Abbildungen der Seite
PDF
EPUB
[ocr errors]

Virgile, ont souvent occasionné des discussions bien vives : ce que l'on peut dire avec vérité, c'est que l'un est le premier des poètes pour le jugement, et l'autre pour l'invention. Pope a comparé ces deux immortels écrivains aux héros qu'ils ont célébrés. Homère est comme Achille; il entraîne tout devant lui: c'est un orage qui s'étend de toutes et les éclairs se succèdent sans relâche. Virgile est comme Énée qui s'avance au milieu du combat sans en être troublé, qui répand l'ordre autour de sa personne et achève ses victoires avec tranquillité. Les deux poètes ressemblent également à leurs dieux. Homère est terrible comme Jupiter quand il ébranle le monde, qu'il agite ses foudres et embrase le ciel. Virgile est ce même dieu dans le sublime de sa bonté, toujours calme quand il préside l'Olympe, soit qu'il fonde les bases des empires ou qu'il distribue l'ordonnance majestueuse de l'univers.

On ne s'étonnera point, après ce que l'on connaît du caractère, des mœurs et du génie de Virgile, qu'il ait joui d'une prodigieuse réputation pendant sa vie, ni de l'espèce de vénération que l'on conserva long-temps pour ce grand poète; elle approcha de l'idolâtrie. Silius Italicus avait non seulement chez lui l'image de Virgile, mais il en célébrait la naissance avec la plus grande solennité. Cette époque était pour lui chaque année un jour de fête : il se rendait à Naples et il visitait le tombeau de son poète chéri comme le temple d'une divinité. Son indignation fut si vive, en voyant qu'un misérable pâtre était seul commis à la garde de ce monument, que, pour empêcher sa dégradation déjà

remarquable alors, il acheta le terrain qui le renfermait : ce qui lui valut ces vers de Martial:

Jam prope desertos cineres et sancta Maronis
Nomina qui coleret, pauper et unus erat!
Silius optatæ succurrere censuit umbræ !

Cette superstition fut imitée depuis par Sincerus Sannazar, qui poussa plus loin son enthousiasme. Il avait une campagne dans le voisinage du tombeau de Virgile, pour être à même de le visiter plus souvent; et sa dernière volonté fut qu'on l'inhumât dans les jardins de cette maison, près d'un autel où, de son vivant, il avait placé les statues de Minerve et d'Apollon. Ce fait est consacré par les vers suivants, d'une exagération un peu forte :

De sacro cineri flores: hic ille Maroni
Sincerus, musâ proximus et tumulo.

« A ces restes sacrés, offrez, donnez des fleurs!
» Et les mêmes talents et son dernier asile

>> Rapprochent dans ces lieux Sannazar et Virgile :

» Sur leurs tombeaux voisins unissons nos douleurs. >>

Alexandre Sévère conservait aussi dans son palais une image de Virgile à côté de celles d'Achille, de Cicéron et de plusieurs autres grands hommes: culte légitime, si ce prince avait su lui donner des bornes; mais il prétendait

qu'avant de parvenir à l'empire, il avait lu sa destinée dans lui offrit le hasard :

ee vers que

Tu, regere imperio populos, Romane, memento.

<«< Toi, Romain, souviens-toi de régir l'univers. »

(DELILLE.)

Et, depuis ce moment, rien ne put le détourner de cette faiblesse et de sa foi dans les oracles de Virgile.

Ce genre de superstition dura plusieurs siècles, et le souvenir en est resté sous le nom de sortes Virgiliana, dont il existe des recueils. Adrien, dit-on, les consulta pour savoir s'il était aimé de Trajan, et le vieux Gordien était convaincu qu'il avait été prévenu de la mort de son petitpar cet autre vers:

fils

Ostendent terris hunc tantum fata.

« Les destins ne feront que le montrer au monde. »

(DELILLE.)

Malgré tous ces honneurs que l'on rendait à la mémoire de Virgile, on ne connaît d'ancien monument consacré par son nom que les débris de son tombeau. Les anciens habitants de Mantoue, sensibles à la gloire de leur contemporain qui les honorait, voulurent en éterniser le souvenir. Ils érigèrent une statue à ce grand poète et la placèrent dans leur ville; mais Charles Malatesta, gonfalonnier de l'église romaine, devenu l'époux de la sœur du marquis de Mantoue, la fit abattre par un vain scrupule, dans le

quinzième siècle. Elle fut remplacée depuis par un groupe étrange, où Virgile était ridiculement associé à Jean-Baptiste Mantouan, général des Carmes, auteur de quelques églogues. La gloire de ce poète plus moderne, dont la muse a, dit-on, produit cinquante-neuf mille vers, n'a pas rendu plus durable qu'eux ce dernier monument que le temps ou d'autres causes ont également détruit.

Il était réservé à des armées généreuses de montrer que la guerre, toujours environnée de destruction, prend un autre caractère avec des guerriers français, quand ils sont ramenés à leurs vertus naturelles, La victoire sous nos drapeaux s'honore enfin de protéger les arts, et ce ne sera pas une conquête inutile à Virgile que celle de sa patrie. Les honneurs qu'il obtient s'unissent à nos triomphes. Sa ville natale ouvre à peine ses portes à la valeur, que c'est lui que l'on cherche dans Mantoue. On s'indigne de n'y rien trouver qui rappelle son souvenir, et le général Miollis, à peine commandant de cette place, ordonne à ses habitants, le 6 juillet 1797, d'élever, aux lieux mémorables où naquit Virgile et qu'il habita, un obélisque en marbre, entouré dẹ bosquets de chênes, de myrtes, et de lauriers. Un pareil sentiment anime, à l'ancienne Parthénope, le général Championnet; dans le peu d'instant que ce royaume fut une république, il voulut qu'un marbre solennel environnâț les lieux où le voyageur va chercher les restes de Virgile, et que, dans le même endroit où la tradition les suppose, un digne mausolée servît au moins à les défendre des outrages du temps et des hommes.

Les amis des lettres et des arts jouiront encore d'une consolation nouvelle; il reste en marbre, pour eux, un buste ressemblant de Virgile, que nos conquêtes ont placé dans le plus admirable monument de la gloire, le Musée Napoléon: c'est à ce même titre que la bibliothèque impériale a obtenu de celle du Vatican et de la collection de St.-Laurent de Florence, deux antiques manuscrits du septième siècle des œuvres de Virgile, aussi complets que bien conservés. Il en existe un autre à Londres, le seul où l'on retrouve à la tête de l'Eneide une dédicace de ce poëine, offerte à Vénus. La pureté, l'élégante simplicité de ce morceau, ne peut que justifier l'opinion qui l'attribue à Virgile.

DEDICATIO ÆNEIDOS,

Ad Venerem.

Si mihi susceptum fuerit decurrere munus
O Venus, o sedes quæ colis Idalias,
Troïus Æneas romana per oppida digno

Jam tandem ut tecum carmine vectus eat;
Non ego thure modò, aut pactâ tua templa tabellâ
Ornabo, et puris serta feram manibus.
Corniger hos aries humilis et maxima taurus
Victima sacratos tinget odore focos;
Marmoreusque tibi diversi coloribus alis

Interior pictâ stabit amor pharetrâ;
Adsis, o Cytherea! tuus te Cæsar Olympo,
Et Surrentini littoris ora, vocat,

« ZurückWeiter »