Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

Ces scrupules font voir TRO de délicatesse.....

Que les érudits y prennent garde. Là, pour eux et pour leurs études, est le pire danger : tôt ou tard, et plus tôt qu'ils ne le croient peut-être, ces petites manies, ces affectations de rigueur dans des choses de soi fort indifférentes, détourneront d'eux et de leurs travaux et ce sera grand dommage ceuxlà mêmes qui les suivent avec le plus d'intérêt, ceux qui croient savoir comme eux le prix d'une édition bien faite, et ce que vaut un seul mot remis en sa place dans la prose d'un grand écrivain. Ne poussons pas trop loin le respect des autographes. Il ne suffit pas de pouvoir appliquer au n° 9,502 de la Bibliothèque nationale « les procédés de déchiffrement qu'on applique à la lecture des textes anciens »>, pour pouvoir de ce chef éditer les Pensées de Pascal. C'est quelque chose, ce sera même beaucoup si l'on veut; ce n'est pas tout, d'autant qu'ici nos bons déchiffreurs ont, pour les aider à bien lire, deux excellentes copies de l'autographe, dont l'une au moins est du XVIIe siècle, très claires, très faciles, autour desquelles on ne mène pas grand bruit, il est vrai, mais enfin qu'on ne laisse pas et l'on a bien raison de consulter très attentivement 1. Pour conduire à

[ocr errors]

1. Je n'insisterai pas sur l'utilité de ces copies, parce que je ne suis pas bien sûr que leur existence ne complique pas encore la difficulté du problème. Il ne laisse pas pourtant d'être fort heureux pour les éditeurs des Pensées qu'elles existent, et qu'une main patiente en ait numéroté chaque paragraphe d'un chiffre qui renvoie le lecteur aux pages du manuscrit original Victor Cousin s'en est beaucoup servi, comme le prouveraient d'amusants exemples. Il faut au moins en donner un. Dans la

bien l'entreprise, il y faut encore un peu de littérature, un peu de philosophie : quelque teinture de théologie s'y joindrait qu'on en trouverait l'emploi tout de même, et que l'édition ne pourrait qu'y gagner.

On ne s'imaginerait peut-être pas alors que, par la vertu d'un système de ponctuation, « le style de Pascal va complètement changer de caractère »>, et que trois ou quatre virgules supprimées, ajoutées ou déplacées dans une phrase, vont la rendre « plus ornée », de courte et de brève qu'elle était d'abord. Je cite les expressions du nouvel éditeur. Au fond, c'est tout simplement méconnaître ici l'une des beautés de la prose française du XVIIe siècle, je veux dire cet agencement savant, ou, pour donner l'idée de quelque chose de plus vivant, cette savante articulation des parties qui se tiennent si bien toutes ensemble, par le seul jeu des conjonctions, que le secours de la virgule et du point et virgule en devient presque superflu. Je me chargerais de ponctuer Bossuet rien qu'avec des points. Ce n'est pas encore là pourtant, de toutes les remarques de M. Molinier, la plus extra

dernière édition de ses Études sur Pascal, il écrivait : « Combien de fois n'a-t-on pas cité avec admiration cette expression déjà si belle : « dans l'enceinte de cet atome imperceptible »! Que dire de celle-ci, qui est la véritable leçon de Pascal : << dans l'enceinte de ce raccourci d'atome»! Mais il n'oubliait que de rappeler qu'il avait lu, dans les deux copies, «< raccourci d'abîme », qu'il l'avait admiré dans la même forme admirative et qu'il ne lut pour la première fois ce « raccourci d'atome » qu'après 1844, c'est-à-dire après l'édition Faugère. Preuve évidente que, s'il avait feuilleté l'autographe « avec une émotion douloureuse», sa douleur cependant ne l'avait pas empêché de se servir des deux copies, ni son émotion de les lire plus attentivement que l'autographe même.

ordinaire. Que penserons-nous, par exemple, de cette rare découverte qu'il ne faudrait plus aujourd'hui parler du style passionné de Pascal, attendu que

