Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

Virgile n'avait point achevé quand la mort le surprit? Fut it changé dans l'Énéïde, par ceux à qui ce dépôt fut confié? Ce sont des questions que ne permettent pas de résoudre le respect et la haute estime que commande la mémoire de Virgile.

Il évite également de nommer Cicéron, approbateur connu de l'assassinat de César après qu'il fut commis; mais il prend le style et toute l'éloquence de l'auteur des Philippiques. C'est en imitant leur véhémence qu'il ne permet pas de l'oublier; et l'admirable discours de Drancès, au onzième livre, appelle contre Turnus la même indignation que Cicéron avait inspirée aux Romains contre Antoinc. Ici, plus d'équivoque, Virgile a presque mis le nom sous le portrait; le nom d'homme nouveau s'y retrouve, ce ridicule, Homo novus, tant de fois répété contre le père de la patrie. On y revoit sur Drancès tous les mêmes reproches que faisaient à Cicéron les ennemis de sa gloire et de

ses vertus:

«Hardi dans les conseils et timide aux combats,

» Libéral, éclairé, puissant dans le sénat,

» Habile à soulever le crédule vulgaire,

» Né d'un père inconnu. »

Largus opum, et linguâ melior, sed frigida bello
Dextera, consiliis habitus, non futilis auctor;
Seditione potens; genus huic materna superbum
Nobilitas dabat; incertum de patre ferebant.

Quelques écrivains, dans l'intention d'éloigner de Vírgile une accusation de lâche flatterie, n'ont pas voulu reconnaître la vérité de cette allusion. Leur motif est assurément respectable, mais leur scrupule ne paraît pas fondé. Virgile ne donne point ces vers comme une opinion qu'il adopte, car le rôle dont il charge Drancès est très-noble : il le représente comme un vieillard honoré de la confiance de son roi, il est choisi de préférence pour aller au nom des peuples du Latium, en ambassade auprès d'Énée; il veut éloigner de son pays les horreurs de la guerre, hait Turnus que parce que sa violence s'oppose à la paix. Ce passage ne désigne si bien Cicéron que pour mieux signaler Antoine, et l'on s'apperçoit que sous le nom de Drancès, Virgile aime à répéter à Turnus ce que Cicéron avait adressé lui-même autrefois, avec tant de justice, au véritable ennemi d'Auguste.

il ne

Toutes les coutumes de l'antiquité, les cérémonies funèbres, la forme des sacrifices, tous les usages que pratiquait et chérissait l'ancienne Rome, se retrouvent aussi fidèlement dans l'Eneide que dans les auteurs qui n'ont traité que ces matières. Aussi bon géographe que sage moraliste, la plus belle comme la plus juste description de l'Italie, se reconnaît encore dans l'Eneide; il y rend hommage au respect utile que ses contemporains avaient pour les morts et leurs funérailles; it place dans le Tartare les hommes sans pitié qui refusent d'assister leurs parents et leurs amis dans le besoin : les juges prévaricateurs, les tyrans qui bravent les lois, et les monstres qui vendent les

intérêts de leur patrie, sont flétris pour jamais dans ces vers qui les enchaînent sous le fouet des Furies :

Vendidit hic auro patriam, dominumque potentem
Imposuit; fixit leges pretio atque refixit.

« Ils ont leur place ici ces lâches mercenaires,
» Qui vendent leur patrie à des mains étrangères,
» Et de qui la balance inclinée à leur choix
» Gorrompit la justice et fit mentir les lois. «

(DELILLE.)

Auguste montrait le plus vif désir de connaître ce qu'il y avait d'achevé de l'Eneide. Il écrivit à Virgile pour l'engager à le satisfaire; on a conservé la réponse du poète à l'empereur; elle détruit le reproche que l'on faisait à Virgile, de ne pouvoir écrire en prose, comme on assurait qu'il n'avait jamais été possible à Cicéron de composer des vers. L'admirable fragment qui nous reste du poëme de Marius, a de même suffi pour faire connaître si les succès poétiques étaient étrangers au grand orateur.

