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pris; d'où j'étois parti pour y venir; qui est-ce qui m'y avoit conduit, par où j'avois passé. Je fixai un temps. Je dis que j'avois loué sur la route des gens que je ne connoissois pas, pour porter mes effets, et qu'ils s'en étoient retournés. J'assignai aussi plusieurs endroits de marché par où j'avois passé, où il n'y avoit pas de chrétiens. Je fus interrompu sur l'époque du temps, qui ne s'accordoit pas avec ce que les chrétiens avoient déclaré. Je dis Qu'on les fasse venir. En effet, ils furent appelés et le mandarin leur dit : N'est-il pas vrai que vous êtes allés chercher votre maître dans tel endroit; que vous l'avez conduit vous-mêmes chez vous, et qu'il y étoit depuis tel temps? Les chrétiens le reconnurent. Je dis passe, ce sont leurs affaires. La séance finit par là. Il y eut ordre de me mettre en prison. Je fus mis aux fers, et on me donna des menottes fort serrées. On me fit coucher au milieu d'une troupe de bandits, avec un satellite, pour avoir soin de moi. Dieu me fit la grâce d'y être fort content. Je leur parlai de la religion une partie de la nuit ; je sommeillai un peu. Le lendemain, mon satellite m'ôta mes menottes ; le mandarin m'envoya à dîner et à souper très-honnêtement; et, le surlendemain, je partis en chaise portée par quatre hommes, avec une grande troupe de satellites et de mandarins, qui m'accompagnoient pour me conduire à Tching-Tou. A moitié chemin, celui qui tenoit la place de gouverneur de la province ordonna d'accélérer le voyage: on me fit faire dix-sept lieues en un jour. Je puis bien dire avoir été en spectacle aux hommes. On venoit de tout côté pour me voir; partout on m'interrogeoit ; et je prêchois la religion sans que les mandarins conducteurs s'en missent en peine, excepté une fois qu'on me conduisit dans une pagode (ou temple d'idoles), pour reposer. Le peuple accourut en foule, il y vint même un bonze de la pagode; je l'entrepris devant tout le monde. Il y avoit une grande idole à la porte; je lui demandai: De quelle matière est faite cette idole? Elle est de pierre. Mais ses yeux, ses oreilles et son nez, sont-ils aussi de pierre. Oui. Des yeux de pierre peuvent-ils voir? un nez de pierre peut-il flairer les odeurs? une oreille de pierre entendre les sons ? Non. Toute idole ne voit donc rien. Tu lui brûles des odeurs, elle n'en flaire point; tu lui fais des prières, elle ne t'entend point; n'est-ce pas manifestement se tromper soi-même en trompant les autres ? Je n'entends rien à tout cela, répondit le bonze. Le mandarin du

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lieu vint nous interrompre, et dit que ce n'étoit pas là le lieu pour prêcher. Je lui dis que la vérité pouvoit şe dire partout. I me fit entrer dans l'intérieur, et ne permit plus à personne d'y venir. Les mandarins des lieux par où je passois venoient et me faisoient beaucoup de politesses. Je pense qu'ils avoient peur que je ne dénonçasse leurs districts,

» Enfin j'arrivai à Téhing-Tou, environ dix jours après ma prise. Je fus conduit chez le lieutenant criminel; il me fit renfermer dans la prison destinée aux mandarins. Le lendemain, je parus devant lui: presque tous les mandarins de la ville étoient assemblés; il me demanda si j'avois quelque degré relatif aux études de mon pays. Je déclarai que j'étois docteur en théologie. Les questions par rapport à mon entrée en Chine furent les mêmes que dans mon autre interrogatoire, ainsi que les réponses; mais celles des chrétiens, qu'on avoit pris en bon nombre, ne s'accordoient pas avec les miennes. Je dis ce que j'ai déclaré jusqu'à présent est la vérité; mais il ne m'est pas permis de tout dirè, parce que ma religion me défend de nuire à qui que ce soit. Si les chrétiens s'accusent eux-mêmes, ce sont leurs affaires; je puis acquies. cer à ce qu'ils diront de vrai; seulement je demande confrontation. Il me demanda là-dessus si ce n'étoit pas le nommé Tchang qui m'avoit conduit au Su Tchuen, ajoutant que je pouvois bien l'avouer, puisqu'il le reconnoissoit lui-même. Je répondis que je ne le reconnoissois pas comme mon introducteur; qu'au reste, s'il l'avouoit, qu'on le fit venir. Les mandarius dirent en riant: il ne nous croit pas sur notre parole. Le chrétien fut appelé. Je l'interrogeai moi-même : est-il vrai que tu as déclaré que c'est toi qui m'as introduit et m'as conduit dans la maison d'un tel (mon catéchiste, sous le nom duquel est achetée la maison où nous demeurions, et qui avoit été dénoncé aux mandarins)? Il dit que oui; je lui répliquai: souviens-toi que c'est toi qui t'accuses, et non pas moi; tu dis vrai. Quatre autres familles prises avoient aussi déclaré m'avoir reçu chez elles. Notre courrier Louis fut ensuite dénoncé comme allant tous les ans à Canton, depuis plusieurs années, chercher mon viatique, que les chrétiens avoient dit se monter à six ou sept cents piastres. Je reconnus le tout, Il fut donc arrêté que, onze ans auparavant, le nommé Baptiste Tchang, muni d'une lettre de M. André Ly (ancien missionnaire chinois), étoit allé à Canton pour y chercher un missionnaire; qu'il avoit lié amitié avec un nommé Paul Tching (ancien cuisinier de la Tome 2o.

