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heureuses; elles sont pour notre esprit de jeunes femmes, et elles sont des génisses pour nos yeux; cette double existence est dans ces mots : falsis mugitibus. Cette opposition est heureusement continuée dans les vers suivants. Chacune de ces filles de Prœtus prend une nouvelle forme sans perdre ses sentiments; elle connaît tout son malheur; elle sent avec effroi une corne sur son front naissant, et elle tremble d'être soumise au joug. Ces images expriment à la fois la douleur et l'étonnement, et donnent beaucoup de grâce et de variété au tableau de Virgile.

Le poète peint ici un crime honteux sans alarmer la pudeur; le mot de concubitus paraît avoir été renvoyé à dessein au vers suivant; ce mot donne l'idée d'un crime odieux, et il est prononcé le dernier; il est comme caché dans un autre vers. Turpes pecudum concubitus est très difficile à rendre en français; Racine, lui seul, a trouvé le secret de rendre des idées licentieuses d'une manière chaste. Dans Britannicus, Agrippine dit, en parlant de Claude,

Je lui laissai sans fruit consumer sa tendresse.

On pourrait citer beaucoup de traits semblables dans le rôle de Phèdre:

Hélas! du crime affreux dont la honte me suit,
Jamais mon triste cœur n'a recueilli le fruit.

Racine a su nous attacher à l'amour incestueux de Phèdre

par un style inimitable; Virgile nous intéresse de même au malheur d'une femme criminelle; il désigne d'abord son crime d'une manière vague: fortunatam, si numquam armenta fuissent. Ce vers, qui ne rappelle que l'idée d'un malheur, excite la pitié; la compassion est encore excitée par cette exclamation touchante: Ah! virgo infelix; virgo ne veut pas dire ici vierge, puisque Pasiphaé était l'épouse de Minos, mais une femme dans l'éclat de la jeunesse et de la beauté. On a pu remarquer que Silène répète les mêmes termes que Corydon dans la deuxième églogue, quæ te dementia cepit. Le poète nous montre ainsi le délire de Pasiphaé, et nous dispose en même temps à plaindre sa coupable

erreur.

PAGE 210, VERS 15.

Ah! virgo infelix, tu nunc in montibus erras:
Ille, latus niveum molli fultus hyacintho,
Ilice sub nigrå pallentes ruminat herbas,
Aut aliquam in magno sequitur grege.

La répétition de l'exclamation: ah! virgo infelix, est touchante, et sert à caractériser l'aveuglement d'une passion désordonnée. Virgile achève de peindre les tourments de Pasiphaé, en peignant la tranquille indifférence de celui qu'elle aime; rien n'est plus doux et plus gracieux que ce vers: Ille, latus niveum molli fultus hyacintho. Rien n'exprime mieux la froide tranquillité de l'amant quadrupède

que le vers suivant: Ilice sub nigrá pallentes ruminat herbas. Quelle délicatesse d'ailleurs dans ce tableau ! Virgile ne nomme point le taureau; le pronom ille lui suffit pour le désigner. Le poète ne désigne pas plus clairement la génisse qui est la rivale de Pasiphaé. Aut aliquam in magno sequitur grege, présente une image ingénieuse et pittoresque; l'apostrophe que Silène fait aux nymphes, au nom de Pasiphaé, achève de peindre le délire de la passion.

Malgré la délicatesse et la grâce décente de cette peinture, des critiques sévères ont reproché à Virgile d'avoir traité un pareil sujet. Il y a loin en effet des idées sublimes de la création du monde, à celles des amours de Pasiphaé; mais il ne faut pas oublier que la passion de Pasiphaé était une punition de Vénus, et que Virgile la représente à la fois comme malheureuse et coupable. Les amours de la femme de Minos devaient être célèbres dans les bergeries, à cause de leur objet, et le récit de Silène, fait avec les convenances prescrites, n'est point déplacé dans une églogue. Les poètes modernes ne prendraient point sans doute un pareil sujet, mais l'amour de Pasiphaé se liait à la mythologie des anciens. Les dieux qu'ils adoraient, leur offraient souvent des exemples plus scandaleux, et l'on devait peu s'étonner de voir Pasiphaé rivale d'une génisse, lorsque le maître de l'Olympe s'était lui-même changé en taureau pour enlever Europe.

Moschus a fait sur l'enlèvement d'Europe une idylle dont les images ne sont pas moins gracieuses et moins décentes que celles de Virgile. La jeune princesse avec ses compagnes cueillait des fleurs dans une prairie. Le dieu du tonnerre,

métamorphosé en taureau, se présente à ses yeux, se couche à ses pieds, et retournant la tête pour la regarder, lui montrait en même temps son large dos... « ô venez, mes chères »compagnes, s'écria Europe, essayons par amusement de » nous asseoir sur le dos de cet animal qui semble si doux ; »> nous pouvons y être toutes assises comme sur un navire...>> Elle s'assied en riant. Les autres allaient l'imiter, mais le taureau se lève brusquement, emporte la princesse, court vers la mer... Il est déjà sur les eaux, au milieu des flots; il s'avance, semblable à un dauphin.....; la princesse, toujours assise sur le divin taureau, se tenait d'une main à l'une de ses cornes, et de l'autre main elle abaissait sa robe de pourpre jusqu'à en mouiller les bords dans l'onde agitée. Son voile, gonflé par les vents, ressemblait à une voile de navire, et

paraissait la soulever, etc.

"PAGE 212, VERS 6.

Tum canit Hesperidum miratam mala puellam.
Tum Phaethontiadas musco circumdat amaræ
Corticis, atque solo proceras erigit alnos.

Tum canit errantem Permessi ad flumina Gallum
Aonas in montes ut duxerit una sororum :

Utque viro Phœbi chorus assurrexerit omnis...

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Virgile saisit ici l'occasion de mettre l'éloge de Gallus dans la bouche de Silène; la louange en est plus délicate. Il fait lever, à son aspect, la cour d'Apollon: cet honncur fut

de tout temps réservé aux poètes, aux rois et aux héros. Homère fait lever les dieux à l'arrivée de Jupiter et de Junon. Patrocle se lève devant Ulysse. Les anciens tenaient beaucoup à cette marque de déférence. Eutrope attribue le meurtre de César au dépit qu'eurent les sénateurs de ce qu'il ne s'était point levé pour recevoir le sénat. Lorsque l'empereur entrait au théâtre, tout le peuple romain se levait. Le peuple rendit un jour le même honneur à Virgile, Auguste même se leva comme les simples citoyens cet hommage unique rendu au génie, prouve que Virgile n'eut point de rivaux, et fut regardé même de son vivant, comme le prince des poètes latins.

Ce que Virgile dit de Gallus fait supposer que ce dernier avait composé quelques poésies sur l'agriculture, et dans le genre de la Theogonie d'Hésiode; il ne nous reste de Gallus qu'une seule élégie, dont le mérite nous fait regretter ce que nous avons perdu, mais où l'on ne trouve d'ailleurs ni la verve de Properce, ni la sensibilité de Tibulle, ni l'élégance d'Ovide. Les louanges données par le génie ne prouvent pas toujours tout ce qu'elles disent. Horace et Boileau lui-même ont été quelquefois plus indulgents qu'il ne convenait pour des talents dont on a reconnu la médiocrité. Nous avons vu avec quelle facilité Voltaire rendait l'encens qu'on lui prodiguait; il a nommé dans ses pièces fugitives une douzaine d'héritiers, mais aucun d'eux n'a recueilli la succession.

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