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me le chien qui mord la pierre qu'on lui jette, leurs difputes euffent eu rarement des fuites fanglantes, fi elles n'euffent point eu de fujet plus fenfible que la pâture: mais j'en vois un plus dangereux dont il me refte à parler.

PARMI les paffions qui agitent le cœur de l'homme, il en eft une ardente, impétueufe, qui rend un fexe néceffaire à l'autre, paffion terrible qui brave tous les dangers, renverfe tous les obftacles, & qui dans fes fureurs fem-ble propre à détruire le Genre-humain qu'elle eft destinée à conferver. Que deviendront les hommes en proie à cette rage effrénée & brutale, fans pudeur, fans retenue, & fe difpu-tant chaque jour leurs amours au prix de leur fang.?

IL faut convenir d'abord que plus les paf fions font violentes, plus les loix font néceffaires pour les contenir: mais outre que lesi défordres & les crimes que celles-ci caufent tous Les jours parmi nous, montrent affez l'infuffi fance des loix à cet égard, il feroit encore bon d'examiner fi ces défordres ne font point nés: avec les loix mêmes; car alors, quand elles feroient capables de les réprimer, ce feroit: bien le moins qu'on en dût exiger que d'arrê ter un mal qui n'exifteroit point fans elles..

COMMENÇONS par diftinguer le moral di phyfique dans le fentiment de l'amour. Le phy

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fique eft ce défir général qui porte un fexe & s'unir à l'autre. Le moral eft ce qui détermine ce défir & le fixe fur un feul objet exclufivement, ou qui du- moins lui donne pour cet. objet préféré un plus grand dégré d'énergie. Or il eft facile de voir que le moral de l'amour est un fentiment factice, né de l'ufage de la fociété, & célebré par les femmes avec beaucoup d'habileté & de foin pour établir leur empire, & rendre dominant le fexe qui devroit obéïr. Ce fentiment étant fondé fur certaines notions du mérite ou de la beauté qu'un Sauvage n'eft point en état d'avoir, & fur des comparaifons qu'il n'eft point état de faire, doit être prefque nul pour lui: car comme fon efprit n'a pu fe former des idées abftraites de régularité & de proportion, fon cœur n'eft point non plus fufceptible des fentimens d'admiration & d'amour, qui, même fans qu'on s'en apperçoive, naiffent de l'application de ces idées; il écoute uniquement le tempérament qu'il a reçu de la Nature & non le goût qu'il n'a pu acquerir, & toute femme · eft bonne pour lui.

BORNE'S au feul Phyfique de l'amour, & affez heureux pour ignorer ces préférences qui en irritent le fentiment & en augmentent les difficultés, les hommes doivent fentir moins fréquemment & moins vivement les ardeurs du

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tempérament & par conféquent avoir entre eux des difputes plus rares, & moins eruelles. L'imagination qui fait tant de ravages parmi nous ne parle point à des cœurs fauvages; chacun attend paifiblement l'impulfion de la Nature, s'y livre fans choix avec plus de plaifir que de fureur, & le befoin fatisfait, tout le désir est éteint.

C'EST donc une chofe incontestable que l'amour même, ainfi que toutes les autres pafffons, n'a acquis que dans la fociété cette ardeur impétueufe qui le rend fi fouvent funefte aux hommes; & il eft d'autant plus ridicule de représenter les Sauvages comme s'entr'égorgeant fans ceffe pour affouvir leur brutalité que cette opinion eft directement contraire à l'expérience, & que les Caraïbes, celui de tous les Peuples exiftans qui jufqu'ici s'eft écarté le moins de l'état de Nature, font précisément les plus paifibles dans leurs amours, & les moins fujets à la jaloufie, quoique vivant fous un climat brûlant qui femble toujours donner à ces paffions une plus grande activité.

A l'égard des inductions qu'on pourroit tirer dans plufieurs efpeces d'animaux, des combats des mâles qui enfanglantent en tout temps nos baffes cours ou qui font retentir au Printems nos fôrets de leurs cris en fe difputant la femelle, il faut commencer par exclurre toutes

les efpeces où la Nature a manifeftement établi dans la puiffance relative des Sexes d'autres rapports que parmi nous : ainfi les combats des Cocqs ne forment point une induction pour l'efpece humaine. Dans les efpeces, ou la proportion eft mieux obfèrvée, ces combats ne peuvent avoir pour caufes que la rareté des femelles en égard au nombre des mâles, ou les intervalles exclufifs durant lefquels la femelle refufe conftamment l'approche du mâle, ce qui revient à la premieré cause: car fi chaque femelle ne fouffre le mâle que durant deux mois de l'année, c'eft à cet égard comme fi le nombre des femelles étoit moindre des cinq fi xiemes. Or aucun de ces deux cas n'eft appliquable à l'efpece humaine où le nombre des femelles fürpaffe généralement celui des mâles,. & où l'on n'a jamais obfervé que même parmi les Sauvages les femelles aient, comme celles des autres efpeces, des tems de chaleur & d'exclufion. De plus parmi plufieurs de ces animaux, toute l'efpece entrant à la fois en effervefcence, il vient un moment terrible d'ar deur commune, de tumulte, de défórdre, & de combat moment qui n'a point lieu parmi l'efpece humaine où l'amour n'eft jamais périodique. On ne peut donc pas conclurre des combats de certains animaux pour la poffeffion des femelles que la même chofe arriveroit à

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Fhomme dans l'état de Nature; & quand même on pourroit tirer cette conclufion, comme ces diffentions ne détruifent point les autres. efpeces, on doit penfer au moins qu'elles ne feroient pas plus funeftes à la nôtre, & il eft très apparent qu'elles y cauferoient encore moins de ravages qu'elles ne font dans la Société, fur-tout dans les pays où les mœurs étant encore comptées pour quelque chofe, la jalousie des Amants & la vengeance des Epoux caufent chaque jour des duels, des meurtres, & pis encore; où le devoir d'une éternelle fidélité ne fert qu'à faire des adulteres, & où les loix même de la continence & de l'honneur étendent néceffairement la débauche, & multiplient les avortemens.

CONCLUONS qu'errant dans les forêts fans! industrie, fans parole, fans domicile, fans guerre, & fans liaifons, fans nul befoin de fes femblables, comme fans nul défir de leur nuire, peut-être même fans jamais en reconnoître aucun individuellement, l'homme fauvage fujet à peu de paffions, & fe fuffifant à lui-même, n'avoit que les fentimens & les lumieres propres à cet étát, qu'il ne fentoit que fes vrais befoins, ne regardoit que ce qu'il croyoit avoir intérêt de voir, & que fon intelligence ne faifoit pas plus de progrès que fa vanité. Si par hazard il faifoit quelque découverte, il pouvoit d'autant:

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