Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

REMARQUES

SUR L'ÉGLOGUE DIXIÈME.

GALLUS avait aimé tendrement une comédienne ou courtisane (ces deux mots sont presque synonymes). Il la célébra dans ses vers, sous le nom de Lycoris. Il avait composé quatre livres de poésies pour elle; c'est beaucoup, mais on ne peut que les regretter, d'après le jugement d'Ovide qui nous dit que Gallus avait fait connaître le nom de Lycoris de l'orient à l'occident;

Vesper et Eoæ novere Lycorida terræ:

et d'après le témoignage de Properce qui dit à Cynthie : « Ce Gallus, qui lave ses blessures encore récentes dans » l'onde infernale, n'a-t-il pas immortalisé les charmes de >> sa Lycoris? >>

Et modò formosâ qui multa Lycoride Gallus,

Mortuus infernâ vulnera lavit aquâ.

Cette Lycoris avait été affranchie de Volumnius, et la maîtresse d'Antoine qui la prit, la quitta, la reprit, et la conduisit avec lui dans son second voyage des Gaules, où

et avec

elle se montrait à ses côtés dans une litière ouverte, une suite plus brillante que celle de la mère du consul. Cicéron fait allusion à cette Lycoris, lorsqu'il dit dans sa seconde Philippique, uxorem mimam Antoni. Antoine se montra un jour avec elle sur un char attelé de lions, luxe dont les temps modernes ne donnent plus l'idée, et qui n'appartenait qu'à la magnificence romaine.

Un pareil amant, il faut en convenir, devait éclipser un poète auprès d'une comédienne; Antoine fit oublier Gallus. On a observé que le même malheur était arrivé à Racine, qui fut remplacé dans le cœur de la Champmélé, par M. de Tonnerre; on ne sait si Racine fut inconsolable, mais le poète latin eut, besoin de l'amitié de Virgile pour être consolé; pour Lycoris, je ne sais si elle ne dut pas s'estimer trop heureuse d'avoir été infidèle, puisque son infidélité lui valut l'honneur d'être célébrée dans la plus touchante des églogues.

"PAGE 314, VERS I

Extremum hunc, Arethusa, mihi concede laborem:
Pauca meo Gallo, sed quæ legat ipsa Lycoris,
Carmina sunt dicenda : neget quis carmina Gallo?
Sic tibi, cùm fluctus subterlabere Sicanos,
Doris amara suam non intermisceat undam !
Incipe: sollicitos Galli dicamus amores,
Dum tenera attondent simæ virgulta capella.
Non canimus surdis; respondent omnia silvæ.

Avec quel art Virgile sait nous disposer à l'entendre ! Il

implore le secours de la muse qui avait chanté parmi les bergers de Sicile l'amour infortuné de Daphnis; il l'implore, pour consoler un ami qui n'est pas moins malheureux qué le berger dont Théocrite a déploré le trépas. Il ne veut què peu de vers, mais il faut que Lycoris les lise; ils ont pour but de ramener ou de faire rougir l'infidèle, et c'est par qu'ils doivent toucher davantage. Une scène sans but intéresse peu les spectateurs. Assuré du secours de sa muse, le poète appelle l'attention de ses lecteurs ; il ne parle point à des sourds, non canimus surdis, tout le monde connaîtra ses chants, et les forêts elles-mêmes seront attendries.

Cet art, cette magie poétique, qui personnifie les objets inanimés, semble donner plus d'importance au sujet, soit 'qu'il tienne plus particulièrement au genre bucolique, où qu'il soit une combinaison du génie; il a été inconnu à presque tous les autres poètes latins. L'art des prologues et des expositions a été également négligé trop souvent par les contemporains, les rivaux ou les disciples de Virgile. Quand Tibulle et Properce chantent leurs amours, ils entrent brusquement en matière; leurs mouvements sont plus passionnés d'abord, mais il fatiguent plutôt; Virgile nous quitte avant de nous lasser: d'ailleurs, la clarté, la modestie, la précision de ce préambule, nous disposent mieux à entendre ce que le poète va dire. Sous la simplicité des expressions, on se plaît à trouver dans ce morceau une harmonie douce, et des épithètes poétiques, telles que sollicitos amores, sima capellæ, et surtout ce mouvement d'un cœur tendre, neget quis carmina Gallo. L'apostrophe aux nymphes qui vient

ensuite, est une traduction élégante de Théocrite, dans P'idylle sur la mort de Daphnis. Nous avons cité le passage du poète grec dans nos remarques sur la cinquième églogue.

2) PAGE 316, VERS 2.

Illum etiam lauri, etiam flevere myricæ;
Pinifer illum etiam solâ sub rupe jacentem
Mænalus et gelidi fleverunt saxa Lycæi..
Stant et oves circùm.

Théocrite fait pleurer aussi les génisses, les animaux féroces et les lauriers; mais Virgile anime et attendrit toute la nature. Les rochers eux-mêmes versent des pleurs. On ne peut pousser les choses plus loin. Les modernes n'ont plus le privilège de faire pleurer ainsi les rochers. La nature des anciens, revêtue des enchantements et des illusions de leur mythologie, se prêtait plus aisément aux images hardies des poètes.

La répétition des mots, etiam, illum etiam, donne au tableau de Virgile de la grâce et du mouvement. Le choc des épithètes pinifer et gelidi, y jette de la variété, et fixe l'attention par la vérité et la précision des couleurs locales. Mais ce qui touche bien plus que les larmes des rochers glacés et du Ménale couronné de sapins, c'est de voir Gallus couché sur la roche solitaire, et ses brebis immobiles et debout autour de lui, solá sub rupe jacentem ; c'est le désespoir sans consolation et nourri par la solitude; les brebis ne paissent

plus l'herbe fleurie; elles contemplent tristement leur pasteur. Un seul mot peint leur douleur et leur attitude : Stant et oves circùm.

On doit remarquer ici, dans l'arrangement des mots, quelque chose de désordonné qui rend bien la situation des personnages. Qu'on mette à la place de l'hémistiche de Virgile ces paroles latines, et oves circùm stant, tout l'effet de ce morceau est détruit.

3) PAGE 316, VERS 5.

Nostri nec pœnitet illas

Nec te poeniteat pecoris, divine poëta;
Et formosus oves ad flumina pavit Adonis,

Cette réflexion, jetée comme au hasard au milieu de la description, en éloigne toute monotonie : elle est d'un naturel et d'une simplicité touchante. Virgile craint que son ami, qu'un poète divin ne soit mécontent d'être chanté dans la langue des bergers; il prévient ce reproche par une comparaison dont on ne peut trop admirer la délicatesse. Comment l'amant de Lycoris rougirait-il d'avoir quelque chose de commun avec l'amant de Vénus, le bel Adonis? Segrais a fort heureusement emprunté cette image:

Clymène, il ne faut pas mépriser nos bocages:
Les dieux ont autrefois aimé nos pâturages;
Et leurs divines mains, aux rivages des eaux
Ont porté la houlette et conduit les troupeaux.

« ZurückWeiter »