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sait rien; elle n'a rien approfondi; elle ne connaît des objets que les impressions qu'elle en reçoit ; partout son regard est ébloui, et son ame est dans l'enchantement. Telle est la poésie. Elle n'approfondit ni les effets ni les causes; elle est vivement frappée des objets qui l'entourent; elle ne voit que ce que l'imagination lui fait voir; le monde est pour elle comme une féerie continuelle; l'illusion embellit et anime tout à ses yeux; lorsqu'elle entend les échos d'une forêt, elle croit entendre la forêt elle-même; lorsqu'elle raconte ses chagrins au désert, le désert a une âme pour s'attendrir avec elle et une voix pour lui répondre. Son ignorance fait tout son charme, et ses erreurs mêmes sont les plus doux de ses attraits. Aussi n'exerce-t-elle son influence que dans les siècles où l'esprit humain ne cherche point à tout approfondir; elle n'est plus rien dans les siècles où l'on se vante de tout connaître : les esprits sont alors moins capables de l'apprécier, et elle n'a plus ses vives images, parce qu'elle n'a plus ses illusions. Dans le siècle de l'imagination, c'est Ève, vêtue et parée de son innocence; dans le siècle de l'analyse, c'est encore Ève, mais c'est Ève après sa chute, c'est Ève qui a touché à l'arbre de la science, et qui a perdu sa beauté en perdant son ignorance et sa candeur,

Ces observations ne seront pas inutiles; elles serviront à faire connaître le caractère distinctif de la poésie, et elles feront mieux apprécier celle de Virgile.

3) PAGE 262, VERS II.

Mopso Nisa datur! quid non speremus amantes?
Jungentur jam gryphes equis, ævoque sequenti
Cum canibus timidi venient ad pocula damæ.

Le verbe speremus est pris ici en ironie, et cette ironie indique assez quel est le sens du couplet; il est dirigé tout entier contre Mopsus. Quelques commentateurs y ont vu l'expression de la douleur, nous n'y voyons que l'expression de la colère. Lorsqu'un homme est trahi en amour, il hait bien plus son rival qu'il n'aime sa maîtresse, et il doit commencer par exprimer sa haine, parce que la haine est ce qui l'occupe le plus.

Dans la seconde églogue de Segrais qui a imité Virgile, Eurilas se plaint bien moins de Timarette que de Damon son rival :

Timarette à Damon a pu donner son cœur!
A Dainon, Timarette! ô le digne vainqueur!
Amants, jamais de rien ne perdez l'espérance;
Amants, jamais en rien ne prenez d'assurance.
Les tigres sous le joug aux bœufs s'accoupleront;
La biche et l'ours affreux désormais s'aimeront;
L'amoureuse colombe, au hibou voulant plaire,
Deviendra comme lui nocturne et solitaire;

Et, par la paix unis, nos loups et nos agneaux
Ensemble viendront boire aux rivages des eaux.

4 PAGE 264, VERS 6.

Sæpibus in nostris parvam te roscida mala,
Dux ego vester eram, vidi cum matre legentem;
Alter ab undecimo tum me jam ceperat annus,

Jam fragiles poteram a terrâ contingere ramos :
Ut vidi, ut perii, ut me malus abstulit error!
Incipe Mænalios mecum, mea tibia, versus.

L'idée de ce couplet est prise de l'idylle grecque de Polyphème. Théocrite fait dire au cyclope: « Sans cesse je » me rappelle le jour où tu vins avec ta mère cueillir sur » la montagne des fleurs d'hyacinthe. C'était moi qui vous » conduisais ; je te vis alors pour la première fois ; je te vis » et je t'aimai. Depuis ce moment je languis, et je me con» sume sans que tu sois touchée de mes maux. » Ce morceau a beaucoup de grâces, mais on n'y retrouve point la naïveté passionnée qui règne dans celui de Virgile. C'est dans le jardin paternel que Damon a rencontré Nise pour la première fois, sæpibus in nostris. Ce n'est point lui qui a été la chercher; elle est venue le chercher elle-même ; elle était petite (parvam). Cette circonstance est très intéressante, et elle annonce une passion qui date de loin. Quelle grâce ingénue dans ces mots placés au milieu de la phrase: dux ego vester eram. Ne semble-t-il pas voir le jeune Damon marcher avec fierté devant Nise et sa mère, et leur indiquer avec joie les fruits les plus beaux du verger. Cette naïveté devient encore plus aimable, lorsqu'on

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apprend que Damon n'était qu'un enfant, et qu'il pouvait à peine atteindre les branches des arbres. On retrouve quelque chose de cette grâce ingénue et naïve dans cés vers qui sont imités de Virgile:

Il m'appelait ma sœur, je l'appelais mon frère :
Nous mangions même pain au logis de mon père.

Il me passait d'un an, et de ses petits bras
Cueillait déjà des fruits dans les branches d'en bas.
(Bergeries de Racan.)

Rien n'est plus touchant qu'une passion qui a commencé dans l'âge de l'innocence et de la candeur.

Les héros du roman grec de Longus sont deux enfants; s'il les avait pris dans un âge plus avancé, leurs amours nous auraient inspiré moins d'intérêt. On les suit dans leurs jeux, et leur passion nous touche, parce qu'elle est innoeente. Quelle gràce dans ce tableau !

«< Or estoit-il lors environ le commencement du prin>> temps que toutes fleurs sont en vigueur, celles des bois, >> celles des prez, et celles des monteignes, aussi jà com» mençoyent les abeilles à bourdonner, les oyseaux à ros» signoler, et les aigneaux à sauteler, les petits moutons » bondissoient par les monteignes, les mouches à miel » murmuroient par les prairies, et les oyseaux faisoient re» sonner les buissons de leurs chantz. Ainsi ces deux jeunes » et délicates personnes voyans que toutes choses faisoyent » bien leur devoir de s'esgayer à la saison nouvelle, se

» mirent pareillement à imiter ce qu'ilz voyoient et qu'ilz » oyoient aussi : car oyans chanter les oyseaux, ilz chan» toient; voyans saulter les aigneaux, ilz saultoient: et, » comme les abeilles, alloyent cueillans des fleurs, dont ilz » jettoient une partie en leurs seins, et de l'autre faisoient » de petits chapeletz, qu'ilz portoient aux nymphes, et >> faisoient toutes choses ensemble, paissans leurs troupeaux » l'un auprès de l'autre. »

On aime à voir réuni dans ce tableau tout ce que la jeunesse de l'année et tout ce que l'enfance de l'homme ont de plus gracieux et de plus attachant. Bernardin de SaintPierre, dans son roman de Paul et Virginie, qui peut être regardé comme une pastorale, nous a peint ainsi la passion naissante de deux enfants. L'innocence prête tous ses charmes aux jeunes amants dont il nous raconte les amours et les malheurs << Lorsqu'ils surent parler, les premiers noms » qu'ils apprirent à se donner furent ceux de frère et de » sœur; l'enfance qui connaît des caresses plus tendres, >> ne connaît point de plus doux noms. Leur éducation ne >> fit que redoubler leur amitié, en la dirigeant vers leurs >> besoins réciproques. Bientôt tout ce qui regarde l'écono» mie, la propreté, le soin de préparer un repas cham>> pêtre, fut du ressort de Virginie, et ses travaux étaient » toujours suivis des louanges et des baisers de son frère. » Pour lui toujours en action, il bêchait le jardin avec » Domingue, ou, une petite hache à la main, il le suivait » dans les bois ; et si, dans ses courses, une belle fleur, » un bon fruit ou un nid d'oiseaux se présentaient à lui,

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