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désaccoutume insensiblement de l'usage de notre raison, et nous expose à perdre la route que sa lumière nous trace (1). »

Cette opinion de l'auteur de l'application de l'algèbre à la géométrie, est une chose digne d'attention.

Le père Castel, à son tour, semble se plaire à rabaisser le sujet sur lequel il a luimême écrit, « En général, dit-il, on estime trop les mathématiques.... La géométrie a des vérités hautes, des objets peu développés, des points de vue qui ne sont que comme échappés. Pourquoi le dissimuler? Elle a des paradoxes, des apparences de contradiction, des conclusions de système et de concession, des opinions de sectes, des conjectures même, et même des paralogismes (2).

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Si nous en croyons Buffon, « ce qu'on appelle vérités mathématiques se réduit à des identités d'idées, et n'a aucune réalité (3). : Enfin, l'abbé Condillac, affectant pour les géomètres le même mépris qu'Hobbes, dit,

(1) Euo. de Desc. tom. I, p. 112. (2) Math. univ. p. 3, 5.

(3) Hist. nat. tom. I, prem.

disc. P. 77

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en parlant d'eux : « Quand ils sortent de leurs calculs pour entrer dans des recherches d'une nature différente, on ne leur trouve plus la même clarté, la même précision, ni la même étendue d'esprit. Nous avons quatre métaphysiciens célèbres, Descartes, Malebranche, Leibnitz, et Locke; le dernier est le seul qui ne fût pas géomètre, et de combien n'est-il pas supérieur aux trois autres (1) ! »

Ce jugement n'est pas exact. En métaphysique pure, Malebranche et Leibnitz ont été beaucoup plus loin que le philosophe anglais. Il est vrai que les esprits géométriques sont souvent faux dans le train ordinaire de la vie; mais cela vient même de leur extrême justesse. Ils veulent trouver partout des vérités absolues, tandis qu'en morale et en politique les vérités sont relatives. Il est rigoureusement vrai que deux et deux font quatre; mais il n'est pas de la même évidence qu'une bonne loi à Athènes soit une bonne loi à Paris. Il est de fait que la liberté est une chose excellente : d'après

(1) Essai sur l'Origine des Connoissances humaines, tom. II, sect. II, chap. 4, p. 239, édit. Amst. 1783,

cela, faut-il verser des torrens de sang, pour l'établir chez un peuple, en tel degré que ce peuple ne la comporte pas ?

En mathématique on ne doit regarder que le principe, en morale que la conséquence. L'une est une vérité simple, l'autre une vérité complexe. D'ailleurs, rien ne dérange le compas du géomètre, et tout dérange le cœur du philosophe. Quand l'instrument du second sera aussi sûr que celui du premier, nous pourrons espérer de connoître le fond des choses. Jusque-là, il faut compter sur des erreurs. Celui qui voudroit porter la rigidité géométrique dans les rapports sociaux, deviendroit le plus stupide ou le plus méchant des hommes.

Les mathématiques d'ailleurs, loin de prouver l'étendue de l'esprit dans la plupart des hommes qui les emploient, doivent être considérées au contraire comme l'appui de leur foiblesse, comme le supplément de leur insuffisante capacité, comme une méthode d'abréviation, propre à classer des résultats dans une tête incapable d'y arriver d'ellemême. Elles ne sont en effet que des signes généraux d'idées qui nous épargnent la peine d'en avoir, des étiquettes numériques d'un

trésor que l'on n'a

pas compté, des instrumens avec lesquels on opère, et non les choses sur lesquelles on agit. Supposons qu'une pensée soit représentée par A et une autre par B. Quelle prodigieuse différence n'y aura-t-il pas entre l'homme qui développera ces deux pensées, dans leurs divers rapports moraux, politiques et religieux, et l'homme qui, la plume à la main, multipliera patiemment son A et son B en trouvant des combinaisons curieuses, mais sans avoir autre chose devant l'esprit, que les propriétés de deux lettres stériles?

Mais si, exclusivement à toute autre science, vous endoctrinez un enfant dans cette science qui donne peu d'idées, vous courez les risques de tarir la source des idées mêmes de cet enfant, de gâter le plus beau naturel, d'éteindre l'imagination la plus féconde, de rétrécir l'entendement le plus vaste. Vous remplissez cette jeune tête d'un fracas de nombres et de figures qui ne lui représentent rien du tout; vous l'accoutumez à se satisfaire d'une somme donnée, à ne marcher qu'à l'aide d'une théorie, à ne faire jamais usage de ses forces, à soulager sa mémoire et sa pensée par des opérations

artificielles, à ne connoître, et finalement à n'aimer que ces principes rigoureux et ces vérités absolues qui bouleversent la société.

On a dit que les mathématiques servent à rectifier dans la jeunesse les erreurs du raisonnement. Mais on a répondu très-ingénieusement et très-solidement à la fois, que pour classer des idées, il falloit premièrement en avoir; que prétendre arranger l'entendement d'un enfant, c'étoit vouloir arranger une chambre vide. Donnez-lui d'abord des notions claires de ses devoirs moraux et religieux; enseignez-lui les lettres humaines et divines ensuite, quand vous aurez donné les soins nécessaires à l'éducation du cœur de votre élève; quand son cerveau sera suffisamment rempli d'objets de comparaison et de principes certains, mettez-y de l'ordre, si vous le voulez, avec la géométrie.

En outre, est-il bien vrai que l'étude des mathématiques soit si nécessaire dans la vie? S'il faut des magistrats, des ministres, des classes civiles et religieuses, que font à leur état les propriétés d'un cercle ou d'un triangle? On ne veut plus, dit-on, que des choses positives. Eh! grand Dieu! qu'y at-il de moins positif que les sciences, dont

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