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que celle

été mendiant, Démosthènes forgeron, et qu'Abdolonime n'eût pas été jardinier avant d'être fait roi de Sidon par Alexandre! C'est assurément une grande autorité de M. de Voltaire; mais il semble qu'il devait, plus que personne, n'attacher de prix qu'au mérite personnel, et qu'en faisant de pareils reproches, l'auteur du commentaire sur Corneille pouvait leur trouver une réponse satisfaisante dans ces beaux vers qu'il ne devait pas oublier:

Un
pur hasard sans nous règle notre naissance,
Mais comme le mérite est en notre puissance,
La honte du destin qu'on voit mal assorti,

Fait d'autant plus d'honneur, quand on en est sorti.
(CORNEILLE.)

Quoi qu'il en soit, il paraît qu'Octave, convaincu de la science de Virgile sur la race des animaux, s'imagina qu'il pouvait avoir d'égales notions sur l'origine des hommes. Cette opinion doit peu surprendre, en reconnaissant que les Romains étaient le plus ignorant de tous les peuples sur ce qui concerne les causes naturelles. Le jeune poète fut donc jugé digne d'être présenté au maître de Rome comme un physicien très habile.

Octave avait la faiblesse de ne pouvoir oublier les satires et les lettres injurieuses d'Antoine, dans lesquelles il lui avait reproché la bassesse de son origine, faisant entrer, à ce que dit Suétone, un cordier, un copiste et un boulanger dans la liste de ses ancêtres. Ce fut dans l'espérance d'éclaircir ses doutes qu'il fit appeler Virgile, et lui demanda s'il

savait qui il était, et quelle puissance il avait pour assurer le bonheur des hommes ? « Je sais, lui dit Virgile, que tu es » César, et que ta puissance égale celle des dieux immortels. >> « Je te veux du bien, lui dit le triumvir, et, si tu m'éclaires » sur la vérité que je veux connaître, je prendrai soin de ta » fortune. » Virgile protesta de sa soumission. « Les uns pen» sent, reprit César, que je suis fils d'Octave, les autres pu» blient qu'un autre père m'a donné le jour : éclaircis mes >> doutes. >> Virgile, étonné par le sérieux d'une question si positive et si bizarre, répondit en souriant : « je dirais fran>> chement ce que je pense, mais je souhaiterais que la per» mission m'en fût accordée. » César l'assura par serment qu'il ne s'offenserait d'aucune de ses réponses, et qu'au contraire, de quelque nature qu'elle fût, il ne sortirait pas de sa présence sans recevoir un témoignage de sa libéralité. Virgile alors se crut autorisé à jouer un rôle auquel il se voyait forcé par la circonstance. Il se mit à contempler attentivement le visage du triumvir, et lui dit, en affectant la gravité la plus naturelle « Il est aisé, noble César, au philosophe, comme » au mathématicien, de connaître la race des animaux; mais » celui qui prétendrait, à la seule inspection, deviner celle » des hommes, ne serait qu'un imposteur. En réfléchissant >> toutefois sur vos habitudes, elles me suggèrent une opi» nion, bien hasardée sans doute, mais qui conviendrait à >> la profession que l'on pourrait supposer à votre père. » César, piqué par une curiosité plus vive, le pressa de la satisfaire. « Autant que mes conjectures l'autorisent, lui dit » enfin Virgile, j'oserais vous croire le fils d'un boulanger. »