Pascal travaillait soigneusement son style avant d'arriver à une rédaction qui le satisfit complètement », et qu'il est bien difficile de trouver toute la passion que l'on prétend «< dans des fragments aussi soignés »? Quoi done? Ceux qui parlaient du style passionné de Pascal ignoraient-ils vraiment la tradition qui voulait que Montalte eût refait jusqu'à treize fois telle de ses Provinciales? Il y a là encore une qualité de la prose du xviie siècle que M. Molinier méconnaît. La raison y est toujours maîtresse, et la passion s'y déploie sous la règle. Ses accents en sont-ils pour cela moins tragiques dans la prose de Pascal ou moins éloquents dans le style de Bossuet? J'aimerais autant que l'on dît que les fables de La Fontaine manquent de naturel et de naïveté, parce qu'en effet le Bonhomme a « soigné » son style de plus près qu'aucun de ses contemporains. Le naturel n'est pas de parler comme parle une personne naturelle, mais de parler comme parle la nature; et ce n'est pas tout à fait la même chose.

Je sais bien qu'au résumé M. Molinier ne songe point à mal. Il ne conteste pas « l'admirable talent d'écrivain » de Pascal, et tout le monde lui saura bon gré de cette concession. Voilà Pascal rétabli dans ses titres; M. Auguste Molinier ne lui conteste point son talent d'écrivain. Mais pourquoi de ci, de là, jette-t-il fort imprudemment des réflexions qui donnent à penser que son «< admiration » serait quelque peu banale et, si j'ose le dire, plus souvent con

[ocr errors]

venue qu'éprouvée? C'est à l'endroit de ce fragment célèbre : « Ce chien est à moi, disaient ces pauvres enfants, c'est là ma place au soleil. Voilà le commencement et l'image de l'usurpation de toute la terre. » M. Havet, rapprochant un passage non moins connu de Rousseau: « Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile » 1, estimait que Pascal allait aussi loin, plus loin même que Jean-Jacques. M. Molinier n'est de cet avis, pas - et assurément c'est son droit, — mais voici sa raison : « Pascal émet une réflexion en passant, réflexion dont il n'aperçoit pas les conséquences pratiques, tandis que Rousseau... » C'est tout justement le contraire qu'il faut dire. Et peut-être n'est-il pas de différence qui sépare plus profondément entre eux nos grands écrivains du XVII et du XVIIIe siècle. C'est Pascal, et ce sont avec lui tous les écrivains de son temps, qui savent et qui calculent les conséquences pratiques de tout ce qu'ils écrivent, ce sont eux qui s'appuient à l'expérience et qui ne quittent pas du pied le terrain de la réalité, mais ce sont précisément les écrivains du xvIIIe siècle, c'est Voltaire trop souvent, ce sont les Diderot et les Rousseau surtout, qui se meuvent dans l'abstraction, dans le domaine de la pure logique, et qui bâtissent à l'aventure ces cités idéales ou plutôt fantastiques, plus fantastiques en vérité que la Néphélococcygie d'Aristophane lui-même. C'est Pascal qui sait « que

1. Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes, seconde partie.

l'art de fonder et de bouleverser les États est d'ébranler les coutumes établies, en sondant jusque dans leur source pour marquer leur défaut de justice », ou encore << que recourir aux lois fondamentales et primitives de l'État qu'une coutume injuste a abolies, c'est un jeu sûr pour tout perdre »; mais c'est le citoyen de Genève qui ne se doute pas de ces profondes et lamentables vérités. Il y a une connaissance des choses et des hommes plus profonde et plus sûre, un sens plus vif de la réalité, je ne dis pas dans les Maximes de la Rochefoucauld, mais dans les Mémoires du moindre frondeur que dans Diderot tout entier.

Ce n'est pas M. Molinier qui est en cause ici; ce n'est pas même seulement son édition des Pensées; ce sont certaines doctrines contemporaines et certaines habitudes fâcheuses qui se sont de notre temps introduites dans la critique. Comme il était devenu banal de louer le XVIIe siècle, il est original et neuf aujourd'hui d'en parler, le cas échéant, très légèrement, ou même avec une nuance de dédain. Sans doute, il ne faut être la dupe de personne, c'est le principe d'une sage critique; mais il faut aussi garder une mesure. M. Molinier ne l'a pas toujours gardée dans son introduction; il ne l'a pas gardée non plus dans son commentaire.

C'est ainsi qu'il ne semble pas se douter qu'il y a des expressions que l'on ne saurait employer, par respect pour l'importance des problèmes qu'agite l'âme de Pascal, et j'ajoute par respect pour le nom de Pascal. Quand Pascal, abîmé dans la contemplation de l'infini, s'écrie quelque part « que la dernière

« ZurückWeiter »