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DANS ces divers gouvernemens, toutes les magiftratures furent d'abord électives, & quand la richeffe ne l'emportoit pas, la préférence é-toit accordée au mérite qui donne un afcendant naturel, & à l'âge qui donne l'expérience dans les affaires & le fang froid dans les délibérations. Les Anciens des Hébreux, les Gérontes de Spartes, le Sénat de Rome, & l'étimologie même de notre mot Seigneur montrent com. bien autrefois la vieilleffe étoit refpectée. Plus les élections tomboient für des hommes avancés en âge, plus elles devenoient fréquentes, & plus leurs embarras fe faifoient fentir; les brigues s'introduifirent, les factions se forinerent, les partis s'aigrirent, les guerres civiles s'allumerent, enfin le fang des citoyens fut fa crifié au préteudu bonheur de l'Etat, & l'op fut à la veille de retomber dans l'anarchie des tems antérieurs. L'ambition des Principaux pro fita de ces circonftances pour perpétuer leurs charges dans leurs familles : le peuple déjà ac coutumé à la dépendance, au repos & aux commodités de la vie, & déjà hors d'état de brifer fes fers, confentit à laiffer augmenter fa fervitude pour affermir fa tranquilité; & c'est ainfi que les chefs devenus héréditaires s'accous tumerent à regarder leur magiftrature comme un bien de famille, à fe regarder eux-mêmes comme les propriétaires de l'Etat dont ils n'g

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toient d'abord que les officiers, à appeller Feurs concitoyens leurs efclaves, à les compter, comme du betail au nombre des chofes qui leur appartenoient, & à s'appeller eux-mêmes é gaux aux Dieux & Rois des Rois..

Si nous fuivons le progrès de l'inégalité dans ces différentes révolutions, nous trouverons que l'établissement de la loi & du droit de propriété fut fon premier terme, l'inftitution de la magiftrature le fécond, que le troifieme & dernier fut le changement du pou voir légitime en pouvoir arbitraire; en forte que l'état de riche & de pauvre fut autorisé : par la premiere époque, celui de puiffant & de foible par la feconde, & par la troisieme celui de maître & d'efclave, qui eft le dernier dégré de l'inégalité & le terme auquel 'abouti fent enfin tous les autres, jufqu'à ce que de nouvelles révolutions diffolvent tout à fait le gouvernement, ou le raprochent de l'inftitu tion légitime.

POUR comprendre la néceffité de ce progrès : il faut moins confidérer les motifs de l'établif fement du corps politique que la forme qu'il prend dans fon exécution & les inconvéniens qu'il entraîne après lui: car les vices qui ren dent néceffaires les inftitutions sociales, font les mêmes qui en rendent l'abus inévitable; & comme, excepté la feule Sparte, où la loi

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veilloit principalement à l'éducation des enfans, & où Lycurgue établit des mœurs qui le difpen→ foient prefque d'y ajouter des loix, les loix en général moins fortes que les paffions contien nent les hommes fans les changer, il feroit affé de prouver que tout gouvernement qui, fans fe corrompre ni s'altérer, marcheroit toujours exactement felon la fin de fön institution, roit été inftitué fans néceffité, & qu'un pays où perfonne n'éluderoit les loix & n'abuferoit de la magiftrature, auroit befoin ni de magiftrats ni de loix..

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LES diftinctions politiques amenent nécess fairement les diftinctions civiles. L'inégalité croiffant entre le peuple & ses chefs, se fait Bientôt fentir parmi les particuliers, & s'y mo difie en mille manieres felon les paffions, les talens & les occurrences. Le Magiftrat ne fau *roit ufurper un pouvoir illégitime fans fe faire des créatures auxquelles il eft forcé d'èn céder quelque partie. D'ailleurs, les citoyens ne se laiffent opprimer qu'autant qu'entraînés par une avcugle ambition & regardant plus au - deffous qu'au - deffus d'eux, la domination leur devient plus chere que l'indépendance, & qu'ils confentent à porter dès fers pour en pouvoir don ner à leur tour. Il est très difficile de réduire à l'obéiffance celui qui ne cherche point à commander, & le Politique le plus adroit ne vien

droit pas à bout d'affujettir des hommes qui ne voudroient qu'être libres; mais l'inégalité s'étend fans peine parmi des ames ambitieufes & lâches, toujours prêtes à courir les risques de la fortune, & à dominer ou fervir prefque in-différemment felon qu'elle leur devient favorable ou contraire. C'eft ainfi qu'il dut venir un tems où les yeux du peuple furent fascinés à tel point que fes conducteurs n'avoient qu'à dire au plus petit des hommes: fois grand toi & toute ta race, auffi-tôt il paroiffoit grand às tout le monde ainfi qu'à fes propres yeux, & fes defcendans s'élevoient encore à mefure qu'ils s'éloignoient de lui; plus la cause étoit reculée & incertaine, plus l'effet augmentoit; plus. on pouvoit compter de fainéans dans une famil le, & plus elle devenoit illuftre.

Si c'étoit ici le lieu d'entrer en des détails, j'expliquerois facilement comment l'inégalité de crédit & d'autorité devient inévitable entre les 15.) particuliers (* 15.) fitôt que réunis en une même fociété ils font forcés de fe comparer entr'eux, & de tenir compte des différences qu'ils trouvent dans l'ufage continuel qu'ils ont à fai re les uns des autres. Ces différences font de: plufieurs efpeces; mais en général la richeffe, la nobleffe ou le rang, la puiffance & le mérite perfonnel, étant les diftinctions principales par lefquelles on fe mefure dans la Société, je

prouverois que l'accord ou le conflict de ces forces diverfes eft l'indication la plus fûre d'un: Etat bien ou mal conftitué : je ferois voir qu'en tre ces quatre fortes d'inégalité, les qualités perfonnelles étant l'origine de toutes les autres, la richeffe eft la derniere à laquelle elles fe réduifent à la fin, parce qu'étant la plus immédiatement utile au bien-être & la plus facile à communiquer, on s'en fert aifément pour acheter tout le refte. Obfervation qui peut faire juger assez exactement de la mesure dont chaque Peu-ple s'eft éloigné de fon inftitution primitive, & du chemin qu'il a fait vers le terme extrême de la corruption. Je remarquerois combien ce défir univerfel de réputation, d'honneurs, & de préférences, qui nous dévore tous, exerce & compare les talens & les forces, combien il excite & multiplie les paffions, & combien ren-dant tous les hommes concurrens, rivaux ou plutôt ennemis, il caufe tous les jours de revers, de fuccès, & de catastrophes de toute efpece en faifant courir la même lice à tant de prétendans. Je montrerois que c'eft à cette ar deur de faire parler de foi, à cette fureur de fe diftinguer qui nous. tient prefque toujours.. hors de nous-mêmes, que nous devons ce qu'il y a de meilleur. & de pire parmi les hommes, nos vertus & nos vices, nos fciences & nos er-reurs, nos Conquérans & nos Philofophes, c'eft

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