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ton hiftoire telle que j'ai cru la lire, non dans les livres de tes femblables qui font menteurs, mais dans la Nature qui ne ment jamais. Tout ce qui fera d'elle, fera vrai: il n'y aura de faux que ce que j'y aurai mêlé du mien fans le vouloir. Les temps dont je vais parler font bien éloignés: combien tu as changé de ce que tu étois! C'eft pour ainfi dire la vie de ton efpece que je te vais décrire d'après les qualités que tu as reçues, que ton éducation & tes habitudes ont pu dépraver, mais qu'elles n'ont pu détruire. Il y a, je le fens, un âge auquel l'homme individuel voudroit s'arrêter; tu chercheras l'âge auquel tu defircrois que ton efpece fe fût arrêtée. Mécontent de ton état préfent, par des raifons qui annoncent à ta postérité malheureuse de plus grands mécontentemens encore, peut-être voudrois - tu pouvoir rétrograder; & ce fen. timent doit faire l'éloge de tes premiers ayeux, la critique de tes contemporains, & l'effroi de ceux, qui auront le malheur de vivre après toi.

PREMIERE PARTIE..

QUELQUE important qu'il foit, pour bien ju

ger de l'état naturel de l'homme, de le confidérer. dès fon origine, & de l'examiner, pour.ain

fi dire, dans le premier embryon de l'efpece; je ne suivrai point fon organisation à travers fes dévéloppemans fucceffifs: je ne m'arrêterai pas à rechercher dans le Syftême animal ce qu'il put être au commencement, pour devenir enfin ce qu'il eft. Je n'examinerai pas fi, comme le penfe Ariftote, fes ongles alongés ne furent point d'abord des griffes crochues; s'il n'étoit point velu comme un ours, & fi marchant à quatre (3.) pieds, (3.) fes regards dirigés vers la Terre, & bornés à un horizon de quelques pas, ne marquoient point à la fois le caractere, & les limites de fes idées. Je ne pourrois former fur ce fujet que des conjectures vagues, & prefque. imaginaires L'Anatomie comparée a fait encore trop peu de progrès, les obfervations des Na-turalistes font encore trop incertaines, pour qu'on puiffe établir fur de pareils fondemens la baze d'un raifonnement folide; ainfi, fans a voir recours aux connoiffances furnaturelles que • nous avons fur ce point, & fans avoir égard aux changemens qui ont dû furvenir dans la conformation, tant intérieure qu'extérieure de l'homme, à mesure qu'il appliquoit fes membres à de nouveaux ufages, & qu'il fe nourisfoit de nouveaux alimens, je le fuppoferai conformé de: tous temps, comme je le vois aujourd'hui, marchant à deux pieds, fe fervant de fes mains comme nous faifons des nôtres, portant fes re

gards fur toute la Nature, & mefurant des yeux la vafte étendue du Ciel.

EN dépouillant cet être, ainfi conftitué, de tous les dons furnaturels qu'il a pu recevoir, & de toutes les facultés artificielles qu'il n'a pu acquérir que par de longs progrès; en le confiderant, en un mot, tel qu'il a dû fortir des mains de la Nature, je vois un animal moins fort que les uns, moins agile que les autres, mais à tout prendre, organifé le plus avantageufement de tous je le vois fe raffafiant fous un chêne, fe défalterant au premier ruiffèau, trouvant fon lit au pied du même arbre qui lui a fourni fon repas, & voilà fes befoins fatisfaits.

LA Terre abandonnée à fa fertilité naturelle (* a.), & couverte de forêts immenfes que la (* a.) coignée ne mutila jamais, offre à chaque pas des magazins & des retraites aux animaux de toute efpece.. Les hommes difperfés parmi eux, ob fervent, imitent leur induftrie, & s'élevent ain fi jufqu'à l'instinct des bêtes, avec cet avantage que chaque efpece n'a que le fien propre, & que l'homme n'en ayant peut-être aucun qui lui ap. partienne, fe les approprie tous, fe nourrit également de la plupart des alimens divers (* 4.) (*4.). que les autres animaux fe partagent, & trouve par conféquent fa fubfiftance plus aifément que ne peut faire aucun d'eux.

ACCOUTUME's dès l'enfance aux intempé

ries de l'air, & à la rigueur des faifons, exer cés à la fatigue, & forcés de défendre nuds & fans armes leur vie & leur proie contre les autres bêtes féroces, ou de leur échapper à la courfe, les hommes fe forment un tempérament robufte & prefque inaltérable; les enfans, appor tant au monde l'excellente conftitution de leurs peres, & la fortifiant par les mêmes exercices qui l'ont produite, acquierent ainfi toute la vi gueur dont l'efpece humaine eft capable. La Nature en ufe précisément avec eux comme la loi de Sparte avec les enfans des citoyens; elle rend forts, & robuftes ceux qui font bien conftitués & fait périr tous les autres; différente en cela de nos fociétés où l'Etat, en rendant les enfans onéreux aux peres, les tue indistinctement avant leur naiffance.

Le corps de l'homme fauvage étant le feul' inftrument qu'il connoiffe, il l'emploie à divers ufages, dont, par le défaut d'exercice, les nôtres font incapables; & c'eft notre induftrie qui nous ôte la force & l'agilité que la néceffité l'o blige d'acquerir. S'il avoit eu une hache, fon poignet romproit-il de fi fortes branches? S'il avoit eu une fronde, lanceroit-il de la main une pierre avec tant de roideur? S'il avoit eu une échelle, grimperoit-il fi légèrement fur un arbre? S'il avoit eu un cheval, feroit-il fi vîte à la courfe? Laiffez à l'homme civilifé le tems de

raffembler toutes fes machines autour de lui, on ne peut douter qu'il ne furmonte facilement l'homme fauvage; mais fi vous voulez voir un combat plus inégal encore, mettez-les nuds & dės-armés vis-à-vis l'un de l'autre, & vous re connoîtrez bientôt quel eft l'avantage d'avoir fans ceffe toutes fes forces à fa difpofition, d'être toujours prêt à tout évenement, & de fe porter, pour ainfi dire, toujours tout entier avec foi (* 5).

HOBBES prétend que l'homme eft naturellement intrépide, & ne cherche qu'à attaquer, & combattre. Un Philofophe illuftre pense au contraire, & Cuinberland & Puffendorff l'affurent auffi, que rien n'eft fi timide que l'homme dans l'état de Nature, & qu'il eft toujours tremblant, & prêt à fuir au moindre bruit qui le frappe, au moindre mouvement qu'il apperçoit. Cela peut être ainfi pour les objets qu'il ne connoit pas, & je ne doute point qu'il ne foit effrayé par tous les nouveaux fpectacles, qui s'offrent à lui, toutes les fois qu'il ne peut diftinguer le bien & le mal phyfiques qu'il en doit attendre, ni comparer fes forces avec les dangers qu'il a à courir; circonftances rares dans l'état de Nature, où toutes chofes marchent d'une maniere fi uniforme, & où la face de la Terre n'eft point fujette à ces changemens brufques & continuels qu'y caufent les paffions, & l'inconftance des

(* s.)

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