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La superstition n'est étrangère ni aux passions ni aux sentiments. On a remarqué que trois espèces d'hommes sont essentiellement superstitieux, les ambitieux, les joueurs et les amants; ils vivent de l'avenir incertain; ils se nourrissent de craintes et d'espérances, et les plus petites circonstances leur paraissent un avertissement du destin. L'amour surtout se plaît à habiter le monde des prestiges; aidé de l'imagination, crédule à la fois et persuasif, il croit tout et il fait tout croire. Lorsqu'une femme emploie la magie pour rappeler son amant, pour peu qu'elle soit jolie, il est probable que ses sortilèges ne resteront pas sans effets. On attribue le succès à l'art des négromanciens, et c'est l'amour qui est le véritable magicien, le véritable enchanteur. Aussi a-t-il gardé dans son langage tous les termes employés par la superstition. Les mots de charmes, d'enchantement sont restés à la langue de l'amour. Je ne m'étonne point d'ailleurs que les cœurs tendres soient superstitieux : les passions qu'ils éprouvent les dominent; ils ne peuvent leur échapper; ils sont portés à y voir quelque chose de surnaturel.

Les élégies de Properce et de Tibulle sont pleines de descriptions de cérémonies magiques, et ces cérémonies s'allient très bien au sentiment; elles prêtent leurs charmes à la poésie, qui vit de passions et de préjugés, qui règne par les illusions, et qui est elle-même une enchanteresse. Nous citerions ici la cantate de Circé, si elle était moins connue; nous nous contenterons de citer un fragment de

la seconde élégie de Tibulle. Il y retrace ainsi la puissance d'une magicienne qui doit protéger ses amours:

Ses chants ont suspendu la foudre obéissante,
Ont détaché des cieux la lune pâlissante;

Elle entr'ouvre la terre, et, couverts de lambeaux,
Les mânes évoqués soulèvent leurs tombeaux.
Aux gouffres de Pluton sa voix se fait entendre,
Sur les bûchers éteints elle anime la cendre;
Elle change d'un mot les saisons, les climats,
Fait frissonner l'été sous de piquants frimas,
Calme, irrite les vents, et, nouvelle Médée,
De spectres infernaux s'avance précedée.
Je l'ai vue à son gré, par de sombres accents,
Domter la triple Hécate et ses chiens rugissants:
Juge de son pouvoir sur ton époux crédule!
Lui-même dans tes bras contemplerait Tibulle,
Il douterait encore; mais garde bien ta foi,
Délie, elle ne peut l'aveugler que pour moi.

Nous nous dispenserons de citer les vers latins, parce que les vers français rendent toutes les beautés de Tibulle. Nous devons ce morceau élégant et passionné au traducteur des églogues de Virgile.

Nous bornerons là l'examen de la seconde partie de cette églogue; elle nous a paru beaucoup au-dessous de la première; mais elle nous servira du moins à faire connaître les progrès du talent poétique de Virgile. Dans plusieurs passages de cette huitième églogue, on retrouve des images et

qua

des sentiments que le poète latin a développés dans le trième livre de l'Eneide. Nous allons les mettre sous les yeux des lecteurs.

Dans les complaintes de Damon, on voit un amant que la passion égare, et qui termine ses jours d'une manière tra gique. Cet amant désespéré a déjà quelque chose du caractère passionné de Didon. Le berger, après avoir exprimé sa passion trahie, s'écrie dans son désespoir ::

Ah! je connais l'Amour! Le Rhodope en courroux,
L'Ismare et ses rochers l'ont voini parmi nous!
Formé pour les forfaits chez les noirs Garamantes,

Des meurtres qu'il ordonne on voit ses mains fumantes.

Didon adresse à Énée les imprécations que le berger Da

mon adresse à l'amour :

Non, tu n'es point le fils de la mère d'Amour ;
Non, au sang de Teucer tu ne dois point le jour :
N'impute pas aux dieux la naissance d'un traître ;-

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Non, du sang des héros un monstre nʼa pu naître.

(DELILLE).

Dans l'églogue qui nous occupe, une bergère a recours aux cérémonies magiques pour rappeller son infidèle époux; elle fait usage de filtres mystérieux :

Il me résiste en vain : Méris m'a fait connaître
Les végétaux puissants que le Pont seul voit naître ;
J'ai vu, par leur secours, Méris plus d'une fois,

Sous la forme d'un loup s'enfoncer dans les bois ;:

Je l'ai vu des tombeaux réveiller la poussière,
Et d'un mot, enlevant une moisson entière,
Couvrir un autre champ de ses flottants épis.

Dans le quatrième livre, Didon désespérant de retenir Énée, se prépare à la mort, et fait venir une magicienne. Elle s'adresse à sa sœur, et lui parle ainsi de la prêtresse :

Son art endort aussi les chagrins amoureux,

Ou d'un ardent amour réveille tous les feux :
Sous ses pieds tu verras s'ébranler les campagnes,
Les pins déracinés descendre des montagnes,
L'onde arrêter son cours, l'olympe ses flambeaux,
Et les mânes sortir de la nuit des tombeaux.

(DELILLE.)

La bergère magicienne prend les vêtements et les présents que Daphnis lui a laissés pour témoignage de son amour, elle les enfouit dans la terre:

Quoi! je vous garde encor, dépouilles d'un perfide!
O terre! dans ton sein que ce gage réside!

C'est par lui qu'à mon cœur son retour est promis !

Dans le quatrième livre, Didon monte au bûcher, saisit le glaive qu'Énée lui a laissé, s'entoure des vêtements du héros :

Gages jadis si chers dans un temps plus propice,
A votre cendre au moins que ma cendre s'unisse!
Recevez donc mon âme, et calmez mes tourments.
(DELILLE.)

Nous pourrions pousser plus loin cette comparaison; tous nos lecteurs peuvent la faire. Ils trouveront dans cette huitième églogue et dans le quatrième livre de l'Eneide, le même fonds d'idées, les mêmes passions, les mêmes sentiments. Dans les complaintes de Damon, dans les accents d'Alphésibée, on se plaît à reconnaître le chantre de Didon. C'est ainsi que Virgile préludait sur la flûte champêtre à ce quatrième livre qui est regardé comme le chef-d'œuvre de l'antiquité, et qu'il s'exerçait par la peinture des amours des bergers à peindre un jour la passion funeste de la reine de Carthage.

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