timent doux, une sorte de volupté rêveuse qui touche le cœur sans le déchirer, et qui donne l'idée du véritable amour. Tibulle nous montre souvent les images du trépas au milieu des scènes de la volupté; et ce contraste, si heureusement pris dans la nature, l'a fait appeler le poète du sentiment. 7) PAGE 320, VERS 2. Nunc insanus amor duri me Martis in armis Me sine sola vides. Ah! te ne frigora lædant ! Gallus se faisant illusion à lui-même, se croyait tout à l'heure auprès de sa Lycoris; il lui montrait les forêts, la rive du fleuve, la vallée fleurie où ils pourraient passer ensemble d'heureux jours: mais l'illusion se dissipe; l'image d'un beau paysage s'est évanouie; tout s'est enfui avec l'espérance; Gallus ne voit plus que le spectacle affreux de la guerre et des frimas. C'est ici qu'il faut admirer le charme des constrates et le mouvement qui en résulte dans les peintures de Virgile. Il n'appartient qu'au génie de conserver dans cette variété de tons et de couleurs, l'unité nécessaire dans toute espèce d'ouvrage, et d'allier les contraires par des transitions que Boileau regardait comme la plus grande difficulté dans l'art d'écrire. Les dernières images qui s'offrent à Gallus, ont rendu à la douleur toute son énergie, aux expressions du poète toute leur chaleur. Dans les deux premiers vers, Gallus se représente Lycoris au milieu du tumulte de la guerre ; il se la représente ensuite loin de sa patrie, et comme retenue dans un exil rigoureux (chose qu'il a peine à croire), il ne lui adresse point de plaintes ; il se contente de lui exagérer les dangers qu'elle court; il voudrait l'effrayer par l'aspect des glaces dont elle est entourée. On voit que l'amaut de Lycoris conserve encore l'espoir de la ramener, et cet espoir donne plus de délicatesse à ses expressions. Quelle grâce ingénieuse dans ces mots : me sine sola vides. Tu verras sans moi les frimas des Alpes, et les rives glacées du Rhin; << tu les verras seule. » Il regrette qu'elle voie sans lui un spectacle effrayant; elle n'aura personne auprès d'elle pour la rassurer, Au milieu des camps elle restera seule, puisque Gallus n'y sera pas. Cette idée est ingénieuse, et peint bien le délire du sentiment. Gallus ne peut suivre Lycoris; il ne peut la défendre ni la rassurer; il ne peut que former des vœux pour elle, et ces vœux sont ceux de l'amour le plus vrai, le plus délicat, le plus généreux. Ils s'adressent à la fois à la tendresse et à l'amour-propre de Lycoris ; ils sont pour elle une louange et une preuve de la passion la plus désintéressée et la plus sincère. Properce a imité quelques traits de cette églogue dans sa huitième élégie, où il veut détourner Cynthie d'un voyage qu'elle voulait faire en Illyrie: Tune audire potes vesani murmura ponti ? Tu potes insolitas, Cynthia, ferre nives? etc. Ces vers sont inspirés par l'amour; mais Properce ne parle ni de la patrie ni de lui. Il finit par souhaiter des vents favorables à son infidèle; mais il ne témoigne point l'envie de la suivre. On ne peut douter au contraire que Gallus n'ait suivi Lycoris, s'il en eût été le maître. Properce s'arrête d'ailleurs trop long-temps sur la même idée ; et, dans sa douleur, il ne peut se défendre de l'envie de montrer son esprit. Gallus est plus rapide, surtout plus naturel, et ses paroles sont comme un soupir qui s'exhale malgré lui. Virgile ne l'emporte pas seulement sur Properce par le sentiment; il l'emporte aussi pour l'harmonie. Les syllabes qu'il emploie montrent les aspérités de la glace; on entend crier la neige et les frimas sous les pas de Lycoris. ") PAGE 320, VERS 10. Certum est in silvis, inter spelæa ferarum, Voilà Gallus retombé dans ses rêveries. Il veut vivre et souffrir au milieu des animaux sauvages; il veut graver son amour sur les jeunes arbres des forêts; quel charme, quelle douceur dans ces mots : crescent illæ, crescetis amores! Segrais n'en donne qu'une idée imparfaite dans cette traduction : En mille et mille lieux de ces rives champêtres, Le dernier vers est heureux, le reste est froid, long, languissant; l'effet admirable de crescent illæ, et crescetis amores, est perdu dans la paraphrase: Tout ce qu'on dit de trop est fade et rebutant. Le Tasse a profité de l'idée de Virgile dans l'épisode d'Herminie qui grave aussi son amour et le nom de Tancrède sur les arbres des forêts. 9) PAGE 322, VERS I. Interea mixtis lustrabo Mænala Nymphis, Ire.... Je ne sais quelle sombre tristesse règne dans le premier vers. Il exprime l'idée de la plus profonde solitude. Bientôt le tableau s'anime; et les images de la chasse viennent se mêler à l'idée des nymphes taciturnes. Ne semble-t-il pas voir la forêt ceinte d'une meute de chiens dans ce long vers: Frigora Parthenios, etc. Quelle richesse d'harmonie dans le vers qui suit! On croit entendre la marche bruyante de Gallus à travers les bois retentissants.. On verra dans ce passage tout le désordre d'une passion malheureuse qui s'agite et se tournente, qui semble s'éteindre et se ranimer tour à tour, semblable à un flambeau exposé à tous les vents. Gallus se crée à la fois des consolations et des chagrins, des espérances et des inquiétudes, son cœur voudrait s'échapper à lui-même, et il emporte partout avec lui le trait dont il est blessé. On reconnaît dans ce langage d'un amant passionné, celui de la malheureuse Phèdre: Dieux! que ne suis-je assise à l'ombre des forêts! dans son Il n'est pas inutile de remarquer ici qu'Ovide, poëme intitulé: Remedium amoris, indique aux amants qui veulent se guérir de leur passion, tous les moyens qu'emploie le tendre Gallus; mais tous les moyens qu'il emploie, tous les projets qu'il forme sont inutiles, D'un incurable amour remèdes impuissants. L'amour ne se laisse point fléchir par les tourments qu'il cause; cette réflexion amène, par une transition heureuse, les derniers traits d'un admirable tableau. |