2

Les sollicitations répétées d'un maître l'emportèrent et Virgile, qui, toujours plus difficile pour lui-même, n'avait d'autres motifs de ses refus que sa modestie, consentit à réciter enfin le sixième livre de l'Eneïde, le plus convenable de tous à la présence d'Auguste et à celle d'Octavie, sa sœur, qui venait de perdre son jeune fils, l'unique héritier du nom chéri de son premier époux. Combien de personnages illustres dans tous les genres une

pareille circonstance ne devait-elle pas rassembler! Contemplons cette cour délicate, attentive, et Virgile écouté par ce qu'il y avait à Rome de mieux choisi parmi les hommes du goût le plus sûr et de l'esprit le plus cultivé. Quel spectacle imposant! Le plus grand poète faisant entendre les plus beaux vers au plus grand souverain du monde, et le génie satisfait de ses juges! Comment ne pas l'être en effet, quand ils pouvaient dans leur nombre compter Pollion, Messala, Varus, Varius, Tucca, Valgius, Cinna, Cocceius, Plautius, Horace et Gallus sans doute, Properce ainsi que Tibulle peut-être, et Mécène avant tout, Mécène qui, pour soulager Virgile, dont la faible voix était fatiguée, s'empara de son manuscrit, en continua, quelques moments la lecture, et par cet empressement de l'amitié fit naître un nouvel intérêt dans cette scène ravissante. De quel orgueil Auguste ne fut-il pas excusable, lorsque, dans un langage harmonieux et divin se dévoilèrent à ses regards, en présence de pareils témoins, et la gloire antique de Rome qu'il voyait soumise à ses lois, et l'histoire immortelle de ses aïeux qui, par tant de hauts faits, attestaient leur céleste origine. Comment résister au prestige des promesses d'Anchise et ne pas croire à ses prédictions, déjà presque toutes accomplies? Mais Octavie! elle qui, dans le charme des talents, ne cherchait et ne croyait trouver qu'un soulagement à sa douleur ! Quel saisissement s'empara de son âme, si disposée à s'attendrir quand Virgile, dans cette foule de héros composant la famille d'Auguste, eut fait paraître un jeune prince orné

de toutes les vertus, brillant de valeur et de grâces, né pour l'orgueil des Romains et pour aggrandir leur destinée, si la sienne doit être de vivre assez pour sa gloire ! Tous les souvenirs d'Octavie se réveillèrent à cette image; mais lorsqu'Anchise eut montré ce jeune prince déjà couvert d'une ombre funèbre et comme une fleur trop tôt moissonnée que les dieux ne feraient que montrer au monde; quand il eut peint le deuil profond de la ville de Mars, les sanglots qui suivraient de telles funérailles, et qu'à la fin de la plus touchante des élégies, Virgile eut, en joignant ses regrets à ceux de Rome, dissipé tous les doutes d'une mère et prononcé le nom de Marcellus! Octavie éprouva une émotion si forte, qu'elle perdit connaissance. Elle resta long-temps privée de sentiment, et ses yeux ne se rouvrirent que pour verser les plus douces larmes.

On rapporte que la sœur d'Auguste, touchée, comme une mère peut l'être, de ces louanges pleines de sentiment données à son fils, ordonna qu'on remît à Virgile dix sesterces par chaque vers de ce morceau qui en contient trente-deux; somme énorme alors, mais bien éloignée d'être aux yeux de Virgile d'une égale valeur et d'un prix aussi doux que le triomphe qu'il venait d'obtenir.

Après avoir achevé l'Eneide, sans toutefois la croire terminée, Virgile résolut de visiter l'intérieur de la Grèce, pour mieux connaître la position des lieux dont il avait célébré la mémoire. Ce fut à l'occasion de ce voyage,

« ZurückWeiter »