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(*12.)

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été donné à l'homme pour adoucir, en certaines circonstances, la férocité de fon amour propre, ou le défir de fe conferver avant la naiffance de cet amour, (* 12.) tempere l'ardeur qu'il a pour fon bien-être par une répugnance Innée à voir fouffrir fon femblable. Je ne crois pas avoir aucune contradiction à craindre, accordant à l'homme la feule vertu naturelle qu'ait été forcé de reconnoître le détracteur le plus outré des vertus humaines. Je parle de la pitié, difpofition convenable à des êtres auffi foibles & sujets à autant de maux que nous le fommes; vertu d'autant plus univerfelle & d'autant plus utile à l'homme, qu'elle précede en lui l'ufage de toute réflexion, & fi naturelle que les bêtes mêmes en donnent quelquefois des fignes fenfibles. Sans parler de la tendreffe des meres pour leurs petits, & des périls qu'elles bravent, pour les en garantir, on obferve tous les jours la répugnance qu'ont les chevaux à fouler aux pieds un corps vivant. Un animal ne passe point fans inquiétude auprès d'un animal mort de son espece: il y en a même qui leur donnent une forte de fépulture; & les triftes mugiffemens du bétail entrant dans une boucherie annoncent l'impreffion qu'il reçoit de l'horrible fpectacle qui le frappe. On voit avec plaisir l'auteur de la Fabie des Abeilles, forcé de reconnoître l'homme

pour un être compatiffant & fenfible, fortir dans l'exemple qu'il en donne, de fon ftyle froid & fubtil, pour nous offrir la pathétique image d'un homme enfermé qui apperçoit au dehors une bête féroce, arrachant un enfant du fein de fa mere, brifant fous fa dent meurtriere les entrailles palpitantes de cet enfant. Quelle affreufe agitation n'éprouve point ce témoin d'un' événement auquel il ne prend aucun intérêt perfonnel? Quelles angoiffes ne fouffre t-il pas à cette vue, de ne pouvoir porter aucun fecours à la mere évanouïe, ni à l'enfant expirant ?

TEL eft le pur mouvement de la Nature antérieur à toute réflexion: telle eft la force de la pitié naturelle, que les mœurs les plus dépravées ont encore peine à détruire, puisqu'on voit tous les jours dans nos fpectacles s'attendrir & pleurer aux malheurs d'un infortuné, tel, qui, s'il étoit à la place du Tyran, aggraveroit encore les tourmens de fon ennemi. Man deville a bien fenti qu'avec toute leur morale les hommes n'euffent jamais été que des montres, fi la Nature ne leur eût donné la pitié à l'appui de la raison: mais il n'a pas vu que de cette feule qualité découlent toutes les vertus fociales qu'il veut difputer aux hommes. En effet, qu'eft-ce que la générofité, la clémence, l'humanité, finon la pitié appliquée aux foibles

aux coupables, ou à l'efpece humaine en géné. ral? La bienveillance & l'amitié même font, à le bien prendre, des productions d'une pitié conftante, fixée fur un objet particulier: car défirer que quelqu'un ne fouffre point, qu'eftce autre chofe que défirer qu'il foit heureux ? Quand il feroit vrai que la commifération ne feroit qu'un fentiment qui nous met à la place de celui qui fouffre, fentiment obfcur & vif dans 'homme fauvage, développé mais foible dans P'homme civil, qu'importeroit cette idée à la vérité de ce que je dis, finon de lui donner plus de force? En effet la commifération fera d'autant plus énergique que l'animal spectateur s'identifiera plus intimement avec l'animal fouffrant or il eft évident que cette identification a dû être infiniment plus étroite dans l'état de C'eft Nature que dans l'état de raisonnement. la raifon qui engendre l'amour propre, & c'eft la réflexion qui le fortifie; c'eft elle qui replie l'homme fur lui-même; c'eft elle qui le fépare de tout ce qui le gêne & l'afflige. C'eft la Philofophie qui l'ifole; c'eft par elle qu'il dit en fecret, à l'afpect d'un homme fuffrant, peris fi tu veux, je fuis en fûreté. Il n'y a plus que les dangers de la Société entiere qui troublent le fommeil tranquile du Philofophe, & qui l'arrachent de fon lit. On peut impunément égorger fon femblable fous fa fenêtre, il n'a qu'à met

tre fes mains fur fes oreilles & s'argumenter un peu, pour empêcher la Nature qui fe révolte en lui de l'identifier avec celui qu'on affaffine. L'homme Sauvage n'a point cet admirable ta lent; & faute de fageffe & de raifon, on le voit toujours fe livrer étourdiment au premier fentiment de l'Humanité. Dans les émeutes dans les querelles des rues, la populace s'affemble, l'homme prudent s'éloigne: c'eft la canail le, ce font les femmes des halles qui féparent les combatans, & qui empêchent les honnêtes gens de s'entr'égorger.

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Il est donc bien certain que la pitié est un fentiment naturel, qui modérant dans chaque individu l'activité de l'amour de foi-même concourt à la confervation mutuelle de toute l'efpece. C'est elle qui nous porte fans réflexion au fecours de ceux que nous voyons fouffrir; c'eft elle qui, dans l'état de Nature, tient lieu de loix, de incurs & de vertu, avec cet avantage que nul n'eft tenté de défobéir à fa douce voix; c'est elle qui détournera tout Sauvage robufte d'enlever à un foible enfant, ou à un vieillard infirme, fa fubfiftance acquife avec peine, fi lui-même efpere pouvoir trouver la fienne ailleurs; c'eft elle qui, au lieu de cette maxime fublime de juftice raifonnée, fais à autrui comme tu veux qu'on te fasse, inspire à tous les hommes cette autre maxime be bonté natu

relle bien moins parfaite, mais plus utile peutêtre que la précédente, fais ton bien avec le moindre mal d'autrui qu'il eft possible. C'est en un mot, dans ce fentiment naturel, plutôt que dans des argumens fubtils qu'il faut chercher la caufe de la répugnance que tout homme éprouveroit à ma faire, même indépendamment des maximes de l'éducation. Quoi qu'il puiffe appartenir à Socrate, & aux efprits de fa trempe, d'acquerir de la vertu par raifon, il y a longtemps que le Genre-humain ne feroit plus, fi fa confervation n'eût dépendu que des raifonnemens de ceux qui le compofent.

AVEC des paffions fi peu actives & un frein fi falutaire, les hommes plutôt farouches que méchans, & plus attentifs à fe garantir du mal qu'ils pouvoient recevoir, que tentés d'en faire à autrui, n'étoient pas fujets à des démêlés fort dangereux: comme ils n'avoient entre eux aucune espece de commerce; qu'ils ne connoiffoient par conféquent ni la vanité, ni la confidération, ni l'eftime, ni le mépris; qu'ils n'avoient pas la moindre notion du tien & du mien, ni aucune véritable idée de la justice; qu'ils regardoient les violences qu'ils pouvoient effuyer, comme un mal' facile à réparer & non comme une injure qu'il faut punir, & qu'ils ne fongeoient pas même à la vengeance fi ce n'eft peut-être machinalement & fur le champ, com

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