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A MESURE que les idées & les fentimens fe fuccedent, que l'efprit & le cœur s'exercent, le Genre humain continue à s'apprivoifer, les liaifons s'étendent & les liens fe refferrent. On s'accoûtuma à s'affembler devant les cabanes ou autour d'un grand arbre: le chant & la danfe, vrais enfans de l'amour & du loisir, devinrent l'amufement ou plutot l'occupation des hommes & des femmes oififs & attroupés. Chacun commença à regarder les autres & à vouloir être regardé foi même, & l'eftime publique eut un prix. Celui qui chantoit ou danfoit le mieux; le plus beau, le plus fort, le plus adroit ou le plus éloquent devint le plus confidéré, & ce fut là le premier pas vers l'inégalité, & vers le vice en même tems: de ces premieres préférences naquirent d'un côté la vanité & le mépris, de Fautre la honte & l'envie; & la fermentation caufée par ces nouveaux levains produifit enfin des compofés funeftes au bonheur & à l'innocence.

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SITÔT que les hommes eurent commencé à s'apprécier mutuellement & que l'idée de la confidération fut formée dans leur efprit, chacun prétendit y avoir droit, & il ne fut plus poffible d'en manquer impunément pour perfonne. De-là fortirent les premiers devoirs de la civilité, même parmi les Sauvages, & de-là tout tort volontaire devint un outrage, parce

qu'avec le mal qui réfultoit de l'injure, l'offenfé y voyoit le mépris de fa perfonne fouvent plus infurportable que le mal même. C'eft ainfi que chacun puniffant le mépris qu'on lui avoit témoigné d'une maniere proportionnée au cas qu'il faifoit de lui-même, les vengeances devinrent terribles, & les hommes fanguinaires & cruels. Voilà précisément le degré où étoient. parvenus la plupart des Peuples Sauvages qui nous font connus; & c'eft faute d'avoir fuffifamment diftingué les idées & remarqué combien ces Peuples étoient déjà loin du premier état de Nature que plufieurs fe font hâtés de conclure que l'homme eft naturellement cruel & qu'il a befoin de police pour l'adoucir, tandis que rien n'eft fi doux que lui dans fon état primitif, lorfque placé par la Nature à des distances égales de la ftupidité des brutes & des lumieres funeftes de l'homme civil, & borné également par l'inftinct & par la raifon à fe garantir du mal qui le menace, il eft retenu par la pitié naturelle de faire lui-même du mal à perfonne, fans y être porté par rien, même après en avoir Car felon l'axiome du fage Locke, ne fauroit y avoir d'injure où il n'y a point de propriété.

reçu.

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MAIS il faut remarquer que la Société com. mencée & les relations déjà établies entre les. hommes, exigeoient en eux des qualités diffé

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rentes de celles qu'ils tenoient de leur conftitu-
tion primitive; que la moralité commençant à
s'introduire dans les actions humaines, & cha-
cun avant les Loix étant feul juge & vengeur
des offenfes qu'il avoit reçues, la bonté conve
nable au pur état de Nature n'étoit plus celle
qui convenoit à la Société, naiffante qu'il falloit
que les punitions divinffent plus féveres à me-
fure que les occafions d'offenfer devenoient plus-
fréquentes, & que c'étoit à la terreur des ven-
geances de tenir lieu du frein des loix. Ainfi
quoique les hommes fuffent devenus moins en-
durans, & que la pitié naturelle eût déjà fouf-
fert quelque altération, ce période du dévelop-
pement des facultés humaines, tenant un juste
milieu entre l'indolence de l'état primitif & la
pétulante activité de notre amour propre, dut
être l'époque la plus heureufe, & la plus du-
rable. Plus on y réfléchit, plus on trouve que
cet état étoit le moins fujet aux révolutions,
le meilleur à l'homme, (* 13.) & qu'il n'en a (13.)
dù fortir que par quelque funefte hazard qui
pour l'utilité commune eût dû ne jamais arriver.
L'exemple des Sauvages qu'on a prefque tous.
trouvés à ce point femble confirmer que le Gen-
re-humain étoit fait pour y refter toujours, que
cet état eft la véritable jeuneffe du Monde, &
que tous les progrès ultérieurs ont été en-ap-
parence autant de pas vers la perfection de l'in-

dividu, & en effet vers la décrépitude de l'et pece.

TANT que les hommes fe contenterent de leurs cabanes ruftiques, tant qu'ils fe bornerent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arrêtes, à fe parer de plumes & de coquillages, à fe peindre le corps de diverfes couleurs, à perfectionner ou embellir leurs arcs & leurs fleches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques groffiers inftrumens de Musique; en un mot tant qu'ils ne s'appliquerent qu'à des ouvrages qu'un feul pouvoit faire, & qu'à des arts qui n'avoient pas befoin du concours de plu fieurs mains, ils vécurent libres, fains, bons, & heureux autant qu'ils pouvoient l'être par leur nature, & continuerent à jouïr entre eux des douceurs d'un commerce indépendant: mais dès l'inftant qu'un homme eut befoin du fecours d'un autre; dès qu'on s'apperçut qu'il étoit utile à un feul d'avoir des provifions pour deux, l'égalité difparut, la propriété s'introduifit, le travail devint néceffaire & les vaftes forêts se changerent en des campagnes riantes qu'il fallut arrofer de la faeur des hommes, & dans lefquelles on vit bientôt l'esclavage & la mifere germer & croître avec les moiffons.

LA métallurgie & l'agriculture furent les deux arts dont l'invention produifit cette grande ré

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volution. Pour le Poëte, c'eft l'or & l'argent; mais pour le Philofophe, ce font le fer & le bled qui ont civilifé les hommes, & perdu le Genre humain. Auffi l'un & l'autre étoient-ils inconnus aux Sauvages de l'Amérique qui pour eela font toujours demeurés tels; les autres Peuples femblent même être reftés barbares tant qu'ils ont pratiqué l'un de ces arts fans Kautre. Et l'une des meilleures raifons peut être pourquoi l'Europe a été, finon plûtôt, du moins plus conftamment & mieux policée que les autres parties du monde, c'eft qu'elle eft à la fois la plus abondante en fer & la plus fertile en bled.

IL eft très difficile de conjecturer comment les hommes font parvenus à connoître & employer le fer car il n'est pas croyable qu'ils aient imaginé d'eux-mêmes de tirer la matiere de la mine & de lui donner les préparations néceffaires pour la mettre en fufion avant que de favoir ce qui en réfulteroit. D'un autre côté on peut d'autant moins attribuer cette découverte à quelque incendie accidentel que les mines ne fe forment que dans des lieux arides, & denués d'arbres & de plantes; de forte qu'on diroit que la Nature avoit pris des précautions pour nous dérober ce fatal fecret. Il ne reste donc que la circonftance extraordinaire de quelque Volcan qui, vomiflant des matieres métalliques

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