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qui semblaient annoncer le tableau plus large et plus animé que le poète en devait faire dans le quatrième livre de l'Énéide: dans la douleur de Gallus, on devinait le chantre de Didon.

Le quatrième livre de l'Enéide est une face nouvelle dans la civilisation ancienne, un trait de la physionomie moderne. Virgile a, il est vrai, emprunté à quelques poètes anciens, aux tragiques et à Apollonius de Rhodes, quelques-uns des traits qui lui ont servi à peindre l'amour de Didon; ainsi les premiers symptômes de cet amour, ses premières inquiétudes,

At regina, gravi jamdudum saucia cura,
Vulnus alit venis, et cæco carpitur igni.
Multa viri virtus animo, multusque recursat
Gentis honos: hærent infixi pectore vultus,

Verbaque; nec placidam membris dat cura quietem,

sont une traduction de ces vers d'Apollonius:

Αὕτως δ' αὖ Μήδεια μετέστιχε πολλὰ δε θυμῷ
Ώρμαιν', ὅσσα τ' ἔρωτες ἐποτρύνουσι μέλεσθαι.
Προπρὸ δ ̓ ἄρ ̓ ὀφθαλμῶν ἔτι οἱ ἰνδάλλετο πάντα
Αὐτός θ οἷος ἔην, οἳοσί τε φάρεσιν ἕστο

Οἷά τ' ἔειφ', ὥς θ ̓ ἕζετ ̓ ἐπὶ θρόνου, ὥς τε θύραζε
Ηῖεν ̇ οὐδέ τιν' ἄλλον δΐσσατο πορφύρουσα
Εμμεναι ἀνέρα τοῖον ἐν οἴασι δ ̓ αἰὲν ὀρώρει
Αὐδή τε μῦθοί τε μελίφρονες, οὓς ἀγόρευσε.

(Argon., lib. I v. 451.)

Il lui doit encore ce serment, que Didon appelle au secours de sa vertu chancelante :

Sed mihi vel tellus optem prius ima dehiscat,
Vel pater omnipotens adigat me fulmine ad umbras,
Pallentes umbras Erebi, noctemque profundam,
Ante, pudor, quam te violo, aut tua jura resolvo.

μοι ἐμῆς ἄτης. Ητ' ἂν πολὺ κέρδιον εἴη
Τῇδ ̓ αὐτῇ ἐν νυκτὶ λιπεῖν βίον ἐν θαλάμοισι
Πότμῳ ἀνωΐστῳ, κάκ' ἐλέγχεα πάντα φυγοῦσαν,
Πρὶν τάδε λωβήεντα καὶ οὐκ ὀνομαστὰ τελέσσαι.

(Argon,, lib. 111, v. 798.)

Mais ce sont là des ressemblances inévitables d'une passion partout la même, en tant que passion, et qui ne se peut modifier que sous les influences de la civilisation. Du reste, bientôt se montrent des nuances différentes, qui indiquent dans Virgile un sentiment moral, une délicatesse de pudeur nouvelle. Apollonius décrit aussi l'hymen de Médée et de Jason; il entoure cette pompe nuptiale des images les plus riantes, des plus fraîches couleurs :

Χρύσεον αἰγλῆεν κῶας βάλον, ὄφρα πέλοιτο
Τιμήεις ὁ γάμος καὶ ἀοίδιμος ̇ ἄνθεα δέ σφι
Νύμφαι ἀμεργόμεναι λευκοῖς ἐνὶ ποικίλα κόλποις
ἐσφόρεον πάσας δὲ, πυρὸς ὡς, ἄμφεπεν αἴγλη.

Αἱ μέν τ' Αἰγαίου ποταμοῦ καλέοντο θύγατρες
Αἱ δ ̓ ὄρεος κορυφὰς Μελιτηΐου ἀμφενέμοντο
Αἱ δ ̓ ἔσαν ἐκ πεδίων ἀλσηΐδες. Ὧρσε γὰρ αὐτὴ
Ηρη Ζηνὸς ἄκοιτις, Ιήσονα κυδαίνουσα.

(Argon., lib. iv, V. 1142-1152.)

Speluncam Dido dux et trojanus eamdem
Deveniunt: prima et Tellus et pronuba Juno
Dant signum; fulsere ignes, et conscius æther
Connubii; summoque ulularunt vertice Nymphæ.

Que ce tableau est différent du premier! ici, point de riantes images; les éclairs seuls servent de flambeau nuptial, et, dans leur grotte, les Nymphes font entendre, au lieu de chants, le cri plaintif de la pudeur mourante.

