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poésie non seulement d'éclat et de couleur, mais de nombre et d'harmonie. Buffon, dit-on, n'imaginait pas de plus complet éloge des beaux vers que de les déclarer beaux comme de la belle prose. Sans doute, c'était une raillerie : depuis Chateaubriand, ce pourrait être l'expression de la vérité.

La conclusion, c'est que cette littérature de l'époque impériale ne mérite ni l'oubli, ni le superbe dédain de la critique et de l'histoire. Elle vaut la peine d'être connue. Toute notre littérature contemporaine en vient, et de jour en jour, à mesure que s'éteint le bruit des vieilles querelles, nous voyons plus clairement la liaison et le rapport. Nous sommes plus près de nos pères que nous ne voudrions le croire dans notre ardeur inconsidérée d'être originaux et de ne dater que de nous-mêmes. La meilleure part de notre originalité, c'est encore celle que nous a transmise la tradition. Les qualités dont nous sommes le plus fiers et les défauts dont nous nous montrons le plus orgueilleux, c'est d'héritage que nous les tenons. Beaucoup de choses qu'elle croyait avoir découvertes, l'école de 1830 n'a fait que de les retrouver; elle a continué beaucoup de choses qu'elle se vantait d'avoir créées. Ainsi jadis les spectateurs de la Révolution croyaient voir commencer sous leurs yeux une époque nouvelle de l'histoire du monde. Hommes et choses y dépassaient la mesure commune de l'histoire et de l'humanité. Cependant, à mesure que l'on étudiait avec plus d'attention et de liberté scientifique le caractère de l'événement, à mesure qu'on en pénétrait mieux le sens et qu'on en regardait plus froidement les suites qui continuaient à se dérouler, on le ramenait à ses

vraies proportions, on le rattachait à ses véritables origines, on y reconnaissait la conséquence nécessaire de toute notre histoire nationale, et jusque dans les géants de la Convention on retrouvait des Français de tous les temps, qui n'avaient plus de gigantesque et de surhumain que le piedestal sur lequel nous les avions élevés. Ils redevenaient la descendance légitime de ceux qui les avaient précédés, les ancêtres naturels de ceux qui les ont suivis, et, comme dans une seule maison, leurs haines, leurs actes, leurs espérances à tous étaient marqués au même air de famille. Tant il est vrai que, dans l'histoire des peuples et des hommes, il n'y a vraiment ni interruptions ni recommencements, et que, à mesure que nous nous éloignons davantage du passé, nous nous en rapprochons, en effet, puisque nous le comprenons mieux.

Décembre 1877.

APPENDICE

I

LA LANGUE ET LA LITTÉRATURE FRANÇAISES

AU MOYEN AGE

1

A MONSIEUR LE DIRECTEUR DE LA Revue des langues romanes.

Monsieur,

Paris, le 15 mai 1880.

Il vous paraîtra naturel que mon premier mot soit pour remercier la Revue des langues romanes, moins encore peutêtre de la gracieuse hospitalité qu'elle veut bien m'accorder, que de la publicité qu'elle a donnée d'abord au travail de

1. L'article qu'on a lu plus haut, sur l'Erudition contemporaine et la littérature du moyen âge, ayant eu le malheur de déplaire à quelques érudits, ils l'attaquèrent assez vivement, comme c'était leur droit et même leur devoir, sans en donner à la vérité d'autres ni de meilleures raisons que celle-ci, qu'il leur déplaisait parce qu'il leur déplaisait. Mais l'un d'eux, plus indulgent sans doute, M. Auguste Boucherie, dans la Revue des langues romanes, ayant plus sérieusement traité la question, je crus pouvoir lui répondre à mon tour; et, contre une opinion scientifiquement motivée, motiver moi-même plus fortement la mienne. C'est l'objet de cette lettre, que la Revue des langues romanes voulut bien accueillir en son temps, et que je reproduis parce qu'elle me semble ajouter quelque chose à l'article qui en fut l'occasion.

