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tion d'une multitude de connoiffances & d'erreurs, par les changemens arrivés à la conftitution des corps, & par le choc continuel des paffions, a, pour ainfi dire, changé d'apparence au point d'être prefque méconnoiffable; & l'on n'y retrouve plus, au lieu d'un être agiffant toujours par des principes certains & invariables, au lieu de cette célefte & majeftueufe fimplicité dont fon Auteur l'avoit empreinte, que le difforme contrafte de la paffion qui croit raifonner & de l'entendement en délire.

Ce qu'il y a de plus cruel encore, c'eft que tous les progrès de l'efpece humaine l'éloignant fans ceffe de fon état primitif, plus nous accumulons de nouvelles connoiffances, & plus nous nous êtons les moyens d'acquérir la plus importante de toutes, & que c'est en un fens à force d'étudier l'homme que nous nous fommes mis hors d'état de le connoître. 、

Il eft aifé de voir que c'eft dans ces changemens fucceffifs de la conftitution humaine qu'il faut chercher la premiere origine des différences qui diftinguent les hommes, lefquels d'un commun aveu font naturellement auffi égaux entr'eux que l'étoient les animaux de chaque efpece, avant que diverfes caufes phyfiques euffent introduit dans quelques-unes les variétés que nous y remarquons. En effet, il n'eft pas

concevable que ces premiers changemens, par quelque moyen qu'ils foient arrivés, aient altéré tout à la fois & de la même maniere tous les individus de l'efpece; mais les uns s'étant perfectionnés ou détériorés, & ayant acquis diverfes qualités bonnes ou mauvaises qui n'étoient point inhérentes à leur nature, les autres refterent plus longtems dans leur état originel; & telle fut parmi les hommes la premiere fource de l'inégalité, qu'il eft plus aifé de démontrer ainfi en général, que d'en affigner avec précision les véritables caufes.

Que mes Lecteurs ne s'imaginent donc pas que j'ofe me flatter d'avoir vu ce qui me paroît fi difficile à voir. J'ai commencé quelques raifonnemens; j'ai hazardé quelques conjectures, moins dans l'efpoir de réfoudre la question que dans l'intention de l'éclaircir & de la réduire à fon véritable état. D'autres pourront aifément aller plus loin dans la même route, fans qu'il foit facile à perfonne d'arriver au terme: Car ce n'eft pas une légere entreprise de démêler ce qu'il y a d'originaire & d'artificiel dans la nature actuelle de l'homme, & de bien connoître un état qui n'existe plus, qui n'a peut-être point exifté, qui probablement n'exiftera jamais, & dont il eft pourtant néceffaire d'avoir des notions juftes pour bien juger de notre état préfent. Il faudroit même plus de Philofophie

qu'on ne pense à celui qui entreprendroit de déterminer exactement les précautions à prendre pour faire fur ce sujet de folides obfervations; & une bonne folution du problême fuivant ne me paroîtroit pas indigne des Ariftotes & des Plines de notre fiecle. Quelles expériences feroient néceffaires pour parvenir à connoître l'bom. me naturel; & quels font les moyens de faire ces expériences au fein de la fociété? Loin d'entreprendre de réfoudre ce Problême, je crois en avoir affez médité le fujet, pour ofer répondre d'avance que les plus grands Philofophes ne feront pas trop bons pour diriger ces expériences, ni les plus puiffants fouverains pour les faire; concours auquel il n'eft gueres raisonnable de s'attendre fur-tout avec la perféverance ou plutôt la fucceffion de lumieres & de bonne volonté néceffaire de part & d'autre pour arriver au fuccès.

Ces recherches fi difficiles à faire, & auxquelles on a fi peu songé jusqu'ici, font pourtant les feuls moyens qui nous reftent de lever une multitude de difficultés qui nous dérobent la connoiffance des fondemens réels de la fociété humaine. C'est cette ignorance de la nature de l'homme qui jette tant d'incertitude & d'obfcurité fur la véritable définition du droit naturel; car l'idée du droit, dit Mr. Burlamaqui, & plus encore celle du droit naturel, font ma

nifeftement des idées relatives à la nature de P'homme. C'eft donc de cette nature même de 'homme, continue-t-il, de fa conftitution & de fon état qu'il faut déduire les principes de cet te science.

Ce n'eft point fans furprife & faris fcandale qu'on remarque le peu d'accord qui regne fur cette importante matiere entre les divers Auteurs qui en ont traité. Parmi les plus graves Ecrivains à peine en trouve-t-on deux qui foient du même avis fur ce point. Sans parler des anciens Philofphes qui femblent avoir pris à tâche de fe contredire entre eux fur les principes les plus fondamentaux, les Jurifconfultes Romains affujettiffent indifféremment l'homme & tous les autres animaux à la même loi naturelle, parce qu'ils confiderent plutôt fous ce nom-la loi que: la Nature s'impofe à elle-même que celle qu'el-le prefcrit; ou plutôt, à caufe de l'acception particuliere felon laquelle ces Jurifconfultes entendent le mot de loi qu'ils femblent n'avoir pris en cette occafion que pour l'expreffion des rapports généraux établis par la Nature entre tous les êtres animés, pour leur commune confervation. Les Modernes ne reconnoiffant fous le nom de loi qu'une regle prefcrite à un être moral, c'eft-à-dire intelligent, libre, & confidéré dans fes rapports avec d'autres êtres, bosnent conféquemment au feul animal doué de

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raifon, c'est-à-dire, à l'homme, la compétence de la loi naturelle; mais définiffant cette loi chacun à fa mode, ils l'établiffent tous fur des principes fi métaphifiques qu'il y a même parmi nous,, bien peu de gens en état de comprendre. ces principes, loin de pouvoir les trouver d'euxmêmes. Deforte que toutes les définitions de ces favans hommes, d'ailleurs en perpétuelle contradiction entre elles, s'accordent feulement. en ceci, qu'il eft impoffible d'entendre la loi de Nature & par conféquent d'y obéïr, fans être un très-grand raisonneur & un profond Métaphificien. Ce qui fignifie précisément que les hommes ont dû employer pour l'établiffement. de la fociété, des lumieres qui ne fe développent qu'avec beaucoup de peine & pour fort peu de gens dans le fein de la fociété même.

Connoiffant fi peu la Nature & s'accordant fi mal fur le fens de mot lei, il feroit bien diffi cile de convenir d'une bonne définition de la loi naturelle. Auffi toutes celles qu'on trouve dans les Livres, outre le défaut de n'être point uniformes, ont- elles encore celui d'être tirées de plufieurs connoiffances que les hommes n'ont point naturellement, & des avantages dont ils ne peuvent concevoir l'idée qu'après être fortis. de l'état de Nature. On commence par rechercher les regles dont,. pour l'utilité commune, il feroit à propos que les hommes convinffent

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