Cette idée de la pudeur sacrifiée à l'amour se retrouve d'une manière bien frappante dans un autre passage; elle atteste entre Catulle et Virgile une différence de sentimens presque aussi grande que celle qui existe entre Virgile et Apollonius.

Abandonnée par Thésée, Ariadne éclate en reproches; elle lui rappelle ce qu'elle a quitté pour lui: son père abandonné, son frère trahi pour sauver Thésée :

Certe ego te in medio versantem turbine lethi
Eripui, et potius germanum amittere crevi;
An patris auxilium sperem quemne ipsa reliqui,
Respersum juvenem fraterna cæde secuta?

Ainsi Apollonius fait parler Médée :

Πάτρην τε, κλέα τε μεγάρων, αὐτούς τε τοκῆας

Νοσφισάμην, τά μοι ἦεν ὑπέρτατα.

(Argon., liv. iv, v. 361.)

Et avant lui Euripide:

Αὐτὴ δὲ, πατέρα καὶ δόμους προδοῦσ ̓ ἐμοὺς,
Τὴν Πηλιῶτιν εἰς Ἰωλκὸν ἱκόμην

Ξυν σοί.

Πελίαν τ' ἀπέκτειν, ὥσπερ ἄλγιστον θανεῖν,

Παίδων ὑπ ̓ αὐτοῦ, πάντα τ' ἐξεῖλον φόβον.

(Médée, v. 483.)

Didon aussi, pour retenir Énée, rappelle tous les sacrifices qu'elle a faits à son amour; mais que ses motifs sont plus délicats!

Te propter libycæ gentes Nomadumque tyranni
Odere, infensi Tyrii; te propter eumdem
Exstinctus pudor, et, qua sola sidera adibam,
Fama prior.

Ce sacrifice de la réputation et de la pudeur, rappelé comme un des motifs qui doivent le plus fortement attacher Énée à Didon, comme la plus grande marque de tendresse qu'elle ait pu lui donner, est un trait particulier à Virgile, et qui trahit dans l'amour un sentiment moral jusque-là inconnu.

Il est une autre face sous laquelle Virgile a montré l'amour, une couleur nouvelle qu'il ne doit à personne, et que son âme seule lui a fournie; je veux dire la mélancolie qu'il a répandue sur les derniers momens de Didon. Ces dépouilles, gages chers encore d'un amour trahi; cette pâleur mortelle empreinte sur le visage de Didon; cet appareil touchant qui entoure son bûcher funéraire; enfin Didon, déjà environnée des ombres de la mort, attendrie à la vue du glaive fatal, jetant un triste regard vers le passé, saisie, au souvenir d'Énée, de honte et de désespoir; tout cela n'appartient qu'à l'âme de Virgile, et aussi à un siècle déjà travaillé d'une secrète inquiétude, et commençant, à son insu, une révolution morale.

Tels sont les traits qui, dans Virgile, présentent un tableau neuf et profond de l'amour. L'amour, s'il n'a pas encore toutes les luttes, tous les scrupules, toutes les délicatesses de la tendresse chrétienne, en a déjà la pudeur, les remords et la tristesse.

La quatrième églogue contient la pensée philosophique de Virgile, comme la dixième contenait la couleur nouvelle dont il a peint l'amour.

Cette quatrième églogue a beaucoup exercé les commentateurs; c'est un avenir de bonheur que l'on a

prêté à bien des personnages; un horoscope, pour ainsi dire devenu banal, La piété s'y est attachée comme l'érudition '.

L'opinion qui voit dans l'églogue de Virgile un pressentiment du Messie, cette opinion non pas restreinte à un sens rigoureux et pauvre, mais hautement, mais historiquement interprétée, ne nous paraît pas sans vraisemblance.

1. Dante a cru trouver dans les vers de Virgile cette inspiration prophétique, et ce souffle chrétien que, plus tard, nous verrons se répandre sur le sixième livre de l'Énéide. Stace, rencontrant Virgile dans le sixième cercle du purgatoire, lui dit que c'est à lui qu'il a dû d'être poète, et surtout d'être éclairé de la lumière évangélique :

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M. De Maistre a soutenu cette opinion avec la vivacité de sa foi et de son génie *.

* Ces idées étaient universellement répandues, et comme elles prêtaient infiniment à la poésie, le plus grand poète latin s'en empara et les revêtit des couleurs les plus brillantes dans son Pollion, qui fut depuis traduit en assez beaux vers grecs, et lu dans cette langue au concile de Nicée par ordre de l'empereur Constantin. Certes il était bien digne de la divine Providence d'ordonner que ce cri du genre humain retentît à jamais dans les vers immortels de Virgile! (DE MAISTRE, Soirées de Saint-Pétersbourg, t. 11, 281, 316.)

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