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M. Boucherie sur la Littérature française au moyen âge et la Revue des Deux Mondes. Quand, en effet, je fis paraître, dans la Revue des Deux Mondes, au mois de juin 1879, un article sur l'Erudition contemporaine et la littérature française au moyen âge, si quelques personnes voulurent bien m'en témoigner leur satisfaction 1, quelques autres ne laissèrent pas de m'en marquer, qui leur étonnement et qui leur indignation. Rien de plus naturel; et, s'il faut l'avouer, je n'avais pas écrit pour plaire à tout le monde. Mais ce que je ne constatai pas sans surprise, ni même sans quelque dépit, c'est que les philologues se bornaient à imprimer les mots d'incompétence notoire, d'ignorance profonde, et d'étrange aveuglement d'ailleurs, de raisons pas l'ombre d'une, et de discussion, pas même un commencement. J'attendais mieux de ces savants hommes. Car enfin, nous autres, purs littérateurs, comme on nous appelle avec une indulgence aiguisée d'un peu de dédain, quand nous disons d'un roman qu'il est mal écrit ou d'une pièce qu'elle est mal faite, nous apportons nos preuves et, consciencieusement, nous tâchons d'en faire voir ou toucher la solidité. Nous pouvons nous tromper; la question n'est pas là; mais, quelque jugement que nous prononcions, nous essayons de le motiver. Et c'est pourquoi j'aurais aimé que mes adversaires m'eussent montré quelques traits de mon incompétence, qu'ils m'eussent réduit à confesser la profondeur de mon ignorance, qu'ils m'eussent fait luire enfin, dans les ténèbres de mon aveuglement, un rayon de la pure lumière qui les éclaire. Était-ce trop leur demander?

Jugez donc, Monsieur, si je suis reconnaissant à M. Boucherie d'avoir bien voulu le premier condescendre à traiter sérieusement une question sérieuse, et que je croyais, au total, avoir pour ma part sérieusement traitée. J'avais donné mes raisons, M. Boucherie m'opposait les siennes. Je vais essayer de lui répondre. Orfèvres que nous sommes l'un et l'autre, il n'est ni probable que je persuade M. Boucherie, ni vraisemblable que M. Boucherie réussisse à me convaincre. Mais nous aurons du moins ainsi formé comme

1. Il se trouva même un Allemand, professeur à l'Université d'léna, pour traduire l'article.

une espèce de dossier de la question, et le public décidera, puisqu'aussi bien, tout érudit qu'il soit de profession, c'est au public que M. Boucherie, comme moi, fait appel.

Je commencerai par la fin, c'est-à-dire que je répondrai d'abord deux mots à la dernière ligne du Post-scriptum de M. Boucherie, relevant dans une Revue d'Allemagne un compte rendu de mon article, où M. Körting me reprochait de faillir au patriotisme, parce que j'avais refusé d'admirer immodérément la Chanson de Roland; reprenant l'argument à son compte; et s'écriant : « Est-ce d'outre-Rhin que nous devrions recevoir des leçons de patriotisme? » Si c'était l'occasion de rire, je répondrais qu'après tout, et d'outreRhin, et d'outre-Manche, et d'ailleurs, on peut recevoir des leçons de patriotisme. Si j'écrivais pour la galerie, je prendrais la chose au tragique. Mais j'aime mieux dire tout simplement qu'il ne me paraît pas que le patriotisme ait rien à voir dans la question.

On peut être honnête homme et faire mal les vers,

comme disait Alceste; on peut être bon patriote aussi, et ne faire pourtant grand cas ni de la Chanson de Roland, ni d'Aliscans, ni de la Chanson d'Antioche. M. Boucherie dira-t-il que j'ai fait moi-même intervenir le patriotisme dans la question? Il l'a dit : mais il faut qu'alors je me sois mal exprimé. Car, si j'ai dit et si je soutiens qu'il ne faut pas renoncer aux qualités de l'esprit français pour essayer de nous inoculer les qualités de l'esprit allemand, ce n'est qu'en tant et parce que je considère les qualités de l'esprit français comme esthétiquement supérieures aux qualités de l'esprit allemand. C'est ainsi que s'il s'était agi de musique, au contraire, et où d'ailleurs je ne me connais point, j'avoue que j'eusse parlé tout autrement et sacrifié, sans plus de scrupule, sur la parole des vrais musiciens notre Berlioz à leur Beethoven. C'est encore ainsi que, s'il s'était agi de peinture, j'aurais sacrifié, sans balancer, toute l'école française depuis Clouet jusques et y compris M. Bastien Lepage aux grandes écoles italiennes. Et je ne me serais pas cru pour cela plus mauvais patriote. Il ne faut pas brouiller les questions.

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