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procure des missionnaires français à Macao), avec lequel je demeurois, et que celui-ci lui avoit procuré une entrevue avec moi; que j'étois convenu de le suivre au Su-Tchuen; qu'arrivé à Tching Tou, dans la maison de Tang (c'est le nom du catéchiste dont j'ai déjà parlé), j'avois prêché la religion à tous ceux qui avoient voulu l'entendre ; que de là je m'étois rendu à Ouen-Kiang, chez telle famille; à TrougKin-Tcheou, chez telle autre, à Syhim et Tieu-Tsuen, chez deux autres, où j'avois pareillement prêché; ce que j'avois continué de faire jusqu'à présent. Toutes les familles s'étoient dénoncées elles mêmes. On ne voulut pas de mes trois mille chrétiens; on dit qu'il falloit écrire qu'il y en avoit beaucoup, et que je ne pouvois pas m'en rappeler le nombre, parce qu'autrement l'empereur ne seroit pas content.

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connu,

Après cette première séance, le lieutenant criminel me fit ôter mes chaînes; je le laissai faire, parce que je me trouvois très-foible. Il ordonna que je fusse bien traité. Il in'envoya des œufs, du poisson et autres choses à manger. Le lendemain, je fus appelé en jugement; il me demanda s'il y avoit des Européens; je dis que je n'en connoissois pas. Il répliqua : Mais il y a le nommé Li-To-Luc, que le frère de Baptiste Tchang a conduit à Tching-Tou, il y a huit ans. Je fus extraordinairement surpris d'entendre ce nom, qui étoit celui de M. Dufresse. Je répondis que cet homme ne devoit pas être au Su-Tchuen; qu'à la vérité je l'avois mais que la persécution devoit l'avoir fait sortir de la province, ne pouvant plus s'y tenir caché, et que je n'en avois plus entendu parler depuis cinq mois. Ils supposèrent que, s'il en étoit ainsi, il devoit être au CheuSi. Après cela, on me fit sortir de l'audience, et on m'introduisit, en attendant, dans une salle où les mandarins et les officiers du prétoire s'assembloient pour se reposer. Là, j'entendis dire qu'il y avoit un ordre exprès du gouverneur de se saisir de M. Dufresse, quoi qu'il en coûtât; qu'on avoit envoyé partout des espions, et un exprès qui devoit faire cinquante lieues par jour, pour le chercher dans certains endroits de sa chrétienté et ailleurs. On me dit qu'on n'ignoroit pas qu'il y avoit des Européens dans la province, et que, celui-ci une fois pris, l'affaire finiroit. On m'envoya dans ma prison, où j'avois beaucoup de liberté.

>> Pensant en moi-même à cet événement, et craignant que les recherches si sévères et si étendues qu'on faisoit de M. Dufresse ne fissent découvrir d'autres confrères, comme il étoit

