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pagnes ne répétèrent plus les jeux de mots et les pointes des Italiens. Bientôt les anciens furent mieux connus; on reprit Théocrite et Virgile pour modèles; ces grands maîtres ne firent, il est vrai, que des élèves médiocres dans le genre bucolique, mais ils empêchèrent les poètes de revenir aux extravagances champêtres, qui avaient fait l'admiration du siècle précédent.

C'est ici qu'il faut rendre hommage à la sagesse des anciens; ils portèrent partout le flambeau de la raison dans les arts, et si leur autorité n'avait pu être opposée au débordement du mauvais goût, il est certain que nous serions livrés aujourd'hui à tout ce que le délire de l'esprit humain peut enfanter de monstrueux et de bizarre. En imitant fidèlement la nature, ils ont été pour nous comme une nature nouvelle dont les modernes n'ont point osé s'écarter, et ceux qui ont suivi d'autres modèles que l'antiquité, sont condamnés d'avance à ne jamais devenir eux-mêmes des anciens. Mme. Deshoulières qui écrivait ses idylles au moment où les bergeries héroïques commençaient à être décriées, n'osa point imiter ceux qui l'avaient devancée dans la carrière; elle n'imita point non plus les anciens, par la raison que les mœurs étaient changées, et que nos bergers ne ressemblaient plus à ceux de Théocrite et de Virgile. Elle s'adressa le plus souvent aux fleurs, aux ruisseaux, aux moutons, et elle leur prêta nos sentiments et nos mœurs, ce qui n'était conforme ni à la nature, ni à la vérité. Fontenelle qui vint ensuite, et qui n'aimait point les anciens, se garda bien de les prendre pour modèles, pour la vérité

des sentiments, pour le naturel du style. Il mit de nouveau la galanterie à la place de l'amour, et la métaphysique à la place de la passion. J.-B. Rousseau a dépeint ainsi les bergers de Fontenelle :

Ils savent seulement chanter sur leurs hautbois
Je ne sais quel amour inconnu dans nos bois,
Tissu de mots brillants où leur esprit se joue,
Badinage affecté que le cœur désavoue;
Enfin, te le dirai-je, ô mon cher Palémon!

Nos bergers n'ont plus rien de berger que le nom.

Depuis Fontenelle, les muses françaises n'ont fait aucune tentative remarquable pour ressusciter le genre bucolique; on peut dire que la poésie pastorale, née du génie de Théocrite et de Virgile, est morte sous la plume de l'académicien bel esprit, semblable à ces plantes étrangères qui naissent sous un beau ciel, et qui, transportées à grands frais dans un autre climat, végètent à peine dans une serre chaude, ne se soutiennent qu'à force d'art, et périssent enfin entre les mains d'un jardinier mal habile.

Nous avons pensé que ces réflexions ne seraient point déplacées dans nos remarques. Nous allons revenir au poète latin. L'exposition de cette églogue est simple, claire et rapide. D'un seul trait le poète a peint les acteurs, le lieu de la scène, et l'auditoire encore étonné des sons ravissants qui vont être répétés au lecteur. Virgile est si sûr de l'impression qu'il a faite par son début, qu'il ne daigne pas sur

le champ entrer en matière, et qu'il entreprend de louer Pollion, avant de nous redire les chants des bergers. Il a parlé des miracles de l'harmonie ; sa muse est animée par ce qu'il vient de dire, et il se hâte de profiter de ce mo、 ment d'inspiration, pour exprimer son admiration et sa reconnaissance.

"PAGE 260, VERS 6.

Tu mihi, seu magni superas jam saxa Timavi,
Sive oram Illyrici legis æquoris; en erit umquam
Ille dies, mihi cùm liceat tua dicere facta ?
En erit, ut liceat totum mihi ferre per orbem
Sola Sophocleo tua carmina digna cothurno?
A te principium; tibi desinet: accipe jussis
Carmina cœpta tuis, atque hanc sine tempora circum
Inter victrices hederam tibi serpere lauros.

On remarque dans cet éloge de Pollion quelque chose d'affectueux qui rend la louange plus délicate, et qui dispose le lecteur à y ajouter foi: celui qui sait le mieux louer, est celui qui fait aimer ceux qu'il loue; c'est le talent de Virgile, soit qu'il célèbre la gloire de Pollion et de Mécène, soit qu'il chante les bienfaits d'Auguste. Rien n'est plus touchant que le vœu formé par Virgile. Il n'a pas l'air de louer son héros, il se contente de dire : quand viendra le jour où je pourrai célébrer vos hauts faits, quand pourrai-je répéter au monde entier vos vers dignes de Sophocle? Rien

n'est plus délicat que cette louange, et ceux qui se mêlent de louer devraient étudier Virgile plus qu'ils ne le font. Ils y trouveraient des modèles de grâce et de politesse, comme les littérateurs y trouvent des modèles de poésie ; ils y trou veraient surtout ce sentiment des convenances qui tient toujours lieu de la vérité, et ce ton persuadé qui désarme presque toujours la critique et l'envie; les louanges de Virgile ne blessent pas la raison la plus sévère, parce qu'elles sont sans enflure, et qu'elles semblent l'expression d'un sentiment. Tous ceux qui exagèrent la louange la démentent, et l'exagération en tout genre est le mensonge de ceux qui

ne sentent rien.

Cet éloge de Pollion n'est pas seulement remarquable par la délicatesse des sentiments, mais par l'art du style et la beauté des vers. Quand Virgile parle de son héros, il se sert d'expressions pompeuses: tu mihi, seu magni superas jam saxa Timavi; quand il parle de lui-même il prend un ton simple et modeste : en erit umquam ille dies, mihi cùm liceat tua dicere facta. Sa muse semble s'être reposée, ét elle prend de nouveau un essor élevé, quand elle revient à Pollion. Rien n'est plus pompeux que les vers qui suivent :

Ut liceat totum mihi ferre per orbem

Sola Sophocleo tua carmina digna cothurno?

Ces vers qui donnent une haute idée du génie de Pollion, caractérisent en même temps le génie de Sophocle, dont le style est grand et majestueux. Virgile finit par dédier cette

églogue à Pollion, et il le fait avec une adresse ingénieuse. Il le conjure d'accepter cet hommage des muses champêtres, et de placer un bouquet de lierre entre les lauriers du vainqueur. Le mot hederam est adroitement placé et presque eaché entre ceux-ci : victrices et lauros.

"PAGE 262, VERS 7

Mænalus argutumque nemus pinosque loquentes.
Semper habet; semper pastorum ille audit amores,
Panaque, qui primus calamos non passus inertes.
Incipe Manalios mecum mea tibia, versus,

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Le premier vers est harmonieux et sonore; on y entend presque les échos qui se répondent. Le berger donne l'idée la plus poétique des bois du Ménale; ces bois, que le dieu Pan remplit de ses accents divins, « écoutent sans cesse les >> amours des pasteurs,» semper pastorum ille audit amores. Dans le premier vers, c'est le Ménale qui se fait entendre ; dans le second, c'est la forêt qui écoute. Telles sont les images qui doivent caractériser la poésie. Elle prend rarement les choses à la lettre, et elle ne vit que d'erreurs et d'illusions, même en disant la vérité. Tout le monde connaît l'Ève de Milton; lorsqu'elle se réveille pour la première fois à la vie, elle s'étonne de tout ce qui l'environne; elle s'étonne d'elle-même; elle écoute le bruit d'une source; elle croit voir dans l'onde un être semblable à elle; elle ne

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