au ciel et répètent en chœur, Daphnis est dieu, il est dieu. Cette idée est grande, le lecteur en est frappé; mais bientôt il sourit de voir les montagnes et les bois s'adresser, en quelque sorte, à Ménalque: Deus, Deus ille, MENALCA. L'hémistiche qui suit, sis bonus o felixque tuis, a quelque chose encore de plus tendre et de plus naïf; Daphnis est au rang des dieux, mais les hergers sont encore ses compagnons, ses amis; quelle aimable ingénuité dans ce mot tuis, c'est l'innocence pastorale avec tous ses charmes,

Némésien a voulu imiter ce passage de Virgile dans son églogue sur la mort de Mélibée. Nous citerons quelques vers de cette imitation :

Silvestris nunc platanus, Mœliboe, susurrat,
Te pinus; reboat te quidquid carminis echo
Respondet silvæ; te nostra armenta loquuntur.

Ces vers n'ont ni la grâce ni la naïveté de ceux de Virgile. Le chantre de Daphnis fait parler les forêts et les montagnes; cette fiction est naturelle; car les échos des bois et des rochers ont une voix qui prononce et répète dés discours; mais il n'est pas aussi naturel que les troupeaux parlent et célèbrent un berger. Il est vrai que Virgile, dans le tableau de la mort de César, se sert de la même expression, pecudesque locuta.

Et pour comble d'effroi les animaux parlèrent.

Mais il est facile de voir que l'auteur des Géorgiques a voulu frapper l'imagination par des prodiges sinistres, et qu'il a bien moins cherché à inspirer la pitié que la terreur. Némésien, au contraire, n'a pour but que d'émouvoir ses lecteurs, et il n'avait pas besoin pour cela de faire parler les troupeaux. Un défaut assez commun parmi les imitateurs, c'est de confondre des situations différentes, et de dénaturer les expressions les plus heureuses par une fausse application.

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Ce défaut de convenances se fait souvent remarquer le style de Némésien : ce poète, trop loué par Fontenelle, est d'ailleurs rempli d'invraisemblances et d'images forcées. Rien n'est plus empoulé que le début de l'apothéose de Mélibée. Un des interlocuteurs s'adresse à l'éther, principe de la nature, à l'océan, source de tous les étres, à la terre, mère des corps, à l'air, auteur de la vie; il les conjure de porter ses chants funèbres à Mélibée qui est dans les cieux. L'apothéose est presque tout entière du même ton.

Némésien n'a pas montré plus de jugement dans le choix de son héros; son Mélibée est un vieux berger, et cette idée n'est pas heureuse. Le berger de Virgile est beaucoup. plus intéressant; sa jeunesse moissonnée répand partout la désolation et le deuil. Les phénomènes que décrit le poète sont, en quelque sorte, motivés par l'âge de Daphnis: lorsqu'un homme expire à la fleur de ses ans, il semble que la nature interrompe ses lois; l'apothéose d'un jeune berger se trouve d'ailleurs naturellement liée à l'idée de l'innocente. joie, et les fleurs doivent naître comme d'elles-mêmes sur son tombeau; la mort de Mélibée, au contraire, n'a rien qui puisse émouvoir. La vie d'un simple pasteur n'est point assez remplie d'évènements pour que son nom s'accroisse par les années, et les grâces de la jeunesse ne peuvent être compensées par une expérience sans gloire. Un vieux berger ne saurait être pleuré par les nymphes; lorsqu'il a terminé sa carrière, la nature n'a point changé ses lois; son nom ne réveille point l'idée des fleurs, et son apothéose n'a rien que de triste, La vieillesse ne fournit aucune des

images riantes et gracieuses dont s'embellit la muse pas

torale.

7) PAGE 186, VERS 15.

Et multo in primis hilarans convivia baccho,
Ante focum, si frigus erit, si messis, in umbrâ,
Vina novum fundam calathis Ariusia nectar:
Cantabunt mihi Damotas...

Daphnis n'est plus un berger, c'est un dieu, non un dieu enfanté par la crainte, mais un simple mortel placé dans l'Olympe par la reconnaissance et l'amitié. La joie la plus douce respire dans ces vers; une aimable gaîté s'y mêle à tout ce que le cœur a de plus tendre et de plus affectueux.

L'épithète hilarans nous montre la physionomie du buveur qui se déploie à l'aspect de la liqueur qui tombe dans la coupe; frigus et messis varient heureusement le lieu de la scène, et font voir l'attachement durable des bergers pour les mânes de Daphnis. Toutes les saisons lui seront consacrées; on lui offrira toutes les richesses des champs; on célébrera sa mémoire par tous les plaisirs innocents des bergeries. Tout ce tableau est plein de vérité et de sentiment; il est impossible de n'en être pas touché, et le lecteur ne peut mieux exprimer son admiration, qu'en adressant à Virgile lui-même ce que Mopsus dit à Mélibée. « Vos » chants sont plus doux que le souffle dú zéphyr; le mur» mure des flots qui caressent leur visage nous charme » moins que vos vers, l'oreille en est plus flattée que du » bruit d'un ruisseau qui s'échappe sur un lit de cailloux. ».

8) PAGE 188, VERS 6.

Damnabis tu quoque votis.

Cet hémistiche est du petit nombre des vers de Virgile qui ne présentent pas un sens sur lequel tout le monde soit aujourd'hui d'accord. Les mêmes expressions ont été souvent employées par le poète latin, et la répétition des mêmes mots aurait dû déterminer leur signification. Virgile dit dans les Géorgiques :

Votaque servati solvent in littore nautæ.

et dans l'Eneide:

Vota deum primo victor solvebat Eoo.

Pour entendre le sens de ces vers, je crois qu'il faut remonter aux usages des anciens. Les vœux n'obligeaient à rien, s'ils n'étaient suivis du succès; mais quand le dieu invoqué les avait exaucés, on était forcé de les accomplir; jusqu'à ce qu'on s'en fût acquitté, on était, votis reus, ce qui signifie oblige. Le dieu mettait dans l'obligation de remplir le vœu; damnabat voto. C'est dans ce sens qu'il faut entendre le passage de Virgile qui vient d'être cité: cette manière de s'exprimer avait été conservée dans les formules des lois. Les anciens tabellions, en rédigeant les conventions d'un contrat entre les parties, ajoutaient: et

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