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peuples réunis. Mais l'homme Sauvage vivant difperfé parmi les animaux, & fe trouvant de bonne heure dans le cas de fe mefurer avec eux, i en fait bientôt la comparaifon, & fentant qu'il les furpaffe plus en adreffe qu'ils ne le furpaffent en force, il apprend à ne les plus craindre. Mettez un ours, ou un loup aux prifes avec un Sauvage robufte; agile, courageux comme ils font tous, armé de pierres, & d'un bon bâton', & vous verrez que le peril fera tout au moins réciproque, & qu'apres plufieurs expériences pareilles, les bêtes féroces qui n'aiment point à s'attaquer l'une à l'autre, s'attaqueront peu volontiers à l'homme, qu'elles auront trouvé tout auffi féroce qu'elles. A l'égard des animaux qui ont réellement plus de force qu'il n'a d'adreffe, il eft vis à vis d'eux dans le cas des autres efpeces plus foibles, qui ne laiffent pas de subsister, avec cet avantage pour l'homme, que non moins difpofés qu'eux à la courfe, & trouvant fur les arbres un refuge prefque affuré, il a par-tout le prendre & le laiffer dans la rencontre, & le choix de la fuite ou du combat. Ajoutons qu'il ne paroît pas qu'aucun animal faffe naturellement la guerre à l'homme, hors le cas de fa propre défense ou d'une extrême faim, ni témoigne contre lui de ces violentes antipathies qui femblent annoncer qu'une espece est destinée par la Nature à fervir de pâture à l'autre.

D'AUTRES ennemis plus redoutables, & dont l'homme n'a pas les mêines moyens de fe défendre, font les infirmités naturelles, l'enfance, la vicilleffe, & les maladies de toute efpece; triftes fignes de notre foibleffe, dont les deux premiers font communs à tous les animaux & dont le dernier appartient principalement à l'homme vivant en fociété. J'obferve même, au fujet de l'enfance, que la mere portant par-tout fon, enfant avec elle, a beaucoup plus de facilité à le nourrir que n'ont les femelles de plufieurs animaux, qui font forcées d'aller & venir fans, ceffe avec beaucoup de fatigue, d'un côté pour chercher leur pâture, & de l'autre pour alaiter ou nourrir leurs petits. Il eft vrai que fi la femme vient à périr, l'enfant rifque fort de périr avec elle; mais ce danger eft commun à cent autres efpeces, dont les petits ne font de longtems en état d'aller chercher eux-mêmes leur nourriture; & fi l'enfance eft plus longue parmi nous, la vie étant plus longue auffi, tout eft encore à peu près égal en ce point, (* d.) quoi (* d.) qu'il y ait fur la durée du premier âge, & fur le nombre des petits, (* 6.) d'autres regles qui (6.) ne font pas de mon fujet. Chez les vieillards, qui agiffent & tranfpirent peu, le befoin d'alimens diminue avec la faculté d'y pourvoir; & commne la vie fauvage éloigne d'eux la goûte & les rhumatifines, & que la vicilleffe eft de tous les maux

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celui que les fecours humains peuvent le moins foulager, ils s'éteignent enfin, fans qu'on s'apperçoive qu'ils ceffent d'être, & prefque fans s'en appercevoir eux-mêmes.

A l'égard des maladies, je ne répeterai point les vaines & fauffes déclamations, que font contre la Médecine la plupart des gens en fanté; mais je demanderai s'il y a quelque obfervation folide de laquelle on puiffe conclure que dans les pays, où cet art est le plus négligé, la vie moyenne de l'homme foit plus courte que dans ceux où il eft cultivé avec le plus de foin. Et comment cela pourroit-il être, fi nous nous donnons plus de maux que la Médicine ne peut nous fournir de remedes! L'extrême inégalité dans la maniere de vivre, l'excès d'oifiveté dans les uns, l'excès de travail dans les autres, la facilité d'irriter & de fatisfaire nos appétis & notre fenfualité, les alimens trop recherchés des riches, qui les nourriffent de fucs échauffants & les accablent d'indigeftions, la mauvaise nourriture des pauvres dont ils manquent même le plus fouvent & dont le défaut les porte à furcharger avidement leur eftomac dans l'occafion, les veilles, les excès de toute efpece, les transports immodérés de toutes les paffions, les fatigues & l'é-` puifement d'efprit, les chagrins & les peines fans nombre qu'on éprouve dans tous les états, & dont les ames font perpétuellement rongées; voj

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là les funeftes garands que la plupart de nos maux font notre propre ouvrage, & que nous les aurions presque tous évités, en confervant la maniere de vivre fimple, uniforme, & folitaire qui nous étoit prescrite par la Nature. Si elle nous a destinés à être fains, j'ose presque affurer que l'état de réflexion eft un état contre Nature, & que l'homme qui médite eft un animal dépravé. Quand on fonge à la bonne conftitution des Sauvages, au- moins de ceux que nous n'avons pas perdus avec nos liqueurs fortes; quand on fait qu'ils ne connoiffent prefque d'autres maladies que les bleffures & la vieilleffe, on eft très-porté à croire qu'on feroit aifément l'hiftoire des maladies humaines en fuivant celle des fociétés civiles. C'eft au moins l'avis de Platon, qui juge, fur certains remedes employés ou approuvés par Podalyre & Macaon au fiége de Troie, que diverfes maladies que ces remedes devoient exciter, n'étoient point encore alors connues parmi les hommes.

AVEC fi peu de fources de maux, l'homme dans l'état de Nature n'a donc gueres befoin de remedes, moins encore de Médecins, l'ef pece humaine n'eft point non plus à cet égard de pire condition que toutes les autres, & il eft aifé de favoir des chaffeurs fi dans leurs courfes ils trouvent beaucoup d'animaux infir

mes. Plufieurs en trouvent-ils qui ont reçu des bleffures confidérables très-bien cicatrifées, qui ont eu des os & même des membres rompus & repris fans autre Chirurgien que le tems, fans autre régime que leur vie ordinaire, & qui n'en font pas moins parfaitement guéris, pour n'avoir point été tourmentés d'incifions, empoifonnés de drogues, ni exténués de jeûnes. Enfin, quelque utile que puiffe être parmi nous la Médecine bien adminiftrée, il est toujours certain que, fi le Sauvage malade abandonné à luimême n'a rien à efpérer que de la Nature, revanche il n'a rien à craindre que de fon mal, ce qui rend fouvent fa fituation préferable à la nôtre.

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GARDONS-nous donc de confondre l'homme fauvage avec les hommes que nous avons fous les yeux. La Nature traite tous les animaux abandonnés à fes foins avec une prédilection qui femble montrer combien elle est jaloufe de ce droit. Le Cheval, le Chat, le Taureau, l'Ane même ont la plûpart une taille plus haute, tous une conftitution plus robufte, plus de vigueur, de force, & de courage dans les forêts que dans nos maifons; ils perdent la moitié de ces avantages en devenant domeftiques, & l'on diroit que tous nos foins à bien traiter & nourrir ces animaux, n'aboutiffent qu'à les abatardir. Il en eft ainfi de l'homme

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