arrivé à Kin-Tang, je conçus le projet de lui écrire, et de l'engager à se produire. Je le fis au bout de deux jours, et d'autant plus volontiers, que je voyois, à la manière honnête dont j'étois traité, aux louanges qu'on donnoit partout à la religion, et aux promesses que les mandarins faisoient, que l'empereur feroit grace, qu'il n'avoit craint que la rébellion, et que certainement il n'y en avoit pas. Ce cher confrère reçut ma lettre, et arriva douze jours après. Pendant cet intervalle, il vint un ordre d'arrêter M. Delpon. Il avoit été dénoncé à Canton par les domestiques du procureur de la Propagande, ainsi que tous les missionnaires de cette congrégation; et on avoit déclaré que M. Delpon étoit passé au Su-Tchuen. Je laisse à penser dans quel embarras je me trouvai alors. Je fus interrogé, ainsi que les chrétiens. D'abord je refusai de le reconnoître; le lieutenant criminel me fit lire les dépositions qu'il venoit de recevoir. On y avoit mis clairement le jour où il étoit parti de Canton. Les chrétiens le reconnurent, et tléclarèrent l'endroit où il étoit. Les mandarins dirent que si cet homme n'étoit pas pris, c'en étoit fait de tous les mandarins de la province, parce qu'il étoit dénoncé à l'empereur, et qu'il le demandoit. Je le reconnus, je dis que je l'avois vu sept à huit fois auparavant; mais que, depuis, je n'en avois pas reçu de nouvelles. On alla chercher dans l'endroit dénoncé, et il ne s'y trouva point. Les chrétiens de cet endroit furent extraordinairement persécutés à son occasion. Un d'eux reçut trois fois la torture aux jambes, et force soufflets, etc., au point que les mandarins désespéroient de sa vie. Cependant il en est revenu. Les chrétiens, épouvantés, me prièrent d'écrire à M. Delpon, pour l'engager à se rendre. Je crus bien faire, dans les circonstances, en lui écrivant. Il se rendit; mais les mandarins eurent de violens soupçons qu'il y avoit encore d'autres Européens, surtout dans la partie orientale, qui est si grande, et où il y a tant de chrétiens. Je dis que je répondois qu'il n'y en avoit point. Croyant M. Devaut dans la province de Kouei-Tcheuon, où je savois qu'il étoit allé; que M. Delpon étant venu pour remplacer M. Moye, qu'un apostat de Tching. Ton avoit déclaré être retourné l'année précédente à Canton, il étoit tont naturel de penser qu'il seroit pour cette partie quand il sauroit la langue. Ces raisons ne les convainquirent pas; ils mirent tous les chrétiens à la question, et M. Devaut fut dénoncé comme étant chez la famille Ly, à Tchong-KinFou. Je dis que c'étoit en vain qu'on iroit le chercher, parce

que je pouvois répondre qu'il n'étoit pas dans la province. » On ne me crut pas. Un mandarin fut député avec des satellites; il se rendit chez la famille Ly, qui déclara qu'il étoit allé à Konei-Tcheou, et qu'ensuite, revenu de là, il avoit passé quelque temps chez elle, et que, pour le présent, il étoit allé on ne savoit où. Les recherches furent donc les plus sévères dans cette partie. Les chrétiens, hommes et femmes, furent dans la plus grande désolation. Ensuite il courut un bruit qu'il s'étoit retiré du côté de Soui-Fou. On y alla, et cette partie fut aussi désolée que l'autre. Il y eut des vierges conduites au prétoire. M. André Yang, prêtre chinois, fut au moment de l'être avec M. Devaut; ils échappèrent je ne sais comment. Au bout d'un mois et plus, on conduisit a Tching Ton beaucoup de chrétiens des districts de ces deux chers confrères. Plusieurs de la famille Ly furent mis à la question. On donna à cette famille un mois de répit, en lui déclarant que si dans un mois l'Européen ne paroissoit pas. toute la famille seroit emprisonnée sans aucune miséricorde; parce que, disoit on, le gouverneur de la province, qui avoit écrit à l'empereur qu'il n'y avoit pas d'Européens dans la province, sachant maintenant que M. Devant y étoit, vouloit absolument l'avoir. Les mandarins ajoutoient que, sa dignité y étant intéressée, il sacrifieroit tout pour cela.

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» M. André Yang, ayant été conduit à Tching-Ton, me fit prier d'écrire à M. Devaut. Je n'en voulus rien faire ; plusieurs autres chrétiens me pressèrent de même, je refusai. La famille Ly me fit de fortes instances; c'est une des bienfaitrices de la mission. Pour lors je pris conseil avec M. Delpon, que j'eus la liberté de voir, et il jugea qu'il étoit expédient de le faire. J'écrivis donc, et je partis le méme jour pour Pékin, avec M. Dufresse. Les deux autres missionnaires étant censés avoir été pris par le propre gouver, neur, tandis que nous deux avions été pris par le lieutenant général d'armée, qui tenoit la place de gouverneur en son absence, on jugea qu'il falloit attendre le retour du gouverneur, et ne pas donner aussitôt à Pékin nouvelle de la découverte de MM. Delpon et Devaut.

» On nous conduisit trop honorablement : nous avions chacun une chaise à quatre porteurs, et deux mandarins, qui nous faisoient manger à leur table, aux frais du public ou de l'empereur. Ce voyage dura trente-huit jours. Nous arrivâmes à Pékin le 28 avril. Présentés le lendemain au tribunal appelé King-Pou, où se décident les affaires des grands cri

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