Octave étonné cherchait en lui-même comment une pareille origine pouvait être la sienne, et, toujours frappé des sarcasmes d'Antoine, il crut ce propos analogue aux bruits. injurieux qu'il avait répandus. Virgile continuant son discours, rendit son interprétation moins inquiétante. «Voici, » dit-il, ce qui fonde mon opinion: je me suis permis deux » fois sur la race de vos chevaux et des chiens de vos équi>> pages des prédictions que le temps a justifiées; Octave, >> alors maître de Rome, ne m'a fait donner chaque fois » pour toute récompense, qu'un surcroît de rations de >> pain: n'est-ce pas ainsi qu'un boulanger dispenserait ses » faveurs? » Cette plaisanterie, dont plus d'un souverain aurait pu s'offenser, eut le bonheur de réussir auprès d'Octave, soit que ce fût de sa part une preuve de bon esprit, ou seulement parce qu'elle dissipa son inquiétude. « A l'a>> venir, lui dit César avec bonté, tu reconnaîtras à mes » dons qu'ils ne sont pas ceux de l'artisan dont tu me fais » descendre, mais du magnanime héritier de César. » L'effet suivit la promesse : dès ce moment il le combla de marques d'estime, pourvut à ses besoins, et le recommanda particulièrement à Pollion, lieutenant des provinces où se trouvaient les modestes possessions de sa famille.

Virgile, entouré des protecteurs que lui procura naturellement la faveur d'Octave, honoré de l'amitié de Mécène de Varus, de Pollion et de Gallus, se trouva sans inquiètude du côté de la fortune, et se livra, plus que jainais, au commerce des muses. Il abandonna le barreau, malgré ses succès dans plusieurs causes, et s'occupa quelque temps de

l'idée brillante et hardie de composer un poëme sur les guerres civiles de Rome; mais on a lieu de croire qu'après quelques essais il recula devant la difficulté de concilier, avec une poésie harmonieuse, la rudesse et l'âpreté des vieux noms romains et de leurs alliés. (1). Il pensa ce que Boileau disait de l'effroyable Woerden et de son horrible Wurtz.

Et qui peut sans frémir aborder Woerden!

Wurtz... Ah! quel nom, grand roi, quel Hector que ce Wurtz!

C'est à ce projet de poëme que Virgile fait allusion dans les vers de sa sixième pastorale, où il prétend que, pour le détourner de son entreprise, Apollon le tira par l'oreille,

et l'avertit de sa faiblesse:

Cùm canerem reges et prælia, Cynthius aurem
Vellit, et admonuit.

« J'ai voulu des héros célébrer les hauts faits,

» Mais me tirant l'oreille et me parlant en maître,

» Reprends, me dit Phebus, un ton simple et champêtre.

Les beautés naturelles et la grâce des idylles de Théocrite firent encore plus d'impression sur Virgile que l'avertissement d'Apollon. Il eut la généreuse ambition de rivaliser

(1) Il n'était pas facile en effet de placer heureusement en vers jes noms de Piccarius Scarpus, Decius Mus., Zygactes, Rhasq, Chizico, Vibius, Caudex, Ranaquil, Tarcon, Dimot, AlGaud, ni même Hirtius, Pansa, etc., etc.

avec le chantre de Sicile, et d'enrichir les lettres romaines. d'un nouveau genre de poésie. Il reprit en effet celui de la pastorale. Différents essais de cette nature, anciennement publiés, et surtout deux idylles déjà couronnées d'un brillant succès, le confirmèrent dans cette résolution. Il est infiniment probable que la première de ces compositions fut le morceau plein de sentiment, de passion et de poésie, connu sous le nom d'Alexis. On présume qu'il avait paru l'an 709, quelque temps avant l'assassinat de César, époque à laquelle le jeune Virgile avait vingt-cinq ans. On regarde comme la seconde, la dispute des deux bergers qui prennent Palémon pour juge.

Après ces deux pastorales, on place au troisième rang, dans l'ordre chronologique, l'admirable poëme intitulé Silène, et que l'on peut regarder comme un hymne sublime, quoiqu'en dise Fontenelle qui ose mettre au-dessus de ce chef-d'œuvre l'imitation bizarre qu'en a faite Némésien (1). On assure que cet admirable tableau de la philosophie d'Épicure, enrichi des plus aimables fictions de la mythologie, fut récité en public, au théâtre, par la célèbre comédienne Cythéris, qui se distinguait surtout par un organe enchanteur et par la justesse de sa déclamation. C'est à sa

(1) II y représente le jeune Bacchus prenant plaisir à aplat avec son pouce le nez déjà très écrasé de Silènc.

Et simas tenero collidit pollice nares,

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