Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

ter les hommes à cultiver la terre, tant qu'elle ne fera point partagée entre eux, c'eftà-dire, tant que l'état de Nature ne fera point anéanti?

QUAND nous voudrions fuppofer un Homme Sauvage auffi habile dans l'art de penfer que nous le font nos Philofophes ; quand nous en ferions, à leur exemple, un Philofophe luimême, découvrant feul les plus fublimes vérités, fe faifant, par des fuites de raifonnemens très abftraits, des maximes de juftice & de raifon tirées de l'amour de l'ordre en général, ou de la volonté connue de fon Créateur. En un mot, quand nous lui fuppofe rions dans l'efprit autant d'intelligence, & de lumieres qu'il doit avoir, & qu'on lui trouve en effet de péfanteur & de ftupidité, quelle utilité retireroit l'efpece de toute cette Métaphifique; qui ne pourroit fe communiquer & qui périroit avec l'individu qui l'auroit inventée ? Quel progrès pourroit faire le Genre humain épars dans les bois parmi les animaux? Et jufqu'à quel point pourroient fe perfectionner, & s'éclairer mutuellement des hommes qui, n'as yant ni domicile fixe ni aucun befoin l'un de F'autre, fe rencontreroient, peut-être à peine deux fois en leur vie, fans fe connoître, & fans fe parler? ̧

[ocr errors][merged small]

mes redevables à l'ufage de la parole; combien la Grammaire exerce & facilite les opérations, de l'efprit; & qu'on penfe aux peines inconcevables & au tems infini qu'a dû coûter la premiere invention des Langues; qu'on joigne ces réflexions aux précédentes, & l'on jugera combien il eût fallu de milliers de fiecles, pour développer fucceffivement dans l'efprit humain les opérations, dont il étoit capable.

QU'IL me foit permis de confiderer un inftant les embarras de l'origine des Langues. Je pourrois me contenter de citer ou de repeter ici les recherches que Mr. l'Abbé de Condillac a faites fur cette matiere, qui toutes confirment pleinement mon fentiment, & qui, peut-être, m'en ont donné la premiere idée. Mais la maniere dont ce Philofophe refout les difficultés qu'il fe fait à lui-même fur l'origine des fignes inftitués, montrant qu'il a fuppofé ce que je mets en queftion, favoir une forte de fociété déja établie entre les inventeurs du langage, je crois en renvoyant à fes réflexions devoir y joindre les miennes pour exposer les mêmes difficultés dans le jour qui convient à mnon fujet. La premiere qui fe présente est d'imaginer comment elles purent devenir néceffaires car les hommes n'ayant nulle correfpondance entre eux, ni aucun besoin d'en avoir, on ne conçoit ni la néceffité de cette invention,

ni fa poffibilité, fi elle ne fut pas indispensa-
ble. Je dirois bien, comme beaucoup d'autres,
que les Langues font nées dans le commerce
domeftique des peres, des meres, & des en-
fans: mais outre que cela ne réfoudroit point
les objections, ce feroit commettre la faute de
ceux qui raisonnant fur l'état de Nature, y
tranfportent les idées prifes dans la fociété,
voient toujours la famille raffemblée dans une
même habitation, & fes membres gardant entre
eux une union auffi intime & auffi permanente
que parmi nous, où tant d'intérêts communs
les réuniffent; au lieu que dans cet état primi-
tif n'ayant ni maison, ni cabanes, ni propriété
d'aucune efpece, chacun fe logeoit au hazard
& fouvent pour une feule nuit; les inâles, &
les femelles s'uniffoient fortuitement felon la
rencontre, l'occafion, & le defir, fans que la
parole fût un interprête fort néceffaire des
chofes qu'ils avoient à fe dire ils fe quit-
toient avec la même facilité. (* 10) La mere (*10.)
allaitoit d'abord fes enfans pour fon propre
befoin; puis l'habitude les lui ayant rendus
chers, elle les nourriffoit enfuite pour le leur;
fitôt qu'ils avoient la force de chercher leur
pâture, ils ne tardoient pas à quitter la mere
elle-même; & comme il n'y avoit prefque
point d'autre moyen de fe retrouver que de ne
pas fe perdre de vûe, ils en étoient bientôt

P

au point de ne pas même fe reconnoître les uns les autres. Remarquez encore que l'enfant ayant tous fes befoins à expliquer, & par conféquent plus de chofes à dire à la mere, que la mere à l'enfant, c'eft lui qui doit faire les plus grands fraix de l'invention, & que la langue qu'il emploie doit être en grande partie fon propre ouvrage; ce qui multiplie autant les Langues qu'il y a d'individus pour les parler, à quoi contribue encore la vie errante & vagabonde qui ne laiffe à aucun idiome le tems de prendre de la confiftance; car de dire que la mere dicte à l'enfant les mots, dont il devra fe fervir pour lui demander telle, ou telle chofe, cela montre bien comment on enfeigne des Langues déjà formées, mais cela n'apprend point comment elles fe forment.

SUPPOSONS cette premiere difficulté vaincue franchiffons pour un moment Refpace immenfe qui dut fe trouver entre le pur état de Nature & le befoin des Langues; & cherchons, (b.) en les fuppofant néceffaires, (* b.) comment elles purent commencer à s'établir. Nouvelle difficulté pire encore que la précédente; car fi les hommes ont eu befoin de la parole pour apprendre à penfer, ils ont eu bien plus befoin encore de favoir penfer pour trouver l'art de la parole; & quand on comprendroit comment les fons de la voix ont été pris pour les interpre

[ocr errors]

tes conventionnels de nos idées, il refteroit toujours à fçavoir quels ont pû être les interpretes mêmes de cette convention pour les idées qui, n'ayant point un objet fenfible, ne pouvoient s'indiquer ni par le gefte, ni par la voix, de forte qu'à peine peut-on former des conjectures fupportables fur la naiffance de cet art de communiquer fes penfées, & d'établir un commerce entre les efprits: Art fublime qui eft dájà fi loin de fon origine, mais que le Philofophe voit encore à une fi prodigieuse distance de fa perfection qu'il n'y a point d'homme affez bardi, pour affurer qu'il y arriveroit jamais, quand les révolutions que le tems amene néceffairement feroient fufpendues en fa faveur, que les préjugés fortiroient des Académies ou fe tairoient devant elles, & qu'elles pourroient s'oc cuper de cet objet épineux, durant des fiecles entiers fans interruption.

[ocr errors]

LE premier langage de l'homme, le langage le plus univerfel, le plus énergique, & le feul dont eut befoin, avant qu'il fallut perfuader des hommes affemblés, eft le cri de la Nature. Comme ce cri n'étoit arraché que par une forte d'inftinct dans les occafions preffantes, pour implorer du fecours dans les grands dangers, ou du foulagement dans les maux violens, il n'étoit pas d'un grand ufage dans le cours ordinaire de la vie, où regnent, des fen

« ZurückWeiter »