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>> eussent-ils été au haut d'un arbre, il l'escaladait pour les » apporter à sa sœur. »

Virgile s'attache d'abord à peindre l'innocence d'un premier amour; tout est simple et gracieux dans son tableau ; l'amour se montre ensuite tout à coup avec toute sa force dans ce vers passionné: ut vidi, ut peri, ut me malus abstulit error. Tel est l'effet d'une impression subite, effet qui doit durer autant que la vie du berger. Labruyère a dit que l'amour qui naissait subitement était le plus long à guérir. Il est aussi le plus violent, comme on le voit dans ces paroles de Phèdre, qui sont la paraphrase du vers de Virgile:

Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue :
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue;

Mes yeux ne voyaient plus; je ne pouvais parler;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler :
Je reconnus Vénus....

5 PAGE 264, VERS 12.

Nunc scio quid sit Amor. Duris in cotibus illum
Aut Tmaros, aut Rhodope, aut extremi Garamantes,
Nec generis nostri puerum, nec sanguinis, edunt.

Nunc et oves ultro fugiat lupus; aurea duræ
Mala ferant quercus ; narcisso floreat alnus ;
Pinguia corticibus sudent electra myricæ.

Après nous avoir intéressés à ses sentiments, après nous

les avoir peints revêtus de toutes les grâces de l'innocence, et dans toute la vivacité du premier âge, le berger a le droit de se plaindre du tourment auquel il est condamné. L'injustice qu'on lui fait est criante; le lecteur est disposé à partager son chagrin, et c'est alors que sa douleur éclate, qu'elle n'a plus de bornes, et qu'il ne met plus de modération à ses plaintes. Ces mots : nunc scio quid sit Amor, sont une transition heureuse; l'exclamation est touchante, et elle amène les imprécations contre l'amour. L'amour n'est plus un enfant innocent et naïf, c'est un monstre cruel sorti des rochers de l'Ismare ou du Rhodope. Puisque Nise a trahi sa foi, il n'est plus rien de stable dans la nature; le loup fuira les brebis ; les chênes porteront les fruits du pommier, le narcisse fleurira sur l'aune, etc. Ainsi raisonne la passion qui ne voit qu'elle dans l'univers. Ces images sont imitées de Théocrite, et elles ne sont pas moins vraies dans le poète latin que dans le poète grec. Il est certain que les objets ne nous paraissent pas toujours sous la même forme; ils changent souvent d'aspect au gré de nos affections. Lorsque nous sommes tristes, nous ne voyons pas la nature du même œil que lorsque nous sommes heureux et contents. Lorsque nos sentiments changent, le monde change avec eux; lorsque le cœur a perdu ce qu'il aime, il semble que la nature ait aussi perdu quelque chose. Théocrite et Virgile n'ont fait qu'exprimer cette vérité, et c'est dans le cœur humain qu'ils ont pris leurs images.

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La seconde partie de cette églogue est imitée de la troisième idylle de Théocrite. Racine regardait l'idylle grecque comme une des plus belles pièces de l'antiquité; ce qui plaisait à Racine, dut avoir aussi des attraits pour Virgile qui avait la même manière de sentir; mais il s'en faut de beaucoup que l'imitation qu'il a faite ait les mêmes beautés que le chef-d'œuvre qu'il a pris pour modèle. Le poète latin n'a rendu que les cérémonies magiques ; il a laissé à Théocrite l'avantage d'avoir exprimé le sentiment et la pas sion. Dans Virgile, on ne connaît point les personnages; la femme qui a recours au sortilège n'y est caractérisée d'aucune manière; le nom de Daphnis est répété à chaque couplet, mais le lecteur n'en est pas plus avancé. Il est impossible de s'intéresser à des personnages qu'on ne connaît point. Dans Théocrite, on voit d'abord une femme entraînée par une passion ardente; elle raconte l'origine et les progrès de son amour; elle en fait connaître l'objet ; elle dit comment elle a vu Delphis, comment elle l'a aimé éperdûment, comment il est devenu infidèle. On s'intéresse au sort de cette passion, parce qu'on la connaît; on s'intéresse au retour de Delphis. La description des cérémonies magiques est, en quelque sorte, animée par la chaleur du

sentiment; les idées superstitieuses se mêlent sans cesse aux idées de l'amour; elles se prêtent un charme et une force mutuelle. «< Regarde, dit l'enchanteresse de Théocrite, la » mer se tait, les vents gardent le silence, mais l'amour ne » se tait jamais au fond de mon cœur ; je brûle tout en>> tière pour Delphis, Delphis qui m'abusa par le saint nom d'épouse, et qui m'abandonne aujourd'hui à la douleur » et à l'opprobre. » Virgile n'a point rendu cette idée dans son églogue, mais il l'a imitée dans le quatrième livre de 1 Énéïde, où il a surpassé Théocrite:

>>

La nuit avait rempli la moitié de son cours;
Sur le monde assoupi régnait un calme immense;
Les étoiles roulaient dans un profond silence;
L'aquilon se taisait dans les bois, sur les mers;
Les habitants des eaux, les monstres des déserts,
Des oiseaux émaillés les troupes vagabondes,

Ceux qui peuplent les bois, ceux qui fendent les ondes,
Livrés nonchalainment aux langueurs du repos,

Endormaient leurs douleurs, et suspendaient leurs maux :
Didon seule veillait....

Dans un autre passage, l'enchanteresse de Théocrite ne s'exprime pas d'une manière moins passionnée. « Oui, je » le sens, les forges mêmes de Lipare ne sont point em>> brasées d'un feu plus violent que celui de l'amour; l'hon »> neur, la raison, tout se tait devant l'amour : livrée à ses » transports, la vierge innocente s'arrache des bras de sa » mère, et l'épouse nouvelle abandonne la couche nuptiale

» encore échauffée des baisers de l'hymen. » Ces sentiments passionnés ont déjà séduit le lecteur; ils lui font partager le délire qui égare Simèthe, et dès lors tout devient vraisemblable. Les cérémonies magiques font comme partie de l'amour dont le poète nous offre le tableau, et au succès duquel il nous a intéressés. Virgile se contente de décrire ́des cérémonies superstitieuses; ces cérémonies ne nous entraînent point, parce que nous ne partageons point la passion qui a recours au sortilège.

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Carminibus Circe socios mutavit Ulyxi;

Frigidus in pratis cantando rumpitur anguis.

Ducite ab urbe domum, mea carmina, ducite Daphnin.

On a reproché à Virgile d'avoir décrit ainsi des scènes superstitieuses. Les critiques ont observé que ces cérémonies magiques s'éloignaient de la simplicité des mœurs pastorales. Il est certain cependant que la superstition règne plus dans les campagnes que dans les villes. Dans plusieurs provinces de France, les bergers passent pour des sorciers, et sont souvent consultés par les autres villageois. Les idées superstitieuses ne nous paraissent donc point incompatibles avec les mœurs pastorales.

La superstition sied bien au paysage,

Triste dans les cités, elle est gaie au village.

(IMAGINATION.)

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