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le rend à la longue le tyran de lui-même, & de (*7.) la Nature. (*7.) Il feroit affreux d'être obligé

de louer comme un être bien-faifant celui qui le premier fuggera à l'habitant des rives de l'Orenoque l'ufage de ces ais qu'il applique fur les tempes de fes enfans & qui leur affurent du moins une partie de leur imbécilité, & de leur bonheur originel.

L'HOMME fauvage livré par la Nature an feul instinct, ou plutôt dédommagé de celui qui Jui manque peut-être, par des facultés capables d'y fuppléer d'abord & de l'élever enfuite fort au-deffus de celle là, commencera donc par les (*.) fonctions purement animales: (*8.) appercevoir & fentir fera fon premier état, qui lui fera commun avec tous les animaux. Vouloir & ne pas vouloir, defirer & craindre, feront les premieres & prefque les feules opérations de fon ame, jusqu'à ce que de nouvelles circonftances y caufent de nouveaux développemens.

QUOIQU'EN difent les Moraliftes, l'entendement humain doit beaucoup aux paffions, qui, d'un commun aveu, lui doivent beaucoup auffi: c'eft par leur activité que notre raison se perfectionne; nous ne cherchons à connoître que parce que nous defirons de jouïr, & il n'eft pas poffible de concevoir pourquoi celui qui n'auroit ni defirs ni craintes fe donneroit la peine de raifonner. Les paffions, à leur tour, tirent

leur

leur origine de nos befoins, & leur progrès de nos connoiffances: car on ne peut defirer ou craindre les chofes, que fur les idées qu'on en peut avoir, ou par la fimple implufion de la Nature; & l'homme fauvage, privé de toute forte de lumieres, n'éprouve que les paffions de cette derniere efpece; fes defirs ne paffent pas fes befoins phyfiques; (* 9.) les feuls biens (*) *; qu'il connoiffe dans l'Univers, font la nourriture, une femelle, & le repos; les feuls maux qu'il craigne, font la douleur, & la faim. Je dis la douleur, & non la mort: car jamais l'animal ne faura ce que c'eft que mourir, & la connoiffance de la mort & de fes terreurs eft une des premieres acquifitions que l'homme ait faites, en s'éloignant de la condition animale.

IL me feroit aifé, fi cela m'étoit néceffaire, d'appuyer ce fentiment par les faits, & de faire voir, que chez toutes les Nations du monde, les progrès de l'efprit fe font précisement proportionnés aux befoins que les Peuples avoient reçus de la Nature, ou auxquels les circonftances les avoient affujétis, & par conféquent aux paffions qui les portoient à pourvoir à ces befoins. Je montrerois en Egypte les arts naiffans & s'étendant avec les débordemens du Nil; je fuivrois leur progrès chez les Grecs, où l'on les vit germer, croître, & s'élever jufqu'aux cieux parmi les fables & les rochers de

t

l'Attique, fans pouvoir prendre racine fur les bords fertiles de l'Eurotas, je remarquerois qu'en général les Peuples du Nord font plus induftrieux que ceux du midi, parce qu'ils peuvent moins fe paffer de l'être, comme fi la Nature vouloit ainfi égalifer les chofes, en donnant aux Efprits la fertilité qu'elle refuse à la Terre.

MAIS fans recourir aux témoignages incertains de l'Hiftoire, qui ne voit que tout femble éloigner de l'homme fauvage la tentation & les moyens de ceffer de l'être ?' Son imagination. ne lui peint rien; fon cœur ne lui demande rien. Ses modiques befoins fe trouvent fi aifément fous fa main, & il eft fi loin du degré de connoiffances néceffaires pour défirer d'en acquérir de plus grandes, qu'il ne peut avoir ni prévoyance, ni curiofité. Le fpectacle de la Nature lui devient indifférent, à force de lui devenir familier. C'eft toujours le même ordre, ce font toujours les mêmes révolutions; il n'a pas l'efprit de s'étonner des plus grandes: merveilles; & ce n'eft pas chez lui qu'il faut chercher la Philofophie dont l'homme a befoin, pour favoir obferver une fois ce qu'il a vu tous les jours. Son ame, que rien n'agite, fe livre au feul fentiment de fon existence ac-tuelle, fans aucune idée de l'avenir, quelque prochain qu'il puiffe être, & fes projets bor

nés comme fes vûes, s'étendent à peine jufqu'à la fin de la journée. Tel eft encore aujourd'hui le degré de prévoyance du Caraïbe: il vend le matin fon lit de coton & vient pleurer le foir pour le racheter, faute d'avoir prévu qu'il en auroit besoin pour la nuit prochaine.

PLUS on médite fur ce fujet, plus la diftance des pures fenfations aux plus fimples connoiffances s'aggrandit à nos regards; & il eft impoffible de concevoir comment un homme auroit pû par fes feules forces, fans le fecours de la communication, & fans l'aiguillon de la néceffité, franchir un fi grand intervale. Combien de fiecles fe. font peut-être écoulés, avant que les hommes aient été à portée de voir d'autre feu que celui du ciel? Combien ne leur a-t-il pas fallu de différens hazards pour apprendre les ufages les plus communs de cet élément? Combien de fois ne l'ont-ils pas laiffé éteindre, avant que d'avoir acquis l'art de le reproduire? Et combien de fois peut-être chacun de ces fecrets n'eft-il pas mort avec celui qui l'avoit découvert? Que dirons-nous de l'agriculture, art qui demande tant de travail & de prévoyance; qui tient à d'autres arts; qui très-évidemment n'eft pratiquable que dans une fociété au moins commencée ; & qui ne nous fert pas tant à tirer de la terre des alimens qu'elle fourniroit bien fans cela, qu'à la

forcer aux préférences qui font le plus de notre goût? Mais fuppofons que les hommes euffent tellement multiplié que les productions naturelles n'euffent plus fuffi pour les nourir ; fuppofition qui, pour le dire en paffant, mon treroit un grand avantage pour l'efpece humaine dans cette maniere de vivre; fuppofons que fans forges, & fans atteliers, les inftrumens du Labourage fuffènt tombés du ciel entre les mains des Sauvages: que ces hommes euffent vaincu la haine mortelle qu'ils ont tous pour un travail continu; qu'ils euffent appris à prévoir de fi loin leurs befoins; qu'ils euffent deviné comment il faut cultiver la terre, femer les grains, & planter les arbres; qu'ils euffent trouvé l'art de moudre le bled, & de mettre le raifin en fermentation; toutes. chofes qu'il leur a fallu faire enfeigner par les. Dieux, faute de concevoir comment ils les auroient apprifes d'eux-mêmes; quel feroit après cela, l'homme affez infensé pour fé tourmenter à la culture d'un champ qui fera dépouillé par le premier venu, homme, ou bêteindifféremment, à qui cette moiffon conviendra; & comment chacun pourra-t-il fe réfoudre à paffer fa vie à un travail pénible, dont il eft d'autant plus fûr de ne pas recueillir le prix, qu'il lui fera plus néceffaire ? En un mot, comment cette fituation pourra

t